La photographie est-elle encore moderne?

Musée de lElysée, Lausanne, exposition Tous Photographes (2007).
Musée de l'Elysée, Lausanne, exposition "Tous Photographes" (2007).

Le monde de la photographie éprouve aujourd’hui un paradoxe nouveau. Il a absorbé dans la pratique le choc de la numérisation, sa plus importante mutation technologique depuis l’invention du négatif (Talbot, 1840). Mais il reste fortement attaché à ses symboles traditionnels et montre une résistance surprenante à admettre ou à faire valoir cette évolution dans ses représentations.

Les effets de la numérisation peuvent être expliqués par sa principale caractéristique: la dématérialisation du support. Tout comme la notation écrite a permis la reproduction et la diffusion des messages linguistiques, la transformation de l’image en information la rend indépendante du support matériel, qui n’en est qu’un véhicule temporaire.

Cette transformation a quatre conséquences majeures. Elle modifie de façon radicale les conditions de l’archivage des documents, désormais intégrables à des bases de données numériques, ce que je caractériserai par leur indexabilité. Elle préserve la capacité de modifier les photographies après-coup, créant une continuité entre la prise de vue et la post-production, soit une nouvelle versatilité. Elle facilite leur télécommunication instantanée, les faisant accéder à une forme d’ubiquité. Elle permet leur intégration aux contenus diffusables par internet, et consacre ainsi leur universalité.

Partagées avec toutes les autres sources numériques, ces propriétés apportent à l’image fixe un ensemble de bénéfices pratiques, techniques et économiques dont l’ampleur est sans précédent. Or, tout se passe comme si le domaine photographique s’était figé dans une sorte d’académisme culturel, camouflant les évolutions apportées par la numérisation derrière la continuité revendiquée de ses pratiques et de ses modèles dominants.

Une révolution invisible?

Il n’est pas rare que les évolutions technologiques engendrent des mutations culturelles dans les pratiques professionnelles. L’histoire fournit de nombreux exemples de ces périodes de crise, qui prennent l’aspect de la fameuse « querelle des Anciens et des Modernes » – autrement dit la polarisation en deux camps des adversaires et des partisans du changement, ainsi que l’émergence d’un théâtre de la dispute, qui assure la publicité des débats.

Loin de constituer un phénomène exceptionnel, la résistance à l’innovation est au contraire le symptôme le plus régulier d’un processus de transition culturelle. Elle est d’autant plus forte que les modifications demandées aux acteurs sont importantes et que le rythme du changement est rapide.

Présentée sous la forme inédite d’une technologie accessible au grand public, la photo témoigne d’une aptitude incontestable à accueillir l’innovation. Son apparition elle-même a suscité la colère des graveurs, des dessinateurs ou des miniaturistes, professions menacées par la nouvelle venue. D’abord snobé en 1851 par la Société héliographique, première association du champ photographique, le collodion humide s’impose en une poignée d’années comme le nouveau standard. Son successeur, la plaque sèche, qui suscite en 1880 réticences et quolibets de la part des photographes professionnels, s’installe dans la pratique courante dès 1886. Perçu comme un gadget au début des années 1930, le film 35 mm est rapidement adopté par la jeune génération, qui fait du Leica «l’appareil préféré des reporters opérant en situation d’urgence» (Chéroux, 2008). Ce n’est pas la première fois que la photographie doit faire face à une évolution majeure. Elle a toujours su s’adapter dans des délais relativement brefs.

La révolution numérique, qui affecte le domaine photographique de manière sensible depuis le début des années 1990, ne s’inscrit pas dans cette généalogie. Indicateur de l’évolution des pratiques, le remplacement des matériels s’est considérablement accéléré depuis 2003. En 2009, le parc actif des équipements de prise de vue en France est estimé à près de 45 millions d’appareils numériques (dont 18,7 millions de camphones) pour 12,3 millions d’argentiques (dont 5,3 millions d’appareils jetables). Depuis 2008, les organismes spécialisés ont cessé de tenir la statistique du marché des appareils argentiques neufs, dont le volume n’est plus considéré comme significatif. Sur le terrain, pour la photo amateur comme pour la photo de presse, la messe est dite: les pixels ont remporté la bataille.

Pourtant, du côté des manifestations publiques de l’activité photographique, on pourrait en douter. Alors que le cinéma, avec la 3D, argument-clé de l’évolution de la filière, a su promouvoir une image attractive de son rapport aux nouvelles technologies, alors que la consultation musicale via le podcasting ou les portails en ligne est désormais intégrée à l’offre commerciale, la photographie reste étrangement en retrait, incapable de valoriser les évolutions réelles de sa pratique.

Organisé par l’association Gens d’images depuis 1999, le prix Arcimboldo, dédié à la création numérique, demeure une manifestation discrète. Une seule exposition thématique notable a été proposée en 2007 par le musée de l’Elysée de Lausanne, sous le titre: « Tous Photographes! La mutation de la photographie amateur à l’heure numérique » (fig. 1). En revanche, les Rencontres internationales de la photographie d’Arles, principal festival du secteur, mettent à l’affiche à l’été 2010 « Les esthétiques qui disparaissent avec le numérique ». Un avis comme celui que j’ai pu exprimer en 2006: « Flickr, l’une des choses les plus importantes qui soit arrivée à la photographie » (Gunthert, 2006) est resté une prise de position isolée.

