Les années 2000, ou la fin de l'avenir

Enfance, années 1960-1970. L’an 2000 est un horizon lointain, cités mirifiques parcourues de voitures volantes, les gens habillés comme dans Star Trek. Avenir technologique et radieux. La peur de la bombe s’est éloignée. Dans les films, l’ennemi n’est plus le communiste des vieux James Bond. Totalitarismes galactiques, aliens, robots. Ennemis lointains qui disent qu’ici, il n’y a plus rien à craindre. Bien avant la chute du Mur, depuis les premiers pas sur la Lune, le match est gagné. Malgré le choc pétrolier, l’économie est prospère. La démocratie fonctionne. Giscard est moderne. Alain Duhamel a l’œil qui pétille. Seule inquiétude: la démographie. Mais le club de Rome veille. L’Europe est un projet à construire, un espoir contre les égoismes nationaux. On parle déjà de pollution. Je me rejouis d’être au rendez-vous de l’an 2000. J’aurai une voiture électrique. Nous serons plus heureux.

Trente ans après les années 1970, dix ans après l’an 2000. Tous ces rêves, ruines fumantes. La peur est partout, l’espoir, nulle part. Mickey 3D chante: « Moi je ne vois l’avenir que dans mes souvenirs ».

Ca a mal commencé. Dès le 11 septembre 2001, on sait que plus rien ne sera comme avant. Après la fin de la guerre froide, bref intervalle de paix, le monde replonge dans une bataille sans contours et sans fin. Niveaux d’alerte toujours au rouge, contrôles toujours renforcés, privacy toujours plus réduite: dans une guerre qu’on ne peut pas gagner, on ne revient jamais en arrière. Epuisante spirale, échec des démocraties plongées dans l’état d’exception permanent. Victoire de la terreur.

Un des rêves du XXe siècle: la toute-puissance de la technique et de la science. Un rêve lié à la guerre, qui faisait peur, mais dont la maîtrise paraissait à portée de main. Armées de spécialistes en blouses blanches, construisant des fusées pour la paix. Ici Houston, voici l’horizon. En recourant à des moyens dérisoires, bricolages de chambres de bonne contre la plus grande puissance technologique, le terrorisme a tué l’illusion que la science aurait toujours le dernier mot. Les machines cliquetantes de Terminator ont pris un coup de vieux. Celles d’aujourd’hui tiennent dans la poche et ont des couleurs vives. Bijoux plutôt qu’objets techniques. Personne n’attend qu’ils nous sauvent du désastre.

Qui croit en la démocratie? Ni Mitterrand, ni Delors, qui décident qu’il vaut mieux faire l’Europe contre les peuples. Rien n’ennuie comme la plèbe. On découvre comment lui faire prendre des vessies pour des lanternes. Confiscation du pouvoir par la technocratie. Fini de jouer, les enfants, laissez ça à ceux qui savent.

Terrain préparé pour les parvenus. Chirac, Bush, Poutine, Berlusconi, Sarkozy, pressés de mettre les rouages de l’Etat au service de leurs intérêts. Règne du mensonge et de la triche. Guerre d’Irak, comble de la mystification, comme un crachat à la face du monde. Autrefois, on disait « langue de bois », pour moquer les discours peu crédibles des totalitarismes à l’Est. Aujourd’hui, un politique qui ouvre la bouche, c’est la novlangue d’Orwell. Blanc pour noir, intégration pour chasse aux étrangers, identité nationale pour xénophobie, réussite pour échec.

Blair-Merkel, même combat. Rhabillé en pragmatisme, le néolibéralisme a tué le politique. Eric Besson, emblème d’une période de reniement. Le PS est mort sans avoir souffert. Il est juste devenu superflu. A quoi bon des socialistes quand il y a l’UMP? La fin de l’espoir en politique s’appelle Obama, un candidat élu sur le slogan « Hope ». Un raccourci qui voulait simplement dire: « Hope to be president ».

