La beauté parfaite, ou le dernier rêve

Pocahontas était un conte de la mixité raciale. Malgré la proximité des scénarios, Avatar n’a que peu à voir avec cette mythologie. Ce n’est pas le problème de la race qui fonde le film, mais celui de l’évasion vers un corps idéal – c’est précisément le programme énoncé par son titre. L’écologie, les indiens, ne sont que des éléments de décor. Le film ne joue pas avec le récit, réduit à la portion congrue, il joue avec les images. Ces images qui n’ont pas besoin de légende sont celles de ces corps si beaux.

D’une beauté si familière. C’est ce film qui m’a fait comprendre que le motif de la beauté parfaite n’est pas simplement un détail décoratif des magazines féminins, mais un paradigme omniprésent de l’industrie culturelle, qui se décline de la mythologie de la retouche au personnage sublimé de Michael Jackson. Peut-être le rêve le plus puissant de notre société, qui n’en n’a plus guère.

Mais un rêve qui ne dit pas son nom. Qui n’a pas de récit. Un rêve qu’on ne peut pas énoncer, car nous savons qu’il est illégitime. Un désir égoïste ne peut pas accéder au rang de fait culturel, qui n’admet que les aspirations collectives.

Le rêve de la beauté parfaite reste donc un pur signal. Ou plutôt un bruit, quelque chose qui est tellement répété qu’il ne se détache plus du fond cosmologique, qu’il en constitue la routine, le paysage quotidien.

L’origine de ce fantasme est incontestablement grecque. Avec cette différence de taille que les Grecs avaient su distinguer les représentations idéales en les décrivant comme celles de dieux et de déesses. Certes, Michael Jackson n’appartient pas non plus au commun des mortels. Mais les promesses de relooking dont regorgent magazines et shows télé s’adressent bien au plus grand nombre.

L’emballement récent de ce motif doit à mon avis être cherché du côté de l’échec des projets politique, culturel et social du monde occidental. La beauté est un moyen pour obtenir ce que nous désirons le plus: être aimé. L’omniprésence de la beauté parfaite nous dit qu’il ne reste plus d’autre issue pour atteindre ce but que de se transformer physiquement.

Il y a des histoires qui s’écrivent toutes seules. Michael Jackson s’est éteint quelques mois avant la sortie d’Avatar. Sa mort raconte l’échec monstrueux de la transformation réelle des corps. A l’impossible défi de la métamorphose, Avatar fournit une solution de cinéma. Une solution qu’il faut comparer à son symétrique inverse, Matrix, pour mesurer à quel point elle désigne l’imaginaire comme dernier horizon possible.

J’ai vu récemment dans un magasin de téléviseurs quelques extraits substantiels du prochain Alice au pays des merveilles de Tim Burton. Ca fait un moment qu’Hollywood accélère l’allure du toboggan. Là, le cinéma a définitivement basculé. Dans un imaginaire plus tangible qu’il ne l’a jamais été – signification métaphysique du recours à la 3D.

La beauté parfaite est un programme qui ne peut s’accomplir que sur écran – ou sur papier glacé. Voici la leçon en images d’Avatar, que nous comprenons sans avoir besoin de récit. Comme dans la vie, les rêves illégitimes ne peuvent se raconter qu’en images.

4 réflexions au sujet de « La beauté parfaite, ou le dernier rêve »

  1. La distinction n’est pas à effectuer entre rationnel et irrationnel, mais entre les différentes formes de discours: en l’occurrence, ceux qui passent par le récit, et ceux qui passent par l’image. La réponse à ta question est illustrée ci-dessus. Analyser les images est la tâche traditionnelle de l’histoire de l’art – qui peut s’appuyer ou non sur les récits. Relire Panofsky.

  2. Ah la beauté.

    Pour ceux qui l’ont, c’est un cadeau empoisonné :

    – On risque de ne s’intéresser qu’à l’enveloppe – et si cette enveloppe est celle d’un mineur…

    – Ils ne peuvent, en vieillissant, que la perdre.

    Dit par celui qui n’a pas reçu ce cadeau !

    (La beauté parfaite serait au choix ennuyeuse ou monstrueuse. Essayez d’avoir un visage totalement symétrique !)

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