Après le colloque « Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels« , proposé par l’Ecole Louis-Lumière au Sénat, qui a accordé une place non négligeable aux regrets des professionnels installés (avec notamment la projection de l' »autodafé » de Jean-Baptiste Avril), plusieurs photographes ont tenu à m’assurer en privé que cette déploration complaisante n’était pas représentative de l’esprit de la jeune génération. Le fait est que celle-ci n’a aujourd’hui guère de support ni de porte-paroles visibles. Faute d’une mobilisation plus affirmée des acteurs du renouvellement, les effets de la numérisation dans le champ photographique se résument, dans le débat public, à l’antienne de la concurrence des amateurs et à la dénonciation de la retouche.

L’évaporation est dans l’indexabilité

Tous les témoignages convergent pour estimer que les revenus des photographes professionnels ont chuté, et la fermeture une à une des grandes agences est venu confirmer le constat d’une évolution brutale. Mais la localisation de l’origine des pertes reste problématique. Dominique Sagot-Duvauroux parle «d’évaporation de la valeur des images», ce qui dit assez son caractère nébuleux.

"Tous journalistes ?", page de une, Libération, 20-21 août 2005 (photo : Rob Griffith, AP).

Depuis 2000, les milieux spécialisés ont successivement incriminé les banques d’images numériques, la concurrence des amateurs ou la multiplication du recours à la mention « droits réservés » (D.R.). La mobilité de ces griefs peut laisser penser qu’il s’agit d’un réflexe de désignation de boucs émissaires plutôt que de l’identification de causes réelles de la crise. Pourtant, plusieurs de ces symptômes pointent bel et bien dans la bonne direction.

Comme telle, la thèse d’une concurrence de la photographie amateur ne résiste pas à l’analyse (Gunthert, 2009). Dans la plupart des cas, l’invitation à communiquer son témoignage émane des rédactions, qui conservent le privilège du choix et de l’éditorialisation des contributions. Le problème n’est donc pas la prolifération des appareils numériques au sein du grand public. La menace de l’amateurisme ne se situe pas du côté de la production des images, mais dans l’accès aux moyens de l’indexabilité, qui ont profondément changé la donne.

Sur le modèle de l’histoire de l’art, la description des pratiques photographiques s’est toujours concentrée sur la production des images. Elle a laissé dans l’ombre le ressort essentiel de son économie, que Matthias Bruhn identifie comme une économie de services. Depuis la fin du XIXe siècle, les raisons de la prospérité des agences tiennent moins à la qualité des images qu’à la rapidité et la fiabilité du service, aux avantages économiques de l’achat groupé ou à la sécurité juridique que garantit la prestation.

Dans le contexte médiatique, trouver la bonne image est le facteur crucial. La création de valeur s’effectue sur la capacité à donner rapidement accès au document voulu. Ici, le rôle de l’iconographe éclipse celui du photographe, et le fichier devient un outil bien plus décisif que l’appareil photo.

Cette vision des pratiques permet de comprendre que l’indexabilité nouvelle de la photographie numérique a été le principal facteur de déstabilisation de l’économie des images. Si l’on admet que ce qui a de la valeur n’est pas la photo, mais l’information qui lui est associée, on comprend que la première cause de l’évaporation a été la pression concurrentielle sur les coûts de gestion de cette information.

La transformation des fichiers manuels en base de données numériques, dès les années 1990, a permis de réaliser des gains substantiels dans la gestion des contenus, ouvrant la voie aux banques d’images low-cost. L’étape suivante marque l’abandon de l’édition traditionnelle des images, basée sur l’intelligence humaine et sur des compétences spécialisées. L’indexation devient entièrement automatique (Google Images, 2001) ou bien réalisée par les usagers (Flickr, 2004). Dans les deux cas, la gestion gratuite de la recherche, qui s’avère d’une redoutable efficacité, menace directement les entreprises qui avaient construit leur valeur sur l’expertise. C’est parce que l’économie des images s’est d’abord conçue comme une économie de services que la numérisation, sous les espèces de l’indexabilité, y a produit autant de dégâts.

Le dogme de l’objectivité menacé par Photoshop

Encore manifestée récemment par l’exclusion d’un lauréat du World Press Photo, la persistance de l’interdit de la retouche forme un symptôme inquiétant. On se souvient qu’avant même la diffusion de la photographie numérique, l’apparition de logiciels de traitement d’image avait suscité l’émoi des spécialistes. Dans L’Œil reconfiguré, William Mitchell évoquait dès 1992 l’entrée dans «l’ère post-photographique», indiquant combien les destinées du médium et de la retouche paraissaient interdépendantes.

La retouche numérique s’inscrit pourtant pleinement dans la continuité des pratiques photographiques professionnelles, où le travail du matériau visuel est un impératif aussi évident que celui du signal sonore pour la musique enregistrée. Contrairement aux affirmations organicistes de théoriciens improvisés, l’inquiétude provoquée par l’irruption de Photoshop n’est pas la conséquence de la versatilité nouvelle du support, mais plutôt celle de la visibilité inédite du post-traitement, désormais exposé aux yeux de tous.

En consultant les ouvrages de référence du siècle passé, les étudiants des années 2010 seront surpris de constater que Roland Barthes pas plus que Susan Sontag ou Rosalind Krauss ne se soucient de la question de la retouche. Cette myopie résulte d’une longue hypocrisie du monde professionnel qui, réservant les secrets de fabrication de l’image photographique aux initiés, a réussi à imposer le postulat de son authenticité « naturelle ». Parmi les rares acteurs à s’être exprimés dans un sens différent, Gisèle Freund écrivait avec lucidité dès 1936: «La photographie, quoique strictement liée à la nature, n’a qu’une objectivité factice. La lentille, cet œil prétendu impartial, permet toutes les déformations possibles de la réalité, parce que le caractère de l’image est chaque fois déterminé par la façon de voir de l’opérateur. Aussi l’importance de la photographie, devenue dynamique sous la forme du film, ne réside-t-elle pas seulement dans le fait qu’elle est une création, mais surtout dans celui d’être un des moyens les plus efficaces de détourner les masses des réalités pénibles et de leurs problèmes.»

