Anatomie d'un World Press Photo

Le World Press Photo a désigné le 15 février ses lauréats pour l’année 2013. Le prix de la photographie d’information a été attribué à Paul Hansen, du journal suédois Dagens Nyheter, pour une image initialement publiée le 21 novembre 2012, intitulée « Un enterrement à Gaza ». Reprise par les principales agences de presse, cette information a fait l’objet d’une large diffusion. A partir de l’examen d’une vingtaine de sources françaises et étrangères, et en se concentrant sur le prix principal, on peut relever plusieurs caractéristiques typiques de cette présentation.

La publication du palmarès est l’occasion de la diffusion d’informations sur l’institution. Le prix est « prestigieux », le World Press Photo est décrit comme « le prix le plus prestigieux du photojournalisme », le « plus célèbre concours photo de la planète » ou « le prix Pulitzer du photojournalisme ». Cette qualification autoréalisatrice justifie la diffusion de l’information. La médiatisation du concours a pour effet de renforcer l’institution.

Plusieurs organes précisent les conditions du concours: « Pour cette édition, plus de 103.000 photos avait été soumises au jury, composé de 19 professionnels du photojournalisme et de la photographie documentaire, qui a récompensé dans 18 catégories 54 photographes de 32 nationalités différentes, choisis parmi 5.666 photographes de 124 nationalités différentes » (Nouvel Obs). « Le vainqueur empoche la somme de 10.000 € et recevra un reflex et une optique professionnelle de la part de Canon, sponsor de l’événement » (Le Monde de la photo).

La majorité des articles se borne à la reprise plus ou moins aménagée des dépêches d’agence. Un groupe plus restreint propose divers développements, qui comprennent souvent une description et/ou un commentaire de l’image. Presque tous reproduisent la photo de Paul Hansen, dans la version décontextualisée diffusée par le World Press, avec quelques variations de cadrage ou des corrections de lumière ou de densité (voir ci-dessus, cliquer pour agrandir).

Esthétisation du photojournalisme

Le commentaire de l’attribution du prix justifie l’exercice exceptionnel de l’ekphrasis: « La rue est étroite, étouffante, une foule en pleurs avance, comprimée entre deux murs de béton. Deux hommes ouvrent le cortège qui s’écoule, portant chacun un linceul dans les bras. L’un pleure, l’autre crie sa colère. Sur le visage des deux enfants morts, une expression de paix qui contraste avec la fureur ambiante » (BFMTV). Le jugement esthétique s’exprime sous la forme de la reprise d’avis autorisés, en particulier ceux des membres du jury: « La force de cette photo réside dans le contraste entre la colère et la souffrance des adultes par rapport à l’innoncence des enfants », a déclaré le Péruvien Mayu Mohanna, un membre du jury » (Nouvel Obs). « Une image que la photographe française Dominique de Viguerie, membre du jury, a qualifiée de « cinématographique » et d' »universelle » (Le Monde).

Cette appréciation esthétique, habituellement inexistante, est le facteur clé qui fait passer d’une interprétation de l’image comme support d’information transparent à sa perception comme œuvre.

Le prix entraîne logiquement la promotion du photographe. Plusieurs organes publient son portrait avec sa photographie ou reprennent ses propos, selon des formes également stéréotypées (« I’m very happy, but also very sad. The family lost two children and the mother is unconscious in a hospital« , Huffington Post). Cette mise en avant d’un auteur en situation de réflexivité par rapport à son œuvre est un autre ressort de la construction de l’icône.

La description de l’image fournit l’occasion de revenir sur l’événement représenté. En fonction de leur positionnement politique, quelques organes s’emploient à souligner la tragédie palestinienne. Le Washington Post reprend le communiqué de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, qui décrit le bombardement de la maison des Hijazi. Comme pour d’autres prix World Press, les informations diffusées sont souvent approximatives. Une erreur de l’AFP, qui décrit les deux petites victimes comme des frères et leur attribue respectivement 2 et 3 ans, est généralement reprise, au lieu de l’identification correcte de Suhaib, petite fille de 2 ans, et Muhammad Hijazi, 4 ans, tués le 19 novembre (et non le 20).

