Influence de la fréquentation sur le consensus critique

Discussion l’autre jour à La Grande Table (France-Culture) avec Alain Kruger et Pascal Ory, consacrée au succès d’Intouchables. La comparaison avec le Tintin de Spielberg, diffusé simultanément, s’impose d’elle même dans la conversation. Sans qu’aucun des participants ne s’appesantisse sur le sujet, il me semble que le consensus critique sur Le Secret de la Licorne, qui ne me paraissait pas encore établi il y a 3 semaines, est maintenant fixé – de façon négative.

Les mêmes intervenants ayant participé à une émission de commentaire du Spielberg peu après son lancement, on pourra utilement comparer les avis exprimés. Quoique cet échantillon n’ait aucune valeur représentative, il paraît logique de déduire de l’évolution du jugement critique l’influence primordiale de la fréquentation du film – qui s’est définitivement effondrée en 5e semaine, tombant à 138.000 spectateurs, chute spectaculaire pour un film ayant débuté à 3.158.318 entrées (927.520 en 2e semaine, 650.052 en 3e semaine, 271.343 en 4e semaine). L’hypothèse conclusive peut donc être formulée comme suit: pour un film populaire, le consensus critique s’établit principalement à partir de l’observation a posteriori de sa réception publique. L’évolution de la discussion critique à propos d’Intouchables, dont la courbe de fréquentation est inverse, corrobore d’une autre façon le même constat (lire à ce sujet la réflexion développée d’Olivier Beuvelet).

Commenter la Une de Libé

Une Libé 29/11/2011, couverture The Economist, 27/04/2002.

De passage chez des amis, je tombe sur un n° papier de Libé, celui dont j’avais commenté la Une, avec le portrait d’Arnaud Montebourg par Yann Rabanier. Comme l’avait déjà noté Grégory Divoux chez Olivier Beuvelet, l’impression très pâle du quotidien atténue considérablement l’impression sinistre produite par le contraste de l’image sur écran.

En feuilletant le journal, je m’attarde sur les déclarations de l’ex-candidat, pour constater que la discussion qui a eu lieu à propos des images n’a tenu aucun compte de ces contenus. De fait, Olivier comme moi avons découvert les Unes du journal sur notre écran, la veille des parutions, ce qui nous a permis de développer un commentaire iconographique en phase avec la diffusion du quotidien, sans l’avoir eu entre les mains.

Hier soir encore, Sylvain Bourmeau, directeur adjoint de la rédaction de Libé, publiait sur son compte Facebook la Une d’aujourd’hui, ornée d’un portrait en noir et blanc de Claude Guéant, également diffusée un peu plus tard par le fil Twitter officiel de Libération et plusieurs autres sources internes.

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Pourquoi les grands médias partagent mieux que le web 2.0

Je lis dans la reprise française d’un article du Los Angeles Review of Books consacré au mouvement Occupy Wall street ce jugement à propos de l’influence des médias en ligne: «la plupart de nos discours sur internet prêchent des convaincus» (Mike Davis, « À court de chewing gum« , traduit de l’anglais par Samira Ouardi, Mouvements, 29/10/2011).

Cette idée correspond assez bien à ma propre perception du web comme un univers de bulles relativement étanches, dont l’intercommunication est limitée par la pléthore informationnelle, ainsi qu’à mon expérience de la grève des enseignants-chercheurs de 2009, très peu reprise par les grands médias, alors même que le mouvement disposait de divers relais en ligne.

On peut déduire de cette analyse que le pouvoir des médias dominants reste celui de faire circuler une idée ou une représentation au-delà de ses frontières « naturelles ». Mais à peine a-t-on émis cette suggestion que la question se pose: à quoi tiendrait ce pouvoir des organes traditionnels, puisque leur fonctionnement n’est pas fondamentalement différent de la construction d’une communauté en ligne, qu’ils s’adressent bien à un lectorat ciblé, et que les limites de l’édition physique augmentent encore l’état des contraintes?

Pour expliquer cette particularité, il faudrait dégager les mécanismes qui permettent à l’information de circuler entre les rédactions, comme les effets de connivence professionnelle, la production centralisée de l’information par l’intermédiaire des agences, les revues de presse ou les pratiques de consultation de la concurrence. Les médias ont pour caractéristique d’être leur meilleur public, et de comporter des systèmes de veille qui favorisent la reprise de l’information, marchandise précieuse. Dans cette approche, la perméabilité des grands médias ne résulterait pas d’une différence de nature avec le web, mais de la structuration particulière de l’univers professionnel et de mécanismes de mutualisation bien rodés.