Site Photoshop Disasters (capture d'écran).

Depuis Photoshop, il est plus difficile de glisser la retouche sous le tapis. Plus difficile, mais pas impossible, comme le prouve l’argumentaire développé au cours d’une édition d’Envoyé spécial, diffusé le 10 décembre 2009 sur France 2. En distinguant avec soin les secteurs frivoles du portrait de studio, de la mode et de la publicité (où le post-traitement peut se déployer en toute liberté), du seul domaine qui compte, celui de l’information (où l’on souligne que la retouche reste proscrite), le reportage applique la tactique classique de l’exception circonstancielle, qui a maintes fois sauvé la légitimité menacée du médium (Gunthert, 2008). Le débat sur la retouche permet accessoirement d’oublier tous les autres moyens de manipuler, de contrôler ou de corriger l’image. Le célèbre site Photoshop Disasters, qui épingle des ratages grossiers, accrédite une image caricaturale du traitement d’images (fig. 3).

La confusion est telle qu’il est nécessaire de l’énoncer clairement. Non, la versatilité n’est pas une menace pour la photographie, mais bien une puissance mise à la disposition de la création. La véracité de l’enregistrement n’est garantie a priori par aucun paramètre technique, mais seulement par l’éthique de l’auteur. Dans le domaine de l’information – symbole de la pratique photographique –, tout comme la latitude d’expression d’un journaliste ne fait pas obstacle à l’exactitude, il faut admettre qu’un photographe ne restitue qu’une vision de l’événement, et que celle-ci ne comporte pas moins de marques de subjectivité que son équivalent écrit. Enfin, contrairement au dogme, le photoreportage, marqué depuis ses origines par la contamination avec l’illustration et les artifices rhétoriques (Gervais, 2007), ne constitue nullement l’alpha et l’oméga du document visuel, mais plutôt le successeur de la peinture d’histoire, dont le rôle est de représenter les événements conformément aux attentes de la culture dominante.

La versatilité est une chance pour la photographie de secouer l’évangile pesant de l’automatisme, qui entrave depuis si longtemps l’aveu de sa dimension graphique. Comme dans les années 1920, lorsque László Moholy-Nagy repérait les prémices de la « Nouvelle vision », c’est au sein de la jeune création, de la publicité ou dans les rapprochements avec l’image animée qu’on trouvera aujourd’hui l’expérimentation d’une liberté où s’esquissent les contours de la nécessaire auteurisation du médium. Si l’on est attentif à l’évolution des attentes des contemporains, et qu’on s’aperçoit qu’une œuvre signée a désormais plus de crédibilité qu’un document soi-disant impartial, on comprendra que la subjectivité, loin d’être l’ennemie de l’authenticité, en constitue aujourd’hui le meilleur garant.

Tous les domaines affectés par la numérisation ont vu leurs pratiques, leur théorie ou leur économie profondément bouleversées par une mutation qui remet en jeu la plupart des équilibres établis. A l’évidence, les enjeux ne sont pas les mêmes pour les différents acteurs du champ. Mais les professionnels auraient tort de croire qu’ils sont les seuls à détenir les clés du débat. L’histoire est têtue : la photo a bel et bien été inventée par des amateurs pour des amateurs, qui ont autant de légitimité à s’exprimer en son nom que ceux qui ont choisi d’en faire commerce. En étendant de façon toujours plus large la capacité à produire et à diffuser les images, la révolution de la numérisation s’inscrit dans la stricte continuité du programme originaire de la photographie. On ne saurait s’étonner que nos contemporains en fassent usage.

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Intervention dans le cadre du colloque « Nouvelles perspectives pour les photographes professionnels », Ecole Louis-Lumière, Paris, 29 mars 2010. Preprint, à paraître dans le Cahier Louis-Lumière, n°7, juillet 2010. Texte mis à jour le 9 juin 2010.