La question de la retouche

Le commentaire peut également comprendre des éléments d’information issus de la conférence de presse. Claire Guillot, envoyée spéciale du Monde à Amsterdam, relève que « le contraste prononcé et l’éclairage travaillé de cette image n’ont pas manqué de relancer le débat sur la question de la retouche des images par le logiciel Photoshop dans le photojournalisme ». En donnant la parole aux membres du jury, la journaliste banalise toutefois ces corrections, ramenées à l’exercice habituel de l’interprétation photographique.

Parmi les premiers compte rendus, on ne rencontre qu’un seul commentaire critique, publié par Télérama. Tout en estimant que « c’est une bonne image », Luc Desbenoit juge que « son auteur a vraiment eu la main lourde dans ses retouches sur Photoshop ». « En saturant ses couleurs, il cherche à sortir son cliché de l’instantané, à le rendre comparable à une peinture. C’est plus noble (…) Mais sa faiblesse est précisément qu’elle ne cherche qu’à atteindre nos émotions de plein fouet. A nous tirer des larmes, pas à nous faire penser. »

La question de la retouche à l’occasion d’un prix photographique est un sujet de polémique classique, qui fournit un angle supplémentaire de traitement. L’article « Le World Press Photo fait débat » publié par Le Temps oppose à l’opinion de Luc Desbenoit les avis des membres du jury, qui justifient leur décision. Comme lors de controverses semblables, la frontière est tracée entre les corrections à caractère « esthétique », qui relèvent de l’interprétation, et la modification ou la suppression d’un détail.

Expressivité vs contexte

La décontextualisation de la photo primée ôte à cette discussion tout élément concret. Le cas est pourtant des plus intéressants, car Paul Hansen a clairement choisi deux interprétations différentes de son image. Sa première publication en Une du Dagens Nyheter optait pour une version plus chaude et plus lumineuse (version choisie et assumée par le photographe comme en témoigne l’agrandissement grand format publié par le quotidien à l’occasion de la remise du prix). La version soumise au World Press propose en revanche une vision aux couleurs éteintes qui donne à l’image un petit air de « Nuit des morts-vivants » (voir ci-dessus). Plutôt qu’à une critique de la retouche, cette variation sensible de l’ambiance lumineuse invite à questionner les contextes d’utilisation des images du photojournalisme. On peut en effet douter que la seconde version, sinistre, aurait été retenue pour illustrer la Une du Dagens Nyheter. Celle-ci paraît plus appropriée pour une exposition en galerie.

On notera enfin la totale absence de remise en perspective de l’image primée dans le contexte du World Press. Il aurait pourtant été judicieux de relever le caractère répétitif de la photographie de deuil dans le cadre du concours, qui correspond au motif de loin le plus abondant (pas moins de 11 occurrences en 56 ans, voir ci-dessous) et croise également d’autres thèmes bien représentés, comme les enfants morts ou mourants (7 occurrences) ou les palestiniens (4 occurrences). Plutôt que d’alimenter le sempiternel débat sur la retouche, ne serait-il pas temps de réfléchir au caractère stéréotypé du « lyrisme » photojournalistique ou à la question que nous adresse la réitération de ces images aussi douloureuses que manifestement inefficaces?

Exemples de prix World Press illustrant le deuil (Don McCullin, Mustafa Bozdemir, David Turnley, Georges Merillon, Erik Refner, Arko Datta).

    Lire la suite:

    38 réflexions au sujet de « Anatomie d'un World Press Photo »

    1. On pourrait ajouter à cette dernière série la fameuse Madone de Bentalha de Hocine, également lauréat du World Press. La nouveauté ici, s’il faut en chercher une, serait peut-être que sur cette photo le deuil est porté par des hommes. Mais quant au reste…

    2. Lightroom, Photoshop et Compagnie, c’est comme les boissons alcoolisées : à utiliser avec modération. En cas d’abus la tête tourne !

      A lire aussi l’analyse de Jean-Marc Bodson, le spécialiste ‘photo’ à La Libre Belgique. Il a d’abord tenu à relativiser l’importance accordée à cette seule image puisque « le World Press Photo propose de multiples catégories. Au moins 50 photos sont lauréates chaque année ».

      La suite ici
      http://www.lalibre.be/culture/arts-visuels/article/797892/un-world-press-photo-dans-l-exces.html

    3. @ Sylvain Maresca: Tout à fait! (je me suis penché récemment de manière plus extensive sur le cas de la « madone » de Bentalha: http://culturevisuelle.org/icones/2609 ). Pour rester fidèle au cliché, les hommes sont moins souvent saisis en posture de « pleureuses », mais les archives du WPP contiennent cependant déjà ce motif, p. ex. la photo de David Turnley (1988) reproduite ci-dessus.