Démocratie, république, justice. Trois vieux mots. Remplacés par la loi du plus fort. Contrôle au faciès, Guantanamo, apartheid anti-palestinien. Ceux qui ont le pouvoir ont tous les droits, sans restriction, sans frein moral. Les faibles, ceux que l’institution avait pour mission de protéger, sont glissés sous le tapis. Même les tentes Ikéa font tache dans le paysage, nettoyons la jungle de Calais, passons tout ça au karcher.

L’économie est une farce. Le chômage de masse, chantage permanent à la modération des salaires et à la docilité des salariés. Le sauvetage des banques, la plus belle leçon de l’économie mondiale. La prochaine grande puissance économique est une dictature communiste. Pendant ce temps-là, en Occident, on meurt de travailler plus. Certains pensent que la précarité est le propre des métiers du spectacle. Mais le spectacle est partout. On peut faire marcher une économie sans salariés. Suffit d’avoir des stagiaires.

Casse de l’impôt et de la redistribution. Des Etats en chaussettes, qui ont tiré toutes leurs cartouches, plus capables d’assurer le minimum: l’entretien des infrastructures, l’éducation, la santé, les retraites. Fonctionnaires à la porte, par ici la concurrence, dégradation des conditions de l’emploi, dégradation du service, si vous en avez assez, tapez deux.

La dernière grande peur, celle du réchauffement. La planète asphyxiée par les fumées d’une industrie qui meurt. Fin des glaciers, des ours blancs et de la beauté. Les courbes promettent l’inéluctable, l’agonie dans la sécheresse et les ouragans. Pour y échapper: la décroissance. Au poste de pilotage: l’ONU. Cherchez l’erreur.

Sous ce ciel bas et lourd, la seule bonne nouvelle s’appelle internet. On ne l’attendait pas. Repaire de violeurs et de nazis, refuge pour intellectuels frustrés, disent ceux qui ne craignent pas le ridicule. Les autres ne disent rien, et s’en servent. Outil de reconquête de la culture et du savoir, lieu de reconfiguration de la visibilité et de l’échange, espace de jeu et de retrouvailles. Le seul facteur de renouvellement dans un paysage qui crève de ne pas se voir vieillir. Pour combien de temps? Le risque de mise au pas par l’interdit ou la hiérarchisation des contenus est réel.

District 9, Avatar: des films sont arrivés qui disent l’horreur de l’humain. La dernière aventure est la fuite hors de l’humanité. Même si toutes les époques ont leur lot de noirceur, depuis deux siècles au moins, depuis l’invention du progrès, c’est cela qui n’était jamais arrivé: avoir perdu l’espoir que demain serait meilleur qu’aujourd’hui, avoir perdu la foi dans l’homme. Après la fin de l’histoire, la fin de l’avenir. Quand le catastrophisme est devenu la seule méthode de gouvernement, pas de quoi s’étonner. Telles auront été les années 2000, années du plus désastreux retournement de l’imaginaire, de la promesse trahie, de la honte d’être qui nous sommes.

29 réflexions au sujet de « Les années 2000, ou la fin de l'avenir »

  1. On peut faire marcher une économie sans salariés. Suffit d’avoir des stagiaires

    -> Si si il faut un peu de salariés : des vigiles. #boycottCarrefour
    Bon, maintenant : sommes-nous à la fin d’un cycle de désespérance tellement désespérée qu’elle ne se rappelle plus de ses rêves passés ou n’en sommes-nous qu’au début ?

  2. Et oui…
    Fin des illusions prométhéennes et peut-être début d’une arcadie numérique où individualité et collectif trouveraient un point d’équilibre en mouvement… Un moyen technique inédit dans l’histoire pour saisir à la fois le subjectif et le quantitatif…
    Un lieu à partir duquel se développerait dans le monde entier, au delà des frontières illusoires de l’identité, dans le jeu des désirs et des goûts, une diversalité au lieu de l’universalité, une approche sur le mode mineur (concret, images, quotidien, personnes, corps, imaginaire…) en lieu et place du mode majeur et de la hauteur des concepts, des idéologies et de la science… Une nouvelle Utopie, mais cette fois-ci, un vrai non lieu protégé (encore) de tout tyran…
    La fin de l’avenir, c’est peut-être encore le bout de la queue de la fin d’une illusion (messianique)… C’est peut-être pas une si mauvaise nouvelle… Le monde est là maintenant, concret et généreux, les images nous en donnent des reflets plus ou moins éclairants qui nous ramènent à la juste mesure des choses… Aimer les images et les défendre, protéger leur capacité à nous faire jouer avec elles, contre ceux qui les asservissent ou les bâillonnent, c’est tout simplement partager un moment de présence au monde…
    C’est mieux que ce vieux rêve d’avenir radieux pour l’humanité qui avait tout du leurre commercial…