Références

  • Estelle Blaschke, « Corbis, ou la démesure de l’archive », Culture Visuelle, 22 mars 2010 (http://culturevisuelle.org/postphoto/…).
  • Matthias Bruhn, Bildwirtschaft. Verwaltung und Verwertung der Sichtbarkeit, VDG Verlag, Weimar, 2003.
  • Clément Chéroux, Henri Cartier-Bresson. Le tir photographique, Paris, Gallimard, 2008.
  • Patrice Flichy, L’Innovation technique, Paris, La Découverte, 1995.
  • Gisèle Freund, La Photographie en France au XIXe siècle. Essai de sociologie et d’esthétique, Paris, La Maison des Amis des livres/A. Monnier, 1936.
  • Thierry Gervais, L’Illustration photographique. Naissance du spectacle de l’information, 1843-1914, thèse de doctorat d’histoire, Lhivic/EHESS, 2007 (en ligne: http://culturevisuelle.org/blog/4356).
  • André Gunthert, « Flickr, l’une des choses les plus importantes qui soit arrivée à la photographie » (propos recueillis par Hubert Guillaud), InternetActu, 8 juin 2006 (http://www.internetactu.net/2006/…).
  • Id., « Sans retouche. Histoire d’un mythe photographique », Etudes photographiques, n° 22, octobre 2008, p. 56-77 (en ligne: http://etudesphotographiques.revues.org/index1004.html).
  • Id., « Tous journalistes? Les attentats de Londres ou l’intrusion des amateurs », Gianni Haver (dir.), Photo de presse. Usages et pratiques, Lausanne, éd. Antipodes, 2009, p. 215-225 (en ligne: http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/03/19/956).
  • Fanny Lautissier, Les archives photographiques face aux enjeux de la transition numérique, mémoire de master, Lhivic/EHESS, 2009, (en ligne: http://culturevisuelle.org/blog/4114).
  • Lucie Mei Dalby, Stéphanie Malphettes, Charles Baget et. al., « Photos en trompe-l’œil » (vidéo, 30″), Agence Capa, 2009, diffusé le 10 décembre 2009 sur France 2.
  • William J. Mitchell, The Reconfigured Eye. Visual Truth in the Post-Photographic Era, Cambridge, Londres, MIT Press, 1992.
  • László Moholy-Nagy, Peinture Photographie Film et autres écrits sur la photographie (1927, trad. de l’allemand par C. Wermester et al.), Paris, Gallimard, 2006.
  • Dominique Sagot-Duvauroux, « Quels modèles économiques pour les marchés de la photographie à l’heure du numérique? », Culture Visuelle, 7 juin 2010 (http://culturevisuelle.org/regnum…).
  • Amélie Segonds, Indexation visuelle et recherche d’images sur le Web. Enjeux et problèmes, mémoire de master, Lhivic/EHESS, 2009 (en ligne: http://culturevisuelle.org/blog/4118).

25 réflexions au sujet de « La photographie est-elle encore moderne? »

  1. Magnifique synthèse ! ça va vite et loin…

    Juste une petite réflexion personnelle (au risque de la paraphrase…) ; je me demande si la résistance du milieu professionnel à l’acceptation des modalités de création et de diffusion liées à l’image numérique en photographie n’est pas due à un réflexe de type « corporatiste » (c’est à dire existentiel) reposant sur le fait que tout le monde est ou peut être photographe (comme le suggère le musée de Lausanne) et que le numérique dévoile cette évidence. Ce qui menace de se dissoudre dans l’image numérique c’est l’expertise affichée des photographes professionnels … Contrairement à un dogme artificiellement établi et longtemps admis, la qualité d’une photographie ne repose pas sur une maîtrise technique mais sur son idée, sa composition, sa relation au temps ; son punctum aussi, c’est à dire sa relation au regard du spectateur, et le numérique accorde davantage de place à l’idée en facilitant la technique de la prise de vue, généralement au coeur des discussions sur la photo argentique… et ici comme dans le cinéma où la légèreté des moyens donne des ailes aux amateurs, le numérique démocratise l’accès à la création de bon voire de haut niveau. Un nombre incroyable de sites perso d’amateurs a fleuri sur internet grâce au numérique, révélant parfois de vrais talents en dehors de tout circuit commercial ou institutionnel.
    Le numérique apporte à la pratique photographique, outre une amélioration de la qualité et une augmentation de la « versatilité » (créative) de l’image ainsi qu’une facilitation des procédures, une démocratisation de la possibilité de choisir l’image qu’on va exposer aux regards. Avant cela, seuls les professionnels pouvaient shooter à l’infini et choisir a posteriori la bonne image… Aujourd’hui, grâce à la capacité des cartes mémoires et à la modicité des prix des appareils, les amateurs, qui ont toujours été les seconds couteaux de l’histoire de la photo, peuvent rivaliser avec les pros, ceux qui en tirent une rémunération, y compris dans le domaine artistique. La série contacts est très intéressante de ce point de vue… elle montre ce qui prévaut dans le choix d’un cliché, ce qui en fait « une image » (W Klein) et par la même occasion montre que des photographes pros ratent aussi des clichés, qu’une photo est une recherche…
    Avec le numérique, le photographe doit travailler son regard plus que sa technique… Et la possibilité de la recherche de l’image s’ouvre à tous…
    J’ai l’impression que la photographie a toujours été menacée par sa simplicité même, par son universalité, par le fait qu’elle se présente plus comme une procédure créative que comme un domaine artistique et culturel en soi… toute photo est photo de quelque chose… du coup, ce qui va dans le sens d’une démocratisation et d’une simplification de ses moyens est une réelle menace pour ceux qui veulent fonder sur sa technique une essence du fait photographique…
    Le numérique donne du pouvoir aux amateurs…

  2. En effet, excellent billet, et tout à fait d’accord avec le premier commentaire,
    il me semble aussi que la démocratisation sans précédent de la photographie contribue de manière radicale à la fin d’une sorte d’ésotérisme technique qui l’entourait, et forcément donne lieu à des postures « corporatistes ». Le pouvoir est donc aux amateurs : reste à découvrir ce que ces amateurs (ceux qui n’ont connu que « cette » photographie là) en feront, si ils s’affranchiront des schémas des « anciens ».

  3. «Si l’on est attentif à l’évolution des attentes des contemporains, et qu’on s’aperçoit qu’une œuvre signée a désormais plus de crédibilité qu’un document soi-disant impartial, on comprendra que la subjectivité, loin d’être l’ennemie de l’authenticité, en constitue aujourd’hui le meilleur garant.»

    Ça fait plaisir à lire… il y a longtemps que je tente de formuler cela 😉 Il ne nous reste plus, maintenant, qu’à attendre qu’une très grosse pointure du photoreportage (un type au-dessus de tout soupçon) se fasse prendre en flagrant délit de retouche!