      @ Molly Benn: Merci de la correction, mais il s’agit d’une citation du Monde… 😉

    4. Ce débat sur la retouche est en effet assez stérile, à la longue. Bien sûr il y a la « réalité » au plus proche, avec une image brute, aux couleurs relativement fidéles (je crois qu’ici, c’était celle que revendiquait le photographe, l’information brute sans esthétisation) ; et puis il y a toute la panoplie des couleurs retravaillées pour souligner tel ou tel type de message (s’il y en a un), la version pour WorldPress, la version pour le Musée Chose, la version pour le bouquin sur la guerre, la version carte postales, etc. Chaque fois un rendu un peu différent. Selon la « cible ». Le même débat que jadis sur le noir et blanc qui « dramatisait » les images, les rendait « intemporelles ». Il faut ou il faut pas ? Le débat ne sera jamais fermé. De toute façon, se dire qu’une image, quelle qu’elle soit, n’est jamais la réalité. N’est jamais « exacte ».

      Pour ce qui est des steréotypes des « photos de concours » (un peu comme les chevaux de concours), on arrive doucement, année après année, à l’archétype, l’image fédérative, qui résume tout. Le modèle. En l’espèce il y a les visages éplorés (des femmes le plus souvent), la présence d’enfants, une sémiotique classique/biblique de l’image, une souffrance palpable (comme si l’image « criait »), etc. A tel point qu’on pourrait imaginer un photographe de presse tenté de fabriquer une image (ou chercher le cadrage approprié, ce qui revient presqu’ au même), eu égard au nombre de « signes » incontournables qui « doivent » composer le cliché définitif. D’ailleurs, de mettre côte à côte ces clichés, comme vous l’avez fait, n’est pas sans convoquer la dimension comique d’une telle régularité. Une tragi-comédie à l’italienne, dirait-on. Alors que la souffrance est bien réelle. Ce paradoxe saute peut-être plus aux yeux des historiens de l’image, ceux qui les compilent, les mettent en perspective, les classent et les analysent, qu’au public juste saturé d’images, pour qui l’actualité est toujours nouvelle. Aussi le choix de ce type de construction d’image, précisément codé, fonctionne-t-il peut-être comme repère pour le public, une icône annuelle censée lui faire entendre la souffrance universelle.

    5. Ping : Clemi
    6. @ NLR: Oui, la question est plutôt celle des différentes versions que celle de la retouche. En l’occurrence, on pourrait se demander pourquoi le WPP couronne un tirage pour galerie plutôt que la photo qui a réellement fait la Une. Mais les institutions de promotion du photojournalisme ne sont pas à une contradiction près – et c’est à mon sens plutôt de ce côté-là que devrait se situer la discussion…

      @Manu Kodeck: Ainsi qu’en témoigne mon compte rendu, basé sur la première salve des commentaires, on ne relève qu’un seul article critique, les autres mentions de la question de la retouche allant au contraire dans le sens d’une normalisation de son usage. Le « débat » est donc très relatif. Disons plutôt qu’il y a, comme chaque année, diffusion de l’information (qui profite à l’institution WPP) et transformation de la photo (qui est observée comme une œuvre et plus comme une image d’information).

      Au-delà de ce constat, les deux points qu’il me paraît plus utile de noter, c’est: 1) que le « débat » sur l’image paraît cantonné aux seuls spécialistes. A l’exception notable de Luc Desbenoit (qui se fait vite ramener à l’ordre par ses confrères), les journalistes se cantonnent au rôle de porte-paroles de photographes-experts. 2) Le seul ressort du « débat » est la question de la retouche, de ses limites ou des tolérances admissibles. Même les photographes ne semblent plus capables d’articuler un jugement sur d’autres facteurs que celui-ci. Pourtant, dans le cas de la photo de Hansen, ce n’est clairement pas la question des corrections qui importe, mais plutôt celle d’un choix de rendu ou de la stéréotypie du motif.

    7. Une expression de photographe qu’on utilise souvent « tiens, j’ai fait, une photo WorldPress ». Sous entendus une photo qui « claque » en langage courant.