Morceaux choisis

J’apprends l’autre jour par un signalement d’Alexis Hyaumet la préparation d’une nouvelle adaptation de Blanche-Neige, version blockbuster (Snow White and the Huntsman, dir.: Rupert Sanders, 2012). La discussion sur Facebook moque, à partir du trailer, les stéréotypes issus de la tradition récente du cinéma à effets: méga-bataille à la Robin des bois de Ridley Scott, monstre et effets spéciaux façon Harry Potter, guerrier costaud «qui agite des haches en faisant des moulinets avec ses bras et en criant: « raaaaaaaaaaaaah! »», et autres citations plus ou moins appuyées.

[youtube width= »500″ height= »300 »]http://www.youtube.com/watch?v=55Dq2psogSw[/youtube]

Est-ce parce que l’histoire de Blanche-neige fait partie du patrimoine commun que cette série d’emprunts ou d’allusions, pas vraiment raccord avec le scénario des frères Grimm, apparaît comme autant de pièces rapportées? Est-ce parce que n’importe quel film à gros budget d’Hollywood comporte maintenant le passage obligé par un certain nombre de gimmicks comme une liste de courses? Toujours est-il que le projet n’a pas l’air de convaincre le petit groupe de cinéphiles, pourtant amateurs de films d’action.

On sait le désarroi qui frappe Hollywood et contraint à la surenchère de scènes à effets, qui dénature aujourd’hui n’importe quel projet cinématographique grand public. Mais ce qui me frappe, c’est la vitesse de constitution de ce répertoire de syntagmes, tous issus de productions récentes, et d’autant plus identifiables. Ne faudrait-il pas essayer de fixer les points de repère et la chronologie de ce vocabulaire? Par exemple la scène de baston, qui ne devient un must qu’après Matrix (1999), qui en réécrit profondément les codes, sous la forme d’impossibles chorégraphies, à partir du modèle des jeux vidéos.

Accessoirement (et question à Alexis), n’est-ce pas précisément cette narrativité de répertoire, caractérisée par le collage de morceaux choisis, qui constitue l’emprunt le plus significatif à la forme du jeu vidéo au cinéma?

Tintin s'effondre en 2e semaine

Ouch! La claque! Après une 1e semaine où Le Secret de la Licorne avait cassé la baraque avec 3,158 millions d’entrées, chiffre record (sur 850 écrans), Tintin s’effondre en 2e semaine en passant sous la barre du million de spectateurs, ce qui le place deuxième derrière Intouchables.

Si on compare avec Avatar, qui avait débuté à 2,648 millions d’entrées en 1e semaine sur 726 écrans, mais grimpait à 2,925 en 2e semaine, l’échec est patent. Certes, la concurrence d’Intouchables a contribué à creuser l’écart, mais une division par trois de la fréquentation est à ce niveau une contre-performance sans précédent. Continuer la lecture de Tintin s'effondre en 2e semaine

Tombeau à l'italienne

Même choix d’image aujourd’hui pour L’Humanité et Libération: une emblématique vue de dos qui souligne la manipulation des apparences, par la teinture d’une chevelure soigneusement rabattue sur la calvitie du futur ex-chef d’Etat italien. Pour accentuer encore l’artifice, Libé a retouché l’image, assombrissant et détourant la photo. Soit un bel empilage de clichés et de trucages: celui du rajeunissement cosmétique de Berlusconi, celui de l’annonce du départ d’une personnalité par son portrait de dos (à quoi s’ajoute l’emploi de termes familiers italiens pour désigner le contexte), celui d’un maquillage de l’image qui transforme un document en emblème.

Spielberg a bien créé un nouveau Tintin

Au hasard d’un tour en ville, je tombe sur la nouvelle gamme de figurines  accompagnant la sortie du Secret de la Licorne. Surprise! Les jouets ne copient pas les personnages de la BD, mais reproduisent ceux du film de Spielberg, qui créé donc une nouvelle référence – une première dans l’univers hergéen!

A noter, sur le plan théorique, que c’est bien l’image (la reproduction sous forme de figurine) qui fournit la preuve de la création d’un nouveau modèle: ce n’est que parce que celui-ci est à son tour copié qu’il peut être perçu comme une nouvelle référence, et non comme une version dérivée de la bande dessinée originale.

Totem, 2 ans et toutes ses dents

Destiné à la veille et à l’exploration, Totem a été le premier blog créé sur la plate-forme Culture Visuelle, avant même que celle-ci ne soit pleinement opérationnelle, le 29 octobre 2009.

En deux ans, Totem totalise 188 billets et 1630 commentaires, 172.500 pages vues et 54.855 visiteurs uniques (données Google Analytics). Il est classé 4e blog de sciences humaines par Wikio. Billets les plus consultés: « Stéphane Guillon, le sketch qui tue » (14/04/2010, 6720 vues); « L’histoire revue et corrigée » (10/09/2009, 6522 vues); « Le populisme expliqué aux enfants » (22/01/2011, 4303 vues).