  4. En plein délire…

    « c’est dans la publicité qu’on trouvera aujourd’hui l’expérimentation d’une liberté où s’esquissent les contours de la nécessaire auteurisation de la photographie ». Vous n’êtes apparemment pas conscient de vos chaines.

    Quoi qu’il en soit, il y aura toujours ceux qui font la photographie, et ceux qui ne font qu’en parler, d’un salon à l’autre…

    ps// J’ai par contre beaucoup d’intérêt pour les travaux de Sylvain Maresca (que j’avais déjà écouté à Chalon sur Saône), à travers sa capacité à parler de la photographie (et des photographes) avec réalisme, et sans pontifier.

  5. Quelles belles phrases, on se croirait en politique !

    De toute façon, l’amateur ne pourra jamais remplacer le professionnel,
    qui lui, exerce un métier, qu’il s’est approprié par son apprentissage et de longues années de pratique et d’expérience.

    Ce ne sont sûrement pas quelques amateurs avertis qui vont pouvoir les remplacer.

  6. Je précise que la partie concernant les amateurs est revenue pendant le colloque à Jacques Hémon, qui a présenté les caractéristiques des plates-formes visuelles. Mais les réflexions sur ce thème sont évidemment les bienvenues.

    Contrairement à ce qu’ils pensent, la photo n’est pas un exercice réservé aux professionnels ou aux photojournalistes. L’histoire est têtue: la photo a bel et bien été inventée par des amateurs pour des amateurs, qui ont autant de légitimité à s’exprimer en son nom que ceux qui ont choisi d’en faire commerce. On peut comprendre qu’un colloque organisé par une école professionnelle, qui a inscrit à son fronton le nom d’un industriel au passé trouble, défende les positions de la corporation. Mais ce serait une profonde erreur de croire que celle-ci a un quelconque droit à confisquer les destinées de la photographie. A la fin du XIXe siècle, un photographe aussi génial qu’Albert Londe revendique comme une dignité la qualité d’amateur, pour marquer son opposition à la dérive industrielle qu’incarne Louis Lumière. Les conversations sur Flickr montrent que cet héritage n’est heureusement pas perdu. Nous aurons avancé quand les professionnels admettront qu’on peut discuter avec les amateurs, et qu’ils ne sont pas seuls à détenir les clés du débat.

  7. A noter que le discours tenu ici peut être intégralement transposé pour la musique.

    Je n’argumente pas plus avant ce hors-sujet, qui n’était là que pour exprimer mon plein accord avec cet article.

  8. Ajoutons que la présence de l’image dans l’espace public, via les supports de publicité ou d’information, a habitué nos contemporains à la consommation sans coût apparent d’une ressource qui semble abondante, bien avant la gratuité des contenus sur internet.
    La consommation sans coût apparent d’une ressource qui semble abondante a longtemps favorisée au contraire le modèle économique de la photographie professionnelle. Ce qui compte pour l’équilibre du modèle économique, ce n’est pas ce que paie le consommateur final, mais ce que le producteur de l’image est prêt à payer. Après tout ça n’a jamais été le « grand public » qui a fait vivre directement les photographes professionnels (à part le cas très particulier de la photographie de marriage). La presse, même en meilleur état qu’aujourd’hui, n’a jamais payée très cher les images qu’elle reproduisait, en dehors de quelques scoops, tout simplement parce qu’elle n’en a jamais eu les moyens. Ca a toujours été la publicité qui a tiré vers le haut le prix des photos tant pour les images réalisées spécialement pour ce marché, que pour les images d’illustrations achetées par la pub en photothèque. Dans certains domaines, le modèle économique était même vertueux. Les photographes de mode, en travaillant gratuitement ou presque en éditorial, permettaient à la presse consacrée à ce créneau d’exister et ainsi préservaient un marché pour les publicités pour lesquelles ils se vendaient très cher.

    La première baisse en valeur des budgets consacrés à l’image n’avait rien à voir avec le numérique, mais tout avec l’évolution économique. Après la première guerre du Golf, les entreprises ont commencé de vastes mouvements de fusion, acquisition, restructuration, délocalisation qui n’ont cessé depuis. Dans ce contexte, il était difficile de réduire tous les budgets de l’entreprise pour justifier l’explosion des licenciements sans s’attaquer également sérieusement au budget communication. Et ce d’autant plus que dès cette époque, il n’y avait derrière ce budget, pour l’essentiel, que des emplois externes à l’entreprise.