      Pour rebondir sur la fin de l’article et sur la caractérisation d’un genre WorldPress, nous autres photographes y participons directement puisque que ça soit au niveau des indépendants ou des agences, on réalise une sélection spécifique à chaque concours auquel on participe en prenant en compte les critères esthétiques du dit concours. Les photographes et iconos ont bien intégré ce qui marche au worldpress et vont orienter leur editing en ce sens.

      Il y a maintenant de multiples catégories à ce concours qui permettent parfois de voir des images un peu différentes au niveau de l’iconographie, mais cela reste accessoire et adjacent à la photo principale primée.

    8. « La réitération de ces images aussi douloureuses que manifestement inefficaces? » & la question du « choix de rendu ou de la stéréotypie du motif » me font penser immédiatement à la nécessité d’une catharsis répétée. J’y vais au doigt mouillé, mais il me semble qu’il s’agit souvent d’un professionnel occidental ou du cru, mais « validé » par des instances occidentales (en tant que détentrices légitimes du regard – prix, supports, Histoire, etc.), photographiant les malheurs du tiers (ou du quart ?) monde. Nous nous purgeons des malheurs d’un monde qui est aussi le nôtre, au risque de verser dans un misérabilisme stérilisant.

    9. Propos largement pertinents:
       » Plutôt que d’alimenter le sempiternel débat sur la retouche, ne serait-il pas temps de réfléchir au caractère stéréotypé du “lyrisme” photojournalistique ou à la question que nous adresse la réitération de ces images aussi douloureuses que manifestement inefficaces?  »
      Cela étant, un débat sur la répétition, année après année, du même « type » d’images n’implique pas nécessairement, me semble-t-il, que l’on doive cesser de discuter de la « retouche » qui, aussi, demeure une forme de manipulation potentielle.Il est vrai par ailleurs que ce que vous soulevez d’autre part mérite amplement d’être débattu.

    10. @André C’est quand même un instant particulier qui aura peut-être un jour sa place dans la chronologie du passage au numérique dans la profession photographique dressée par Sylvain Maresca http://culturevisuelle.org/viesociale/3643 :
      L’année où le WPP a admis le fait que la photographie était devenue numérique… et l’usage du traitement numérique de l’image normalisé.
      Bon, en même temps la photogravure au temps de l’argentique permettait déjà de modifier la colorimétrie des images selon les desideratas du support.
      A ce propos, je me demande si l’agence qui a proposé cette image la diffusait dans ces deux versions ou si ce sont les supports qui l’ont réinterprétés à partir du Jpeg.

      En ce qui concerne le caractère stéréotypé des images récompensées, ce qui me frappe sur la durée, c’est que l’on ne « récompense » plus depuis longtemps les photos de soldats. La guerre du Vietnam c’était la photo iconique de Kim Phuc, mais c’était aussi beaucoup de photos de soldats (généralement blessés ou morts). On fait toujours la guerre, mais on en a un peu honte. Alors on assume les victimes civiles et la mauvaise conscience qui va avec, mais pas ceux qui la font?

    11. derrière une photo il restera toujours une intention et c’est heureux, cependant on est confronté aux limites du procédé, il suffit de photographier un océan déchaîné, il manquera toujours le bruit et les embruns. Je ne trouve pas critiquable en soi les tentatives d’accentuations si c’est pour exprimer le ressenti de celui qui a pris la photo c’est plus une approche pour coller à la réalité vécue qu’un mensonge

    12. Merci André pour cette mise au point bienvenue qui revient non pas seulement sur la photographie primée mais sur le système dont elle est tout à la fois le produit et la promotion.

      Au fond, ce relevé indique la pauvreté du commentaire médiatique, y compris quand il s’agit de lui-même. Ce qui n’est vraiment pas bon signe. De la répétition servile d’une dépêche à l’ekphrasis pour commentaire… le champ de réflexion est bien bien étroit. Et traduit une approche bien enfantine de l’objet photographique, objet culturel dont les connaissances semblent pour ainsi dire proches de zéro.

      L’erzat de débat idéologique – la « retouche » (tadam !!) – prend des allures d’alibi intelligent et concerné (c’est quand même des images qui nous informent sur le monde : les retoucher relève du scandale moral, oh !). Alors même que la photographie du WPP est recadrée pour les besoins de chaque article ; Gaza, mentionnée en ps éventuellement ; les pauvres, de bons figurants pour ces images à condition qu’ils restent à leur place sur l’échiquier international.

