Que la force soit avec le boson de Higgs

On attend pour mardi la présentation des derniers travaux des physiciens du LHC et l’annonce possible de l’observation du boson de Higgs, événement scientifique majeur. Anticipant sur cette découverte, le journalisme de vulgarisation s’enthousiasme: «La Force de Star Wars pourrait bientôt livrer ses secrets

Au comble de l’excitation, François Léger explique dans le Reviewer: «Le boson de Higgs est un peu l’équivalent de la Force dans Star Wars, et sa présence reste théorique depuis près de 50 ans. En gros, le boson serait le vecteur d’un champ de Higgs, qui donnerait aux particules une masse. Sans lui, rien ne pourrait exister. Dans Star Wars, le boson de Higgs serait un Jedi par rapport à la Force. On appelle aussi le boson de Higgs « la particule de Dieu ».»

Comme personne ne sait très bien comment marche la Force imaginée par George Lucas, il n’est pas certain que cette mention à vocation pédagogique contribue véritablement à éclairer le lecteur. Eric Randall, dans The Atlantic Wire, raillait déjà l’omniprésence de la référence à la saga la plus rentable du cinéma dans les annonces scientifiques (encore sollicitée récemment à propos de la découverte d’un système à deux soleils, immédiatement rebaptisé Tatooine). Il est temps de renouveler le répertoire, comme Michel de Pracontal, qui renvoie plutôt à Inception (Christopher Nolan, 2010) pour expliquer des essais de contrôle du processus onirique.

Une planète de rêve

Alarmé par la sombre perspective du changement climatique et autres catastrophes écologiques, mon fils de douze ans a eu l’autre jour une idée lumineuse. Et si on quittait la Terre? Il suffirait de trouver une autre planète pour accueillir l’humanité et repartir à zéro. Désolé, mon chéri, mais tu vois, cette idée-là, elle n’est pas toute neuve. Pendant longtemps, la planète à coloniser s’est appelée Mars. Et puis on s’est aperçu que ça ne marcherait pas. Trop inhospitalier, trop loin, trop cher. Pas possible cette fois-là de rejouer le scénario du far-west. Il a fallu se faire à l’idée qu’on allait rester sur notre bonne vieille Terre, et qu’il faudrait en prendre soin.

Ce qui ne faisait pas l’affaire de la machine à rêves. Mars n’était pas sitôt sortie du jeu qu’on a inventé l’exoplanète. Entendons une planète, de préférence tellurique, située hors du système solaire. Personne ne dit plus qu’on pourrait y aller un jour, même lointain. Mais dans les recoins du néocortex, des connexions s’effectuent en dépit du bon sens. Le désir d’un asile cosmique est trop fort pour qu’on refuse de lui donner forme – fut-ce celle du rêve.

Et c’est ainsi que je trouve ce matin, en illustration de l’article de Sylvestre Huet « Gliese-581-G, exoplanète habitable? » ce qui s’appelle une « vue d’artiste », et qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la planète bleue.

Un bon journaliste sait mettre en scène l’information: «Les astrophysiciens ont-il trouvé leur première exo-planète habitable? C’est à dire où l’eau pourrait être liquide… Peut-être, et il faudra de longues années avant de lever le doute.» Pourtant, quelques lignes plus bas, le doute est vite balayé: trop proche de l’étoile, Gliese-581-G lui montrerait toujours la même face, ce qui n’est pas un pronostic favorable. Qu’importe! Moyennant un titre assorti d’un point d’interrogation, par la grâce d’une « vue d’artiste » improbable, le lecteur aura eu quelques secondes de rêve, et c’est tout ce qui compte.

La science qui se fait (sur Facebook)

Illustration du billet d’Olivier Ertzscheid « Pourquoi je suis « ami » avec mes étudiants » (Affordance.info, 31/03/2010) à propos des nouvelles médiations de l’activité scientifique sur les réseaux sociaux. Après avoir présenté hier soir en séminaire une nouvelle théorie du succès social des récits, je reproduis ce matin sur Facebook une photo du cours qui me représente sur fond de Powerpoint (ci-contre).

Cédant à un réflexe typique, un de mes friends recherche sur Google le terme étrange qui apparaît sur l’écran, et découvre que « prosécogénie » (qualité de ce qui suscite l’attention) n’a aucune occurrence. Pour lui expliquer sommairement ce néologisme, je résume en commentaire: «Comme les espèces biologiques sont en compétition pour le partage des ressources, les récits sont en concurrence sur le marché de l’attention. La sélection des récits s’effectue donc en fonction de leur prosécogénie, ou capacité à susciter l’attention».

Il n’en fallait pas plus à Olivier pour épingler sans délai cette citation sur son wall – mention qui provoque une nouvelle discussion sur les mérites de la métaphore et la dangerosité des modèles biologiques en sciences humaines. Ce qui fait qu’une théorie dont il n’existe qu’une trace photographique et un résumé en commentaire a déjà été citée et discutée sur Facebook avant même d’avoir été rédigée. Pendant que l’AERES s’échine à classer et à compter les publications, la réactivité des réseaux favorise le «déplacement de la médiation» qu’évoquait Olivier.