    Mais ce qui a réellement détruit ce modèle économique ce n’est ni la crise économique, ni la gratuité du modèle internet, ni la supposée facilité du numérique pour les amateurs, mais ce que tu as appelé l’indexabilité et l’ubiquité de la photo numérique qui ont totalement révolutionné le modèle économique.
    Il y a toujours eu des photographes amateurs qui réalisaient de bonnes images. Mais ils ne pouvaient leurs trouver de débouchés. Pour qu’une banque d’image traditionnelle accepte de prendre les images d’un photographe, il lui fallait mettre à disposition plusieurs centaines d’images, retenues après un processus de sélection très rigoureux, et correspondant à ce que voulait le marché. Le coût de fonctionnement d’une banque d’image était très lourd. Les frais d’indexations des photos, les duplis, les frais commerciaux pour montrer les images aux éventuels clients, même le coût comptable de création d’un nouveau photographe dans les livres de la banque d’image, donnaient du sens à un modèle où les photothèques fonctionnaient avec un nombre relativement restreint d’auteurs, très spécialisés, et qu’elles devaient vendre à un prix très élevé, car les frais de la photothèque étaient également très élevés.
    Avec Internet désormais, c’est le photographe qui réalise l’indexation, il peut ne proposer qu’une seule image et la commercialisation se fait gratuitement ou presque. Même la facturation au client et la retrocession de la commission au photographe sont automatisés et ont de ce fait un impact nul sur les coûts d’exploitation. On peut faire des factures pour 1 euro, ce qui avant aurait couté beaucoup plus cher que le montant facturé. De ce fait, la banque d’image peut se payer sur le volume et non sur chaque image. Elle peut avoir des millions d’auteurs indexés dans sa base. Et elle n’a pas d’intérêt particulier à vendre les images chères dès lors qu’elle se rattrape sur les volumes.
    Les entreprises ont progressivement (les premiers Cd vendus « libres de droit » mis sur le marché seraient surement intéressants à étudier)trouvé en ligne gratuitement un contenu qu’elles avaient l’habitude de payer auparavant. Le modèle économique n’a pas été compromis par le comportement des utilisateurs finaux, comme dans la musique ou le cinéma, mais par l’apparition de nouveaux acteurs qui ont offert un modèle alternatif aux producteurs des images. L’esthétique même des images s’est mise à changer. On réalise de moins en moins de prises de vue spécifiques et l’on fabrique désormais de plus en plus souvent des images en combiant différentes photos d’illustration.
    La « modernité » n’est le plus souvent que la partie visible d’une évolution économique…
    Mais ce n’est pas que le modèle économique susceptible de faire vivre les photographes professionnels de la photographie d’illustration qui a cessé d’être fonctionnel.
    D’un point de vue « corporatiste », le modèle économique de la photographie en général est devenu vicieux. L’entreprise qui n’avait payé que quelques dizaines d’euros les droits des photos qu’elle avait utilisée pour une campagne nationale, trouvait d’un seul coup bien cher le portrait du PDG réalisé par un photographe professionnel pour la revue interne tirée à quelques milliers d’exemplaires. Progressivement, tous les photographes sont devenus chers, même ceux qui travaillent sur des créneaux que l’on ne confiera jamais à un amateur.

    Et last but not least, la photographie qui n’a jamais autant été à la mode suscite des milliers de vocations. La pression des nouveaux entrants a toujours existée, mais jamais dans ces proportions, en quantité comme en qualité. J’ai vu passer des devis concernant des packshots détourés (c’est une référence intéressante car on est dans une logique industrielle, sans rémunération de la création, avec juste une prise en compte du temps passé), avec des prix qui auraient rendu le devis compétitif même à Mumbai. Il s’agissait de très grosses commandes (plus de 1000 objets) Ramené à l’heure,le devis supposait une rémunération très en dessous du salaire minimum. Autrefois, la modicité même du devis, aurait conduit le client à l’écarter. Il aurait considérer que l’offre n’était pas professionnelle et que ce fournisseur allait mettre en péril son projet. Aujourd’hui c’est crédible, parce que guère plus étonnant qu’une campagne de pub avec une photo payée 1 dollar.

  9. Dans son numéro du 19 octobre 1938, le magazine Vu, de Lucien Vogel, publiait une série de photos, préfigurant la « jump photography » de Philippe Halsmann, montrant l’acteur Maurice Baquet bondissant. La rédaction s’était sentie obligée de préciser, comme si la chose n’allait pas de soit, que le « reportage ne comporte aucun trucage photographique ». Dans son numéro du 25 décembre 1935, sous le titre « Grandeur et misère des chasseurs d’images », il publiait une photographie ayant « obtenu le premier prix des reportages photographiques d’actualité aux États-Unis » pour la dénoncer comme pure montage : « une scène reconstituée ». A la même époque, les photomontages de John Heartfield affichaient avec éloquence combien il est aisé de décomposer et recomposer une photographie. Dans ces conditions, n’est-ce pas beaucoup dire que seule cette bonne Gisèle était lucide ?
    Il faut vous suivre quand vous questionnez le silence des « classiques » (Krauss et consorts) sur ces problèmes. Toutefois, n’est-il pas un peu court d’ébaucher une explication en s’appuyant sur la malice des uns (« une longue hypocrisie du monde professionnel ») et la cécité des autres, dont on suppose qu’ils n’étaient pas initiés aux mystères de la chambre noire (est-il possible de soutenir bien longtemps que la compagne d’Annie Leibovitz, Susan Sontag, ignorait ces petits secrets soigneusement dissimulés par des professionnels volontiers cachotiers ?) ?
    Ne pourrait-on pas considérer que si la question de la retouche est aujourd’hui à ce point sensible c’est à cause de l’enflure sans précédent, dans les usages, de la post-production (les usages professionnels tout du moins). L’essentiel de l’image ne se ferait plus au stade de la prise de vue, mais plutôt dans la création d’une autre image n’ayant qu’un rapport lointain avec ce qui fut photographié. Il s’agirait moins d’améliorer que de transformer radicalement. N’est-ce pas cela qui aurait été sanctionné par le World Press dans le cas de Stepan Rudik? N’y-aurait-il pas une tendance à glisser vers l’image de synthèse ? La consultation régulière du site Photoshop Disasters laisse penser que la vraisemblance fait de moins en moins partie des exigences d’une image numérique. Ce serait une rupture radicale avec la photographie de papa dont « l’évangile pesant de l’automatisme » était une part essentiel (le dessin automatisé ?). D’autant plus essentiel que c’est lui, en dépit de sa pesanteur, qui a permis à la photographie de s’émanciper du système des Beaux-Arts, d’être au-delà du décoratif, après l’expérience bouffonne du pictorialisme.
    J’ai été trop bavard sans doute. Ne m’en tenez pas rigueur, s’il vous plait, même si tout cela doit être un tantinet laborieux.
    Meilleurs souvenirs,
    Bien cordialement

  10. @Floreal Meneto: Je vous renvoie à mon article « Sans retouche. Histoire d’un mythe photographique« , où je montre: 1) que la dissimulation de la retouche est aussi ancienne que sa pratique, 2) que cette dissimulation n’est pas anecdotique, mais bien constitutive du dogme de l’objectivité.