  3. C’est bien. Pas d’illusion, enfin, on rentre dans du concret ! ça fait mal, ça bouscule, mais ça libère !
    Dommage que nous devions nous prendre « une grande claque dans la figure » pour comprendre mais estimons-nous heureux.

    Puisse, maintenant, une majorité d’êtres humains emprunter le chemin de « l’humanité vraie ».

  4. @Olivier b. : C’est mieux que ce vieux rêve d’avenir radieux pour l’humanité qui avait tout du leurre commercial…

    Vous êtes bien optimiste ! Remplacer la foi dans le progrès par l’envie (péché capital ET moteur de l’économie), c’est un peu déprimant pour un enfant de 1968 comme moi. Il y a une époque où non seulement les gens pensaient que demain serait meilleur et que la condition de leurs enfants serait meilleure que la leur, mais où en plus cette opinion était valide ! La foi dans le progrès est performative, et dès qu’elle n’est plus là, chacun reprend ses billes et se replie sur ce qu’il a ou qu’il croit avoir (une « identité nationale » par exemple)
    Le jour où on a réussi à confondre dans l’esprit du public les mots « réalisme » et « résignation », ce jour là les Berlusconi et compagnie ont gagné et le monde a beaucoup rétréci.

  5. Bien sûr, il faut avoir confiance en l’avenir et ouvrir des voies et des chemins à nos enfants… l’idée du progrès général est séduisante, mais force est de constater qu’elle ne marche plus… mai 68, le beau mai aura été le point de départ d’une grande illusion… J’ai grandi dans l’aura de mai 68 et sa mythologie m’a nourri, la parenthèse enchantée de mon enfance dans les 70 ‘s était un délice, les années Mitterrand un bonheur… J’aimerais voir l’avenir comme les français de gauche pouvaient le voir en entendant le temps des cerises sur la place de la Bastille le 10 mai 81…
    mais vu d’aujourd’hui, on constate que ce foisonnement d’idées et de créativité magnifique aura magnifiquement posé les bases hédonistes du monde consumériste égotiste et néolibéral et l’Utopie qu’on vantait alors a trouvé sa forme ; le centre commercial standard et son objet idéal ; le produit « bio » ou hign tech, le produit pur… L’avatar est l’aboutissement de cette réification… comme corps idéal. l’ultime produit, le corps.
    Je crois qu’il est temps d’imaginer un avenir qui ne serait pas un report messianique dans l’universel mais adviendrait dès maintenant dans le local et le partage, pas dans l’identité, mais dans le lieu partagé avec ceux qui sont là.
    Une nouvelle étape dans le processus d’émancipation pas une résignation… Espérons qu’une forme de pensée proliférante se saisira des moyens d’internet pour y établir les bases paradoxales d’une conquête du présent…

  6. Je souscris aux analyses de olivier b. sur l’accomplissement du messianisme.
    A lire : L’Actualité, pure, essai sur le temps paralysé, dans la collection « Travaux pratiques » des PUF, de C. Lagandré.

  7. Mr Gunther,

    Je fais parti de la generation sans ideaux (27 ans), je ne crois pas en Dieu, communisme ou capitalisme. Pourtant j espere faire parti de la generation des Heros celle qui s est illustree par son realisme pour changer les choses. Nous n’avons pas perdu espoir, bien au contraire nous avons une bien meilleure idee de la tache qui nous attend… Et nous esperons reussir la ou nos aines ont baisse les bras 😀

    Bonne journee

  8. @adam : le mantra « le pire n’est jamais sûr » est contraire à la seconde loi de la thermodynamique ainsi qu’au proverbe qui édicte que les tartines tombent toujours du côté beurré 🙂
    Ainsi, la liberté sur Internet ne cesse de se dégrader depuis que nos-z-élites y prêtent attention, et il ne passe pas une semaine sans qu’un député se demande s’il ne faudrait pas réglementer la liberté d’expression sur le réseau.