      Par son côté tautologique (médias qui parlent de médias), ce rite du WPP révèle la redondance stérilisante et la vanité d’une industrie culturelle qui n’est plus guère qu’une industrie et en oublie l’adjectif « culturel ». Par l’effet de la comparaison à rebours, c’est la démonstration parfaite que la puissance des industries culturelles (florissantes et non pas en crise) vient aussi de leur force de proposition et d’innovation.

    13. Le débat se poursuit sur cette image – cette fois du côté des photographes… Le montage des deux versions que j’ai mis sur Flickr y contribue (voir notamment: https://nppa.org/node/35533 ).

      Le débat sur la retouche, à propos d’une photo qui n’est pas « photoshoppée », mais tout juste corrigée sur Lightroom ou Aperture, est inapproprié sur un plan technique, mais révélateur d’un horizon d’attente, et d’une stratégie de disqualification esthétique. Le caractère outrancier des résistances manifestées par la vieille garde (Leroy, Morvan, Mingam…), qui tient absolument à rejeter l’esthétique du côté de la peinture ou du cinéma, pour maintenir une photo vierge de toute expressivité est à la fois ridicule et fascinant… (voir notamment: http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=5621 http://www.atlantico.fr/decryptage/polemique-world-press-photo-peut-on-encore-croire-images-alain-mingam-644356.html )

      Cela dit, mon relevé a probablement minimisé le « mystère » représenté par l’aspect peu réaliste de la lumière dans la version primée par le WPP, qui continue d’alimenter les réactions – et le reproche de manipulation… Il serait utile que Paul Hansen s’exprime sur ses choix artistiques et ses options de correction. Un aliment secondaire du débat, que j’ai également omis de mentionner, est la colère des supporters de l’Etat d’Israël, trop heureux de pouvoir décrédibiliser l’image… A suivre…

    14. Très intéressant ! Cette histoire nous fournit un métariel passionnant pour percevoir les mutations du savoir (Arché/noème) photographique qui pécède notre regard sur les photographies, en particulier celles qui apparaissent dans le contexte médiatique du photojournalisme comme des emblèmes de la nature indicielle de la photographie

      Tu dis : « Plutôt que d’alimenter le sempiternel débat sur la retouche, ne serait-il pas temps de réfléchir au caractère stéréotypé du “lyrisme” photojournalistique ou à la question que nous adresse la réitération de ces images aussi douloureuses que manifestement inefficaces? »

      C’est une bonne question, mais je me demande si au fond ce n’est pas la même sous une autre forme… ce caractère stéréotypé renvoie souvent à des images de deuil, de violence, de mort… bref à des traumas… En revoyant les premiers prix depuis 55, je remarque qu’on évolue d’une certaine manière du trauma à l’icône, et de la photographicité de l’image à sa picturalité…
      Or l’image du trauma, ou plutôt la photo-trauma qui est une rencontre non préparée avec un réel insupportable est à même de faire jouer pleinement l’indicilité de la photographie, c’est-à-dire, comme le dirait R. Barthes, la dénotation… WPP récompense au début une image trauma qui met le spectateur devant un réel qui le heurte et qu’il ne peut facilement mettre en mots… la photo est alors à son comble, pure ouverture… Et puis on voit ces images évoluer vers une stéréotypie du trauma, à travers les lamentations, les métonymies (mains blessées…) qui traduit bien, il me semble, la chute du dogme de l’indicialité qu’on peut lire aussi dans la réaction caricaturale de la vieille garde… L’avènement de l’icône est une façon de renoncer au trauma du direct en opacifiant l’image, il n’agit plus alors comme preuve de la vérité (et de l’efficace) des images photographiques dont ce prix assure la promotion… Je crois que la dialectique entre l’icône (picturalité/forme fixe/ lyrisme) et le trauma (photographicité/réel/réalisme) dans la photo du WPP est un point de vue intéressant pour comprendre ce qui se passe… on passe du « ça a été » (trauma/réalisme) au « j’y ai été » (icône/lyrisme) … chute de l’index.
      Question : Combien de temps avant qu’un Instagram pris par un pro ne vienne semer la zizanie dans ce prix ?
      to be continued…

    15. Vous vous rendez compte de ce que vous écrivez ? Et vous êtes payé pour publiquement vous astiquer le clavier d’une main et je veux pas savoir quoi de l’autre ? Et par qui ?
      Vous en êtes ridicule ! « C’est trop ceci, trop cela, pas assez comme ça ! »
      Tu peux pas dire simplement dire que cette photo elle te secoue et que le mec qu’est derrière l’appareil il en a dans froc comme t’en as pas un centième !
      Sortez de votre burlingue qui doit sentir la naphtaline et passez le periph pour essayer de commettre quelques clichés !