    Photoshop Disasters, en montrant des ratages grossiers, fabrique une image faussée de la retouche qui, lorsqu’elle est bien réalisée, ne se voit pas. En outre, se focaliser uniquement sur la question de la retouche permet de faire abstraction de tous les autres moyens de manipuler, de contrôler ou de corriger l’image. Fausses légendes ou fausses dates, sélection, décontextualisation, orientation de la lecture, esthétisation par l’illustration, pour ne rien dire de tous les moyens proprement photographiques (choix du sujet, cadrage, éclairage…), sont des instruments tout aussi puissants pour modifier le sens d’une image. En mettant l’accent sur la dimension technique et le rôle de l’outil numérique, le pseudo-débat sur la retouche occulte tous les choix graphiques et éditoriaux qui sont à mon avis ceux qu’il faudrait analyser (cf. « La cité qui tremblait« ).

  11. Ping : Owni.fr
  12. Je vous trouve bien sévère de qualifier de pseudo-débat ces questions autour de la retouche. D’autant que leur objet véritable, me semble-t-il, est le statut de l’image numérique. Je ne vous importune pas plus longtemps ici. Je vais plutôt laisser une ou deux remarques supplémentaires là où les images font du bruit.
    Bien cordialement

  13. Ping : @rts In ReNNes
  14. La photo numérique est incontestablement plus facile à manipuler que le film…(E6 par exemple)
    mais pas si simple qu’il n’y parait (exposition de RAW) et le résultat brut est plat, donc retouche obligatoire.
    Essayez donc de donner un fichier à un imprimeur,le résultat peut être catastrophique si la calibration n’est parfaite !!!
    Autre détail: un Hasselblad, 2 dos et 3 optiques c’est pour la vie, l’équivalent numérique vaut une petite fortune et sa durée de vie est courte. Bonjour l’addition !!

  15. Beaucoup de choses intéressantes, certaines pertinentes, d’autres me semblent erronées ou, tout du moins, incorrectes. J’aimerai particulièrement revenir sur ce que l’auteur de l’article nomme la versatilité du média ou l’absence d’objectivité photographique comme autorisation à la retouche.

    Il va sans dire que le problème moral posé ici n’est pas celui de l’équilibre des contrastes ou de la repique, qui concernent l’aspect « propre » de la photographie, mais bien le fait de retirer ou d’ajouter une information pourtant présente dans le champs au moment de la prise de vue (cf. les poignées d’amour de M. Sarkozy). La réticence des photographes de tout poils envers cette pratique me semble être justement fondée par l’absence d’objectivité de la photographie elle-même : qu’elle crédibilité conserverait un média dont l’intérêt a été et sera la mise en forme directe et fidèle d’un champs visuel choisi du réel (la subjectivité réside dans le terme de choisi) si en plus du choix de l’auteur il fallait faire la part de la retouche. Le photographe, qui travaille avec et représente toujours la réalité ne peut pas faire l’impasse de ce principe.

    Par contre la portée de la subjectivité de l’auteur reste symbolique tant que cette ligne n’est pas franchie et que le lecteur garde en tête que toute photographie n’est qu’une représentation du réel (apport acquis grâce aux surréalistes et, n’en déplaise à M. Gunthert, nombre photographes (Evans !), historiens et théoriciens depuis peut-être 1841 et parmi lesquels Susan Suntag. L’essayiste américaine est en effet particulièrement bien placée, son essai « Dans la Caverne de Platon » n’est-il pas une réduction de la portée réaliste de la photographie et une injonction à la prise de distance devant l’image photographique ?

    Enfin, et pour ce qui peut être plus qu’une anecdote, le dernier festival « Itinéraires des photographes voyageurs » à reçu onze photographes. Tous travaillent en argentique. Et, si on veut bien les croire puisqu’ils ont eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet lors d’une conférence, ce choix est avant tout de cœur plutôt que de raison. Et je me range de leur coté : c’est l’amour de l’argentique qui nous marrie à lui. Les statistiques ignorent peut-être désormais l’argentique, mais il bande encore…

  16. Pour une réponse plus détaillé : voir la page Facebook « l’Art, la Morale et la Photographie », sujet : La « mythologie de l’immédiateté photographique » : objectivité mécanique et honnêteté intellectuelle.

  17. @Manuel Gérardin: Ce n’est pas à moi que vous devez porter vos objections, mais à la tradition photographique, dont je ne fais que rappeler les principaux traits. Bien sûr qu’à côté du dogme objectiviste, il y a eu la photographie victorienne, le pictorialisme, les surréalistes, etc. – une lignée anti-objectiviste parfaitement décrite par les travaux de Michel Poivert. Mais demandez à Michel ce qu’il pense de la fortune critique du pictorialisme – un mouvement qui a duré quarante ans, et que l’historiographie a toujours minimisé comme s’il s’agissait d’un faux-pas du photographique. Lorsqu’on dit qu’un sondage donne une « photographie » d’un état de l’opinion, le langage et l’usage courant assignent à la technique photographique une signification qui est clairement l’inverse de la connotation évoquée par l’expression: « c’est du cinéma ». Ce n’est pas mon jugement que vous critiquez, mais 150 ans d’histoire culturelle.