  9. Lelouche Lamperouge a raison. Les générations de l’après baby-boom ont beaucoup moins de rêves. Mais elles commencent à agir, différemment, avec réalisme. On ne se bat plus pour des idéaux d’avenir, mais pour se loger, pour rester en bonne santé, pour sauver ce qui peut l’être, tout de suite. J’ai idée que ça peut être plus efficace, finalement.

    Reste à savoir si ça sera suffisant, étant donné que le constat fait dans l’article est par ailleurs parfaitement juste.

  10. Le 11 septembre comme cassure « plus rien ne sera comme avant » : je ne suis pas sûr de ça, je me souviens du type qu’on avait précipité dans l’eau, sur l’Achille Lauro, vous vous souvenez de cette image ? Je me souviens aussi de ces images de « nuit et brouillard » qui me semblent (me semblent) soutenir cette fin de l’espoir (si Dieu n’existe pas, alors tout est permis) qui ne date pas de cette décennie écoulée. J’ai plus tendance à penser que le monde, comme il est (les paradoxes de la politique actuelle, écoeurante, nauséabonde et ignoble) serait dans la lignée de, par exemple, ce qui nous est donné à voir dans le film « Vincere » qui dépeint (un peu) la position du pouvoir aujourd’hui, ici, en Occident… tous mes voeux, en attendant mieux.

  11. Il est difficile de ne pas être sensible à vos arguments. Le présent est lourd et l’avenir sans doute encore davantage. Pour ma part, ayant choisi d’étudier l’économie dans les années 60 – et ce qui m’apparaît de plus en plus problématique aujourd’hui, de l’enseigner ! – je mesure mon désespoir à l’extinction de celui qui baignait cette discipline d’enseignement dans ces années soixante. La notion de progrès traversait de part en part cette discipline qui cherchait à se hisser au rang de science, et qui y est parvenue : le progrès technique, moteur de l’évolution des systèmes, capitaliste ou collectiviste, permettait le progrès économique et celui-ci devait déboucher sur le progrès social. Les pays issus de la décolonisation nouvellement indépendants, promis à la démocratie, à la révolution démographique annoncée, se dirigeaient inévitablement vers le développement et la « consommation de masse », étape ultime et bienfaisante… C’était sans compter l’épuisement de la planète et le retour de la barbarie. Je crains, en effet, que la réalisation de la prophétie de Malraux, contestée dans la forme mais non dans l’esprit, selon laquelle le XXIième siècle serait religieux, n’advienne. Mais l’humanisme est encore un magnifique combat…

  12. Si dans 200 ans il existe une « histoire des mentalités », sans doute fera-t-on lire aux étudiants ce très beau texte qui ne peut que serrer la gorge et le coeur de qui a été enfant dans les années 60 et n’a jamais eu envie d’une rollex pour ses 50 ans.
    Je crois tout de même qu’il faudrait élargir la chronologie du retournement. Il a, je crois, commencé dès les années 1980 avec le reagano-thatcherisme et en France avec la trahison mitterrandienne, continué dans les années 90 avec, entre autres, la guerre du Golfe, l’échec du « processus d’Oslo », le génocide rwandais que j’ai honte de n’avoir compris qu’a posteriori… Le désastre des années 2000 n’est peut-être que le fin du retournement, laissant visible la face hideuse d’un capitalisme décomplexé par l’échec des tentatives de réformer les dictatures « communistes », masquant l’avenir. Il y a tout de même un homme d’Etat à qui j’aurais envie de présenter mes voeux de réussite pour les années 2010 : Evo Morales. On trouve toujours quelque chose à espérer, non ?

  13. Eh ben ! Il y a des gens encore plus désespérés que je ne peux l’être !
    Bah ! Qui inventera la recette du désespoir ? Qui commercialisera la couleur des rêves ?