    16. @Elodie: Votre libido vous entraîne sur des chemins où je ne peux malheureusement pas vous suivre… 😉 Le billet ci-dessus, comme le suggère son titre, est un relevé de la réception médiatique du WPP, et nullement un commentaire de la photo de Hansen. Que celui-ci ait toutes les qualités du photoreporter (y compris celle d’être un homme, un vrai) ne fait pas l’ombre d’un doute, mais ce n’est pas vraiment la question qui m’occupe…

    17. C’est bien cela votre problème. Contrairement à ce que vous dites, vous passez votre temps à émettre des jugements de valeur sans jamais vous intéresser à ceux qui réalisent les photos et à leur quotidien (je parle des vraies photos). Ce n’est pas vraiment la question qui vous occupe … Vous évacuez les photographes d’un revers de la main et cela décrédibilise votre travail d’observateur. En plus, cela énerve certaines personnes parce que vous avez une audience, tout auréolé que vous êtes de votre position de chercheur. Tant que vous n’aurez pas compris cela, vous passerez votre temps à faire des « relevés ». Vous pouvez effacer ce message, je m’en fous. Ce qui est dit est dit.

    18. Je ne peux pas raisonnablement discuter avec un type qui passe son temps à m’insulter à longueur de billet. Chacun pourra juger que ce traitement n’est pas réciproque, et que mon tort principal est de m’avancer sans masque, ce qui permet de ricaner à bon compte sur mon statut de chercheur (qui est évidemment la seule raison de mon audience…) et de m’enfermer dans la caricature bien pratique de l’intello-bobo-mandarin (ce qui est rigolo après 1500 billets et plus de 7 ans de blogging – activité qui suffit à me faire détester par les vrais mandarins, qu’on reconnaîtra facilement au fait qu’ils ne se risquent pas à la conversation en ligne, prière de passer plutôt par la secrétaire…)

      Frozen et moi n’avons pas le même agenda ni les mêmes questions à propos du photojournalisme. Loin de moi l’idée de lui indiquer de quelle manière il doit rédiger ses billets, ni de lui demander de justifier son point de vue. Mais venir chez moi discuter du mien suppose un effort minimal de compréhension. Dans mon papier, les jugement de valeur portent sur le traitement journalistique du concours, pas sur la photo primée. Le jour où Piglet daignera me lire plutôt que de projeter sur moi ses préjugés, on pourra peut-être causer, mais ce jour n’est visiblement pas encore arrivé…

    19. A Gaza City ce 20 novembre 2012 est une journée de malheur parmi des centaines d’autres. Une journée lors de laquelle deux drames eurent lieu, dont l’un est la conséquence de l’autre….deux photographes Paul Hansen et Adel Hana, parmi des dizaines d’autres, ont fait, chacun à sa manière, son travail. Le jury du World Press Photo a-t-il fait ce lien ?

      Ma lecture de deux photos primées au World Press Photo 2013, « La Photo de l’année » et le 3e prix de la catégorie « Spot News » dont j’ai découvert qu’elles ont été réalisées le même jour à quelques pâtés de maisons l’une de l’autre…et dont l’une est la conséquence de l’autre !!!

      http://du-photographique.blogspot.com/2013/02/chronique-controversee.html

    20. la photo fait débat, c’est sûr! Au delà différentes versions de la photo, le thème de la mort (d’enfant) récurrent, il me semble que cette photo mérite toute de même mieux que la volée de bois vert qui lui est infligée. Probablement que l’auteur a eu la main un peu lourde et probablement aussi que les bien-pensants de la « vraie » photo (prise en tout manuel, sans recadrage, ni retouche sur le PC) feraient mieux de revoir leur point de vue.
      Le photo-reporter, ou le photographe de guerre en l’occurence a pour mission de témoigner: peu importe, au final, la part d’esthétisation ou non dans sa démarche… le sens de l’image et sa force est pour moi la seule chose qui s’impose. Quand bien même il aurait fait cette photo avec un iPhone et Instagram, ou avec une chambre « à l’ancienne », il a saisi cet instant de vie… et de mort avec sincérité et justesse…