  18. Il y aurait sans doute une approche toute différente de la retouche argentique qui pourrait être faite à partir de la formation des photographes.
    En argentique, la retouche faisait partie du CAP de photographie. La tradition de la retouche sur les portraits est aussi ancienne que la photographie que ce soit en ce qui concerne la demande des personnes photographiées ou la technique mise en oeuvre. Ces photographes ne retouchaient pas nécessairement toutes leurs images. La retouche à l’époque était un exercice lent et minutieux. Pour un reportage sur un mariage par exemple, autant il était possible de retoucher la photographie « officielle » réalisée en studio, autant retoucher le reportage sur la soirée était plus exceptionnel en raison de la quantité de travail que cela aurait supposé. Dès lors que les clients ont voulu de la couleur, la retouche s’est raréfiée, (même si elle n’a pas disparu bien au contraire) simplement parce que les photographes disposant des compétences pour ce faire se sont également raréfiés. A ma connaissance, la retouche couleur n’a jamais fait parti du programme du CAP.
    Les photographes qui entraient dans la profession avec un CAP, travaillaient généralement comme portraitistes.
    Lorsque la photographie a explosé dans la presse dans la publicité comme dans le rédactionnel vers les années 60, c’était avec des photographes, le plus souvent autodidactes, qui n’avaient aucune compétence en matière de retouche. De ce fait, en particulier en publicité, lorsque l’on a fait appel à des retoucheurs, il s’agissait d’une opération distincte de la prise de vue, qui échappait au controle du photographe et qui était menée par des spécialistes (peu nombreux d’ailleurs) dont c’était la seule activité. La prise de vue était une opération totalement distincte de la retouche dans le processus qui menait à l’image finale qui allait s’afficher dans la presse ou sur les murs.
    Le numérique a bouleversé cette situation dans la mesure où désormais l’intervention sur l’image est consubstantielle à la prise de vue, et est indissociable de la prise de vue, quelque soit l’activité du photographe.

  19. Tout ça pour en venir au fait que problème avec le débat actuel c’est que l’on réduit très souvent la réflexion sur le réalisme de la reproduction photographique à l’ère du numérique à un débat sur la retouche photographique.
    Les photographies de la propagande allemande dans le Paris de l’occupation n’étaient pas nécessairement retouchées, étaient elles plus réalistes pour autant ?
    Le pictorialisme ne supposait pas nécessairement de retouche. L’utilisation du flou était suffisant.
    Par ailleurs j’aurais tendance à considérer que ce qui a plombé pour la postérité le pictorialisme, ce n’est pas son rapport à la retouche, mais sa conception de l’oeuvre d’art. Pour les pictorialistes, la photographie ne pouvait devenir une oeuvre qu’en dissimulant tout ce qui relevait du processus industriel et mécanique en elle. Cette vision de l’art a explosé avec Marcel Duchamps.

  20. D’un point de vue historique la photographie à toujours été un support immatériel (tirages, repros éditions de négas ou diapos ou tirages), il n’y a donc pas nouveauté dans la dématérialisarion.
    Par contre la nouveauté c’est la faiblesse des coûts de diffusion qui s’opèrent sur des support dématérialisés (sites, blogs, mails, peer to peer).

    Les problématiques du à l’archivage et à la retouche (qui sont intimement liés) ne sont pas les conséquence de l’inadaptation des photographes, mais davantage liés au manque d’expérience et de développement des solutions logicielles.

    Par contre les problèmes d’inadaptation de la législation en matière de droits d’auteurs ou de « salaires des Photographes » se pose cruellement, même si il se posait déjà avant le numérique. Je pense que les photographes sont à même pour la plupart de retoucher correctement des photos numériques. Si le marché glisse vers les retoucheurs c’est du fait du choix des clients des photographes quelques fois ou de la volonté propre du photographe de sous-traiter ces opérations coûteuses en temps de travail. Le problème serait donc dans ces deux cas de redéfinir la relation entre le photographe et le retoucheur, le photographe aurait un droit absolu de veto sur la retouche de ces photos (un nouveau droit d’auteur ?)…

    Pour ce qui est de la commercialisation, diffusion et de la production, n’a t’on pas un peu trop accrédité cette idée que c’était le travail des photographes ?

    On a besoin de producteurs, de distributeurs, de diffuseurs et d’agents, et d’évoluer dans un système de gestion simplifiée pour pouvoir exercer notre métier à 100 %

    Pour ce qui est des querelle,
    dans ma proposition de statuts unique je permet à tout amateur averti (entre autre) d’exercer dans un cadre légal ces activités professionnelles
    http://lephotographecybernomade.blogspot.com/2007/02/un-statut-pour-la-libert.html

    La retouche à toujours été parti intégrante de la photographie, cette controverse, c’est une querelle de Parisien et de Marseillais, les uns accusant les autres d’exagérer en trainant sur les eeeuuu, et les autres accusant les uns de chuchoter pointu.

    Les peuchères !

  21. > D’un point de vue historique la photographie à toujours été un support immatériel (tirages, repros éditions de négas ou diapos ou tirages), il n’y a donc pas nouveauté dans la dématérialisarion.
    Voilà une amusante plaisanterie ! On imagine le bonheur de ceux qui ont à charge d’archiver des plaques de verre, des négatifs, des ektas et que sais-je encore s’ils pouvaient les stocker comme on le fait des fichiers numériques sur des disques durs. Et que d’économies réalisées ! Les amateurs de magie réticulaire et digitale penseront peut-être que c’est malheureux, mais la matière a encore par endroit la peau dure.
    Cordialement,

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