  14. Votre texte est douloureux de réalisme et synthétise en quelques lignes notre situation post illusion, mais n’y a t il pas comme toujours autant de raison de baisser les bras que de relever la tête et de se battre car les outils sont là…une forme d’exercice de la démocratie, du partage de l’information et du fruit de l’expérience globale/locale sur les modèles Wiki, Open Source, participatif et redistributif appliqué à tout les secteurs…quelque chose qui ferait cohabiter le meilleur des deux mondes..entre le compétitif et le coopératif: le COOPéTITIF…

  15. Merci à tous pour vos réactions. Je suis frappé par la revendication, par les plus jeunes, du « réalisme », qui me paraît relever de même ensemble de symptômes que celui que j’ai essayé de dessiner.

    Au-delà de ce qui se voulait un exercice de constat, sous la forme de la réduction au traditionnel jeu des bornes chronologiques, autour de la figure de l’an 2000, ce que je crois est qu’une société qui n’a plus de rêves n’est pas une société qui va bien.

    D’abord parce que, contrairement à la fiction complaisamment entretenue depuis les Lumières sur la rationalité de l’Occident, notre société n’est pas différente des autres communautés étudiées par les historiens ou les anthropologues, qui ont démontré la place centrale occupée par l’imaginaire.

    La capacité d’une société à se projeter collectivement vers l’avenir me paraît un élément fondamental du contrat social, en l’absence de quoi nous voyons bien que l’adhésion s’éparpille et se perd. Le sens du politique, depuis 1789, est d’être un projet, un programme toujours à accomplir, ce qui le distingue d’un objectif simplement gestionnaire.

    Or, il n’est pas exact d’affirmer que la société contemporaine n’a pas de rêves. On peut en identifier quelques-uns assez clairement, comme le rêve de la beauté parfaite, de la réussite ou de la célébrité, constamment répétés par les images, incarnés par quelques destins particuliers (Michael Jackson). Mais ces rêves, quoique largement partagés, ne sont pas des projets collectifs. Ce sont des projections individuelles égoïstes, qui ne sont pas perçues comme légitimes, car nous faisons très bien la différence entre le désir individuel et l’aspiration collective, qui est la seule que nous qualifions de fait culturel.

    La lecture illusionniste ramènera toujours l’imaginaire au trucage et au bluff. Mais contrairement à ce que dit Debord, on ne fabrique pas des rêves pour faire marcher une société. En cette matière, il vaut mieux suivre Mauss ou Lévi-Strauss, qui montrent que c’est ce en quoi une société croit qui devient vrai.

    A titre personnel, je n’ai pas perdu espoir dans le collectif. Au contraire, je pense qu’il existe une ressource considérable du côté des outils en ligne, que je m’attache à déployer dans les domaines qui sont les miens. Ce qui est véritablement le plus difficile aujourd’hui, c’est de conserver un espoir global – et pas seulement le désir de préserver sa communauté dans une niche, façon Tarnac, à l’abri des imbéciles. C’est difficile parce que des artisans de la discorde, comme Sarkozy, ont tout fait pour faire exploser la possibilité même d’une relation entre les différentes parties de la société. Mais si je pensais que c’est Sarkozy qui devait avoir le dernier mot, je sècherai sur place comme une brindille morte.

  16. Oui, la foi dans le progrès est performative et les outils en ligne ouvrent un champ immense à l’expression de cette foi ! Détournons nos regards du flot des visibilités marchandes et de celles du pouvoir, au parti lié. Croisons nos regards sur ce qui fait sens et donnons le au monde ! Non, nous ne deviendrons pas des brindilles mortes !

  17. Après la chute du mur et la fin de la guerre froide, il y a eu un bref intervalle d’hyper-arrogance de l’occident libéral (par exemple 500 000 enfants morts de malnutrition en Irak du fait de l’embargo – justifiés avec un cynisme glaçant par Madeleine Allbright, la grande mascarade du processus de paix en Palestine – en réalité Israel a toujours fait ce qu’elle voulait), qui a eu pour conséquence le 11 septembre entre autres, mais surement pas un intervalle de paix.
    Je ne parle pas du démantèlement continu et soutenu de tous les acquis sociaux, de l’état social, de la déréglementation économique et financière etc .. Une autre façon de faire la guerre.