    21. […]

      Pour le photoreporter Corentin Fohlen,la polémique autour du World Press 2013 « n’est pas justifiée ». Selon lui, « la déontologie du photojournaliste impose de ne pas modifier l’information de l’image », mais les barrières en matière d’esthétique « restent à définir ». Devant l’emballement médiatique provoqué par la victoire de Paul Hansen, le jeune photographe rappelle quelques fondamentaux : « Il n’existe pas de vérité brute en photographie. En numérique comme en argentique, une photo brute est inexploitable, elle nécessite d’être traitée. Or, pour chaque image, des centaines d’interprétations sont possibles. »

      « Il nous manque encore nos Tables de la Loi »

      La retouche entre-t-elle dans le cadre de cette interprétation ? « Pour le grand public, le mot retouche est devenu synonyme de tricherie, de trahison de la réalité », observe Corentin Fohlen. « Mais c’est un terme extrêmement large, qui va des réglages indispensables pour chaque photo – comme l’ajustement du contraste – aux modifications radicales que peuvent effectuer les magazines de mode pour truquer la silhouette des mannequins. » Or, note-t-il, la photo de Paul Hansen ne contient pas de telles modifications physiques. Contrairement à la photo d’un lauréat du World Press 2010, dont la victoire avait été annulée pour cause d’altérations excessives.

      Le photographe de Divergences plaide pour un débat entre professionnels qui clarifiera les limites à ne pas franchir en termes de retouche esthétique. « Il nous manque encore nos Tables de la Loi », approuve Patrick Baz. Tout en rappelant qu’au-delà des discussions sur la retouche, l’objectivité photographique demeure illusoire : « Le cadrage, la focale, l’exposition… Tout est subjectif. On ne raconte qu’un instant, un 125e de seconde, avec notre culture et notre ressenti personnel. »

      Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/photo/20130221.OBS9691/world-press-photo-2013-la-victoire-de-photoshop.html

    22. je vous en prie monsieur Gunthert, un vrai plaisir de participer au débat qui ne fait que commencer. Si j’ose une comparaison, cela ressemble aux affaires de dopages, à partir de ce World Press Photo on ne va plus voir la photo de presse de la même manière, les profanes ainsi que les spécialistes vont attendre au tournant chaque photo publiée, et davantage si elle est consacrée. Et il est fort probable que certains vont revenir aux anciennes photos primées pour aller découvrir qu’est ce qu’elles pourraient nous cacher ! Car les meilleurs tour de passe passe sont ceux qui nous passe sous le nez !…Et c’est ainsi que la photographe, industrie et pédagogie, va se développer davantage. Bon travail

    23. «Il nous manque encore nos Tables de la Loi»

      Ce n'est pas nécessaire cela n'intéresse personne.
      C'est assez marrant de constater que les professionnels de la profession sont totalement incapables d'admettre que cette image, même si ses composantes reportages de guerre sont incontestables, son post-traitement est à chier, hollywoodien en diable, et que le WPP ne couronne plus des photographies, mais des images ou des allégories, mais pas des photographies.

      Au final, pour ceux qui courent les prix, ce n'est pas très important, le cahier des charges est connu, pour ceux qui …

      RLZ

    24. Plus que le post-traitement de l’image, c’est son contenu qui m’interpelle. Comme vous le soulignez, chaque année depuis un certain temps déjà, on nous présente un type récurrent d’images qui, en fait, sont des « reprises » de notre iconographie populaire et religieuse. Les juges de ce concours – et peut-être qu’à la longue les photojournalistes travaillent eux-aussi dans cette optique – priment un « type » d’images stéréotypé. Non pas que ces photos ne soient pas poignantes ou ne témoignent pas de la détresse humaine, mais il arrive qu’à un moment « l’effet Facebook » comme je l’appelle, joue. L’effet Facebook c’est de crier « Wahouuu » devant une photo postée… et de l’oublier 10 secondes après.
      Je me souviens avec précision de deux photos qui m’ont marqué : celle le la petite fille qui court sous le napalm au Viet-Nam et celle du jeune Vietkong qui va être abattu d’un coup de révolver. Ces deux images ne sortiront plus jamais de ma tête. Les dernières photos du WPP – sauf celle des « pseudo touristes à Beyrouth pour cause de fausse interprétation – rentrent dans cette zone où mon cerveau a du mal à trier entre images traumatiques et images esthétiques… bref un genre plutôt dérangeant qui n’accroche pas vraiment…
      On trouve presque une fascination morbide pour ce type d’images presque « marketing » ; un ami Yéménite m’a envoyé d’autres images bien plus terrifiantes d’enfants déchiquetés – et qui représentent aussi la réalité – or ces photos sont carrément impubliables et insoutenables. La vérité c’est quoi …?