Parmi les requêtes menant le plus souvent ici, on trouve: « syndrome du larbin » (210), « le mariage de Kate et William » (120) ou « prosécogénie » (77). Au-delà du monde francophone, on peut noter un nombre significatif de visites venues du Japon (1135), de Grande Bretagne (939), des Etats-Unis (887), d’Allemagne (757) et d’Italie (689).

De nombreuses idées qui charpentent mes théories, alimentent mes séminaires et les travaux de mes étudiants ont été testées ici pour la première fois.

Totem est le seul blog d’histoire de l’art qui vous parle des panneaux d’autoroute, des calendriers, de la peinture de cabinet, de la Joconde, du fétiche Arumbaya, des T-shirts de la chaîne KFC, de l’icono bio, de Star Wars, de Columbo, de Liz Taylor, de Lady Gaga, de Lady Di, du Petit journal de Canal +, des affiches de cinéma, d’illustrations alimentaires, des cubitainers de vin, de Silvio Berlusconi, de Dan Brown, de Quatremère de Quincy, des électrons, des soucoupes volantes, de l’eau sur la Lune, des exoplanètes, de 3D, des fausses bandes-annonces, de l’horreur du poil, des body scanners, du Flashcode, de la bouteille de lait Lactel, de Boulet, de Michel Sardou, de Mélanie Laurent, de téléphobie, de xénophobie, des commentaires sur Facebook, du bruit des images, de Chomsky & Sarkozy, des aliens, du non-dit, du 1er avril ou de l’avenir.

Un people, c'est quelqu'un

Qu’est-ce qui sépare la notoriété de l’état de « people » – personnage médiatique de plein exercice? Le traitement appliqué par la machine médiatique à François Hollande depuis son investiture comme candidat officiel du parti socialiste permet de préciser ce statut.

Depuis jeudi dernier, les gazettes ont fait apparaître à ses côtés sa compagne, la journaliste Valérie Trierweiler – en images pour Le Point, Match ou Le Monde Magazine, dans les titres pour L’Obs, tandis que L’Express affiche « Hollande intime »…

L’heure n’est plus à l’examen du programme. C’est bien son nouveau statut de présidentiable à part entière (et compte tenu du discrédit élyséen, de quasi-président avant l’heure), qui vaut à Hollande ce traitement de star, cette exposition qui le dote d’une personnalité, d’un statut plus dense que la simple publication de son portrait lorsqu’il n’était que candidat à la candidature.

Un people, c’est quelqu’un: pas seulement une fonction, une silhouette, mais un être au complet, dont on souligne l’épaisseur existentielle de mille manières, à commencer par sa vie familiale. Il est significatif de noter que les magazines d’actualité se rapprochent à ce moment précis du traitement des magazines people, dont cette métamorphose est la spécialité. C’est avec des photos d’album de famille qu’Hollande entame sous nos yeux sa présidentialisation – qui est d’abord une pipolisation.

Tintin pas encore général

Une note rapide. A 10 jours de la projection du Tintin de Spielberg, je suis plutôt surpris de la modération de la pression marketing.

En conservant à ma veille sur cet objet une dimension généraliste, j’ai essayé d’éviter l’écueil d’une spécialisation qui aurait fait loupe, pour demeurer autant que possible sur le terrain d’une réception grand public. C’est ainsi que je n’ai appris qu’hier (via le très généraliste Google News) que la première projection de presse avait eu lieu le mercredi 12 octobre. Les premières critiques semblent enthousiastes (comme pour Cannes, je ressens une gêne face au décalage d’un spectateur professionnel qui a déjà eu accès à un contenu qui m’est pour l’instant interdit).

Pour le reste, une couverture du Figaro Magazine par ci, une pile de coffrets à la librairie du MK2 par là (voir ci-dessus), des affiches bien sûr, mais l’impression reste celle d’une empreinte globalement plus modeste que ce à quoi je m’attendais, d’une présence moins insistante que, mettons, celle du dernier Harry Potter.

En même temps, je me demande quelle balance me permet de formuler un tel jugement. A l’évidence, je réagis de manière très globale en collectionnant un ensemble de signaux éparpillés. L’empreinte de Tintin reste confinée pour l’essentiel au monde culturel et se manifeste par des produits d’édition. La lecture du billet de Rémy Besson sur la promotion de The Artist me fait prendre conscience que je n’ai pas encore aperçu de présentation télévisée du futur film. Tintin est une information culturelle, pas encore une information générale. C’est visiblement cette caractérisation, et tout particulièrement le passage au journal télévisé du soir, qui fait effet de seuil et envoie le signal décisif.

A signaler le livre de Philippe Lombard, Tintin, Hergé et le cinéma (Democratic books, 2011), synthèse bien informée quoiqu’un peu pédestre. La conversation de la Grande Table du vendredi 28 octobre sera consacrée à la sortie du Secret de la Licorne.