  18. « Ce qui est véritablement le plus difficile aujourd’hui, c’est de conserver un espoir global – et pas seulement le désir de préserver sa communauté dans une niche, façon Tarnac, à l’abri des imbéciles. »

    Nous sommes devant une crise de l’universalisme d’origine chrétienne qui a globalement ouvert le temps messianique par lequel l’occident a conquis le monde pour l’emmener vers les lendemains qui chantent… et on a déchanté…
    Peut-être qu’aujourd’hui, le mythe de la planète à sauver (qui ne manque pas de fondements mais est aussi un mythe comme tu l’as montré) est, à un certain niveau, une ultime tentative pour relancer cet universalisme occidental…
    mais une nouvelle forme de partage et de collectif se met peut-être aussi en place où l’universalisme serait remplacé par ce que Fançois jullien appelle le commun… un champ partagé sans paradigme dominant… le dialogue plutôt que le discours…
    Je ne crois pas que Tarnac soit une niche communautaire, de même que le net qui n’est pas un mass média n’est pas pour autant qu’un réseau de niches presque isolées… Un modèle à deux niveaux se dessine peut-être, où le local serait aussi offert au monde entier… dans le temps…
    Un site spécialisé de haut niveau n’est pas destiné à plaire à tout le monde, mais tout le monde peut s’y intéresser…
    Miguel Torga dit que « l’universel, c’est le local moins les murs » voici peut-être un nouvel universel… qu’internet rend possible.
    Tarnac n’était pas une secte, et ce qu’on leur a surtout reproché c’est d’avoir des liens à l’étranger et d’aller aux USA, en Grèce ou en Allemagne… C’est là qu’ils inquiètent, Un net sans câble… sans réseau téléphonique… Un net incontrôlable…
    J’ai l’impression que quelque chose qui serait une pratique, un usage du monde, descend des hautes sphères du paradigme pour se poser sur le sol du quotidien où s’exerce la liberté et la responsabilité… un partage des subjectivités… qui peut se penser contre l’universalisme et qui se fera peut-être comprendre, en France, dans le rejet de Sarkozy en 2012…

  19. Je partage le sentiment (générationnel? en tout cas très fort parmi les gens de mon âge et de mon milieu) de l’écroulement de toute foi fondamentale dans le progrès et dans l’universel. Je partage aussi les pointes d’optimisme ou de résistance relevées ici ou là, à partir du web surtout. (Le développement durable, ça veut dire quoi, exactement??) Je trouve dure l’analyse d’Obama. S’il y a un pays où, même après le débat sur le système de santé, une foule de pessimistes désabusés a retrouvé un semblant de foi dans la politique, c’est actuellement les Etats-Unis. Mon grand regret pour cette année est d’ailleurs d’avoir dû renoncer (pour le moment) à y faire un séjour durable. Mais entre BO et NS, je répète: il n’y a pas photo.
    Bonne année à tous.

  20. @François: Dire qu’il n’y a pas photo entre BO et NS suppose la possibilité de les comparer. Ce qui, hors le cercle de la tribu Sarkozy, ne paraît pas une idée sérieuse 😉 L’élection d’Obama a suscité un grand espoir, que nous avons déjà en partie oublié, occupés par le rétrécissement quotidien de notre îlot en peau de chagrin. Mais à peine un an après l’investiture, celui qui promettait d’être le président le plus ébouriffant depuis Kennedy (« Yes we can ») s’est terriblement chiraquisé. Celui qui a nommé Geithner au Trésor, oublié Gaza, fait la réforme du lobby pharmaceutique, envoyé d’une main les troupes en Afghanistan tandis qu’il recevait de l’autre le Nobel, planté Copenhague… – faut-il continuer? – n’a plus beaucoup de crédibilité, si j’en crois ses ex-partisans et militants de campagne. Reste la classe, et une indiscutable photogénie. Pour un visualiste, ce n’est pas rien – et à côté de la catastrophe Bush, les Américains n’ont pas tout perdu. Mais en comparaison des espérances qu’avait suscité sa candidature ou du rendez-vous avec l’Histoire qu’il avait su mettre en scène, il faut bien admettre qu’il y a un monde. En l’espèce, il ne s’agit pas seulement d’une désillusion ou d’un retour aux réalités, mais plus profondément de ce qui apparaît comme l’échec de toute tentative de changement de la grille néolibérale par les moyens démocratiques. Après Obama, personne n’aura plus besoin de faire de promesses. Suffira de se pointer, avec une mine un peu plus fraîche que le prédécesseur, et on sera élu avec 25 % des votants, pour gérer l’étape suivante de la mondialisation. Bon d’accord, j’exagère. Ou c’est simplement que j’anticipe?