Post-scriptum. Toujours sur Facebook, Patrick Peccatte me signale que je me suis trompé dans ma graphie, qui devrait s’écrire « proséchogénie » (la graphie exacte du terme grec signifiant « attention » étant par ailleurs: « prosochè »). Le fait qu’elle ait commencé à circuler sous cette forme va-t-il m’obliger à conserver la graphie fautive? A suivre…

PPS. Une proposition de définition

Qui a peur du réchauffement?

walter

Sylvestre Huet s’est amusé à produire une carte météo de prévision du climatoscepticisme. Ca fait déjà un moment que je me dis que l’hiver 2009-2010 – plutôt froid dans les régions où le « réchauffement planétaire » (global warming) figure au top ten de l’agenda médiatique – est le pire ennemi d’un récit qui prédit la montée des températures. Les gens cultivés savent bien qu’il y a une différence entre météorologie et climatologie – que les variations locales n’ont pas de signification à l’échelle des évolutions globales du climat. Mais la carte de Sylvestre Huet montre que cette affirmation scientifique pèse de peu de poids face à la sensibilité la plus immédiate et à la facture du chauffage.

Ainsi qu’en témoigne exemplairement une affiche du concours étudiant du festival de Chaumont (Alice Walter, école des Beaux-arts de Rennes, 2007, voir ci-dessus) qui se voulait au second degré, le problème du réchauffement, c’est qu’il ne fait pas vraiment peur aux habitants des zones tempérées. Il est probable que la plupart d’entre eux (Floride et côte d’Azur mis à part) ne verraient pas d’un mauvais œil leur thermomètre remonter de quelques degrés.

La perspective du réchauffement paraît difficile à transformer en menace tangible. Un téléfilm français (Les Temps changent, Marion Milne, Jean-Christophe de Revière, 2008) a tenté d’illustrer à grand renfort de sauterelles l’assèchement du sud de la France, sans réussir à nourrir l’inquiétude. Le premier blockbuster à exploiter la thématique de la catastrophe climatique (Le jour d’après, Roland Emmerich, 2004), proposait au contraire une inversion du schéma. Plutôt que d’affoler par le chaud, le dérèglement climatique y provoquait une vague d’un froid polaire, plus spectaculaire et plus effrayante qu’une hausse des températures.

C’est idiot, diront les climatoconvaincus – oubliant que le thème du réchauffement ne s’est véritablement installé dans l’agenda médiatique qu’à la faveur d’une série d’étés particulièrement chauds, depuis 2003. Le risque est réel que quelques hivers froids enterrent le sujet – aussi longtemps qu’une meilleure pédagogie des enjeux ne sera pas proposée.

Un graphique est un monstre comme les autres

Derniers préparatifs pour Copenhague. Je viens de lire l’article de Sylvestre Huet sur Sciences2, bourré de graphiques tous plus alarmants les uns que les autres. Courbes qui montent, descendent, ou se croisent: terrible efficace de la concrétisation visuelle des données et des scénarios. La mise en scène du graphique, comme dans le film d’Al Gore, An Inconvenient Truth (2006), où le conférencier atteint le haut de l’immense courbe en crosse de hockey à l’aide d’un élévateur (voir ci-dessus), fonctionne comme une matérialisation du pouvoir imaginaire bien réel – mais souvent méconnu – du tableau scientifique. Une courbe peut être un monstre comme les autres – pas moins puissant, pas moins évocateur qu’une image en 3D de dinosaure.

L'oasis de nos rêves

Aujourd’hui, le moteur de recherche Google a changé son visuel pour saluer la confirmation par la NASA de la présence d’eau sur la Lune. L’eau, dans l’univers extraterrestre, c’est comme le sang chaud dans celui des dinosaures: la promesse d’une proximité, la signature d’une dynamique, le symbole de tous les possibles. L’eau, c’est le récit sous l’image, l’oasis de nos rêves.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=YrLuOFoPlRc[/youtube]

(CBSNewsOnline, 13 novembre 2009)

MàJ 15/11/2009 – Deux liens en complément:

  • la vision orthodoxe, par Pascal Riché sur Rue89, selon laquelle « la découverte d’eau par la Nasa pourrait ouvrir la voie à une future colonisation de la Lune ».
  • une version plus critique, par Sylvestre Huet sur Sciences2, qui laisse entendre à demi-mot que la photo « preuve » a fait l’objet d’une retouche attentive.

Les lecteurs de Tintin se souviennent que l’idée de la présence d’eau sur la Lune ne date pas d’hier. En faire aujourd’hui le ressort d’une nouvelle colonisation est évidemment burlesque. Accréditer cette théorie se fait essentiellement par l’image – par la fabrication (coûteuse) d’une science-fiction de synthèse qui a pour mission de donner corps au fantasme. Bref, rien de changé depuis 1952.