    25. //la question que nous adresse la réitération de ces images aussi douloureuses que manifestement inefficaces ?//

      Tt, elles ont au moins cette efficacité : faire vendre du papier !

    26. Merci de parler de ce qui compte et qu’on oublie : le sujet.
      Allons, aucun média n’osera nous montrer la vie contemporaine, les écrivains n’y arrivent même plus, dépassés par la réalité, alors des journalistes.
      Intéressant d’observer comme l’art photographique, bien présent encore dans le photo-journalisme avec le prix 1964 (non ce n’est pas à cause du N/B), a cédé la place à une esthétisation picturale furieusement rétro, je veux dire baroque XVII-ème, XVI-ème plus rarement (c’est plus dur à faire!). Certains commentateurs ont relevé la dérive tragi-comique de cette peinture pompeuse et je ne m’attarde donc pas.
      Mais nous sommes hors-sujet, vous traitez de la réception de l’image par les médias. Et bien donc: RAS…

    27. I have been thinking of your article for about a week now, where in my opinion the most remarkable and interesting food for thought is your conclusion. My comment is also an attempt to push the discussion further and start to reflect on possible answers to the question you posed in comment N°8 (“pourquoi le WPP couronne un tirage pour galerie plutôt que la photo qui a réellement fait la Une?”)

      The fact that the WPP has regularly awarded photos that have this embedded pathos, this will of transmitting an emotion rather than informing (I stress) seems, at least for me, to be a more than a key research clue to follow.

      But the paradox is that the WPP has not only repeatedly been promoting and prize-giving these type of clichés but has never been able to put it into words bluntly. They could just say they are “World’s Pathos Photography” contest. (WPP will still work as acronym!)

      So the question that I should ask is: can the press (the information media in general) admit/explain that photography is a means to transmit emotions, a support of transference and projection, more likely to express feelings and not to convey raw information as if it were just 1s and 0s?

      Will this ever change? Isn’t this repetition of stereotypes and clichés the only unintelligent way the WPP has to circumvent (their own meta storytelling) and publicly show despair feelings about their too deep anchored non-confession?

    28. Oui, tu as raison. On pourrait dire, de façon très générale: le journalisme à un problème avec sa narrativité. Il se raconte comme une forme objective et neutre, alors qu’il est issu de la rencontre de la littérature et de la publicité, et que son moteur fondamental est une exacerbation de l’attention. L’appel à l’émotion est un facteur constant, mais jamais reconnu – et ce n’est pas prêt de changer… À ce contexte, le WPP ajoute une couche supplémentaire et paradoxale, qui change la nature du document visuel et force à une lecture esthétique et décontextualisante, en lui conférant une valeur symbolique. Ce qui me paraît contradictoire, c’est plutôt de ne pas reconnaître le rôle d’esthetisation de cette institution.

    29. DIGITAL PHOTOGRAPHY EXPERTS CONFIRM THE INTEGRITY OF PAUL HANSEN’S IMAGE FILES

      Following recent discussion and speculation in the media about the photograph by Paul Hansen, selected as World Press Photo of the Year 2012 by the contest jury, World Press Photo has submitted the image files for a forensic analysis. The purpose of the investigation into the authenticity and editing history of the picture is to curtail any further speculation about the integrity of the image and to establish that it is not a composite.
      Paul Hansen has previously described in detail how he processed the image file and World Press Photo has not had any reason to question his explanation. He has now again fully cooperated in the investigation carried out by independent experts. After examining the RAW file and the JPEG image entered in the competition, these are the experts’ conclusions : …

      Tue, 05/14/2013 – 19:33

      http://www.worldpressphoto.org/news/digital-photography-experts-confirm-integrity-paul-hansen-image-files

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