  21. Bien d’accord sur toutes les « déceptions » — mais ce sont des déceptions plutôt européennes. Vaste débat, et on sort de ton sujet. Et il est trop tôt pour juger du « rendez-vous avec l’histoire »; wait and see. Je trouve juste qu’Obama ne rentre pas vraiment dans le schéma global décrit ici. Son élection — quels que soient ensuite ses « résultats » en matière de politique publique — a fait taire tous ceux, très nombreux aux USA sous Bush (cf. Michael Moore etc.), qui pensaient que la mainmise du clan neo-con sur l’Etat et la société était irréversible. Et cette élection a un sens démocratique fort, un sens porteur d’avenir, y compris en France, sur pas mal de plans. La photogénie et la classe n’en sont qu’un aspect — certes à ne pas négliger. Enfin, si je disais encore une fois « y a pas photo », c’est justement parce que NS et son clan prétendent jouer dans le même genre de registre que BO. De ce point de vue BO est déjà efficace, comme contrepoint, en France. Ne soyons pas trop radicaux à ce stade de déconfiture. (La déconfiture, c’est le contraire de la confiture: plus on en a, plus on l’étale.) Amitiés

  22. Ce serait assez amusant, si ce n’était finalement assez triste. Il y a là un article expliquant que l’humanité a perdu l’espoir en un monde meilleur, et trois commentaire répondant de suite « youpi, elle est devenue réaliste ! ». Un article qui dit que le monde est maintenant esclave d’une peur omniprésente, qu’il a perdu tout sens de progrès social ou scientifique, et ensuite, des gens qui le contredisent en affirmant se battre dans leur vie pour ne pas se faire renvoyer de leur travail.

    Je suis sincèrement désolé, mais la résignation n’est pas une qualité. L’étroitesse de vue n’est pas une grâce. L’égoïsme n’est pas le bonheur, la peur ne vous rend pas plus fort, et combattre dans votre vie pour avoir droit aux allocs n’est pas combattre pour le progrès de l’humanité. Se prévaloir d’un ou de plusieurs des états déplorables du monde comme d’une qualité empêche de le voir comme il est vraiment, et comme tout mensonge, cette illusion ne peut amener que la discorde.

    Ceci dit en passant, et sans méchanceté.

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  25. Je vois de-ci de-là des introspections sur notre passé récent, comme ce texte plein d’émotion et de profondeur. Moi ça me fait du bien, je me sens moins seul et c’est important(je ne suis donc pas fou !).
    D’aucun n’y voient que du pessimisme ou de la résignation, moi j’y vois de l’espoir car comment avancer sans savoir qui l’on est. Comment trouver des solutions sans regarder en face les données du problème. Ce texte sent la prise de conscience, et il n’est pas le seul. Se débarrasser de nos vieilles illusions, de tout nos patterns vitaux basés sur du faux, ça c’est un défi. Le changement a toujours été dur et violent et le temps en est une donnée essentielle.
    J’ai envie de penser que nos mass-média perdent en pouvoir, nos politiques en crédibilité. Que si la surface ne bouge pas le fond lui, vibre.
    Vous l’aurez compris, pour ma part on n’en n’est pas aux solutions. Décrassons, éveillons, recherchons, résistons, les solutions suivront.
    A lire dans la même veine :
    http://sebmusset.blogspot.com/2009/12/la-guerre-du-travail-sans-travail-sans.html

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