Bois, ceci est du vin…

Parfois, il y a des images qui m’arrêtent sans que je comprenne bien pourquoi. Comme ce cubitainer au supermarché, avec son image si ostensible de la bouteille et du verre. Juste le rappel insistant de cette fonction aussi vieille que l’image: la figuration – ce qui fait exister quelque chose en représentation, un cran en-deça de l’objet, pas tout à fait réel, mais presque.

Rien de très mystérieux. Et en même temps, on sent bien ici la nécessité de la figura. Plus qu’un autre, ce breuvage est lié à l’imaginaire d’une consommation traditionnelle. Du vin en cubi, ce n’est pas comme de la bière en canette, c’est une boisson noble ramenée à son état de liquide vulgaire, un rouquin qui a perdu toute allure, de la piquette en boîte. L’image est là pour racheter cette déchéance, à grand coups de reflets et de filets dorés, plus bouteille que moi tu meurs, sur fond évidemment bordeaux.

Comme le visuel en forme de timbre sur nos logiciels de messagerie ou la sonnerie du téléphone reconstituée sur nos portables, la bouteille appartient-elle aux usages déclinants dont il ne restera bientôt que le souvenir en image?

Ce qui me frappe, c’est que si on achète le cubi, à chaque fois qu’on l’utilise, on ne pense pas à l’emballage en carton, mais bien au vin en bouteille. La présence de l’image suffit à mettre en marche l’imaginaire lié à l’objet. De là à dire que le rouge en boîte se consomme à peu de choses près comme l’eucharistie…

13 réflexions au sujet de « Bois, ceci est du vin… »

  1. Perso, question sonnerie de mobile, je me suis trouvé un bon vieux son de modem 56k de 1998… Je peux assurer que ça a une toute autre allure qu’un vieux ring-ring d’Alcatel… même si au final ça ne change pas grand chose au fond (de la bouteille)

  2. @Gaby : Pour avoir bu beaucoup de bière, je peux témoigner que je n’ai jamais vu de verre à bière qui ressemblerait à ça : d’ailleurs la légère incurvation vers l’intérieur du haut du verre est typique des verres à vin, et parfois d’autres alcools forts (le verre à cognac est très recourbé par exemple) tandis que les verres à bière sont toujours nettement plus droit en général. Je pense aussi que pour suggérer la bière une chope façon Munich ou une pinte à l’anglaise seraient bien plus efficaces (mais bon je m’arrête je commence à parler comme un publicitaire!).

  3. Je partage ton interrogation devant ce qui est intéressant dans cette image triviale et féconde à la fois…
    Cette image me turlupine et je n’arrive pas à comprendre pourquoi exactement, mais je trouve qu’il s’agit là d’une question importante portant sur l’agencement de l’image, de l’imaginaire et de l’acte d’ingérer… Qu’est-ce qu’on consomme quand on boit du vin ? En quoi le vin est-il informe et immatériel dans notre imaginaire ? En quoi n’est-il déjà qu’une image (une incarnation) du plaisir et de l’ivresse qui rapproche les hommes ? En quoi la bouteille est-elle souvent par métonymie une représentation (mise en forme) du vin ? Quelle est la part du regard dans les plaisirs de bouche ? Peut-on boire de l’informe ?
    En gros, le vin qui est dans le cubi serait-il considéré comme du vin s’il n’y avait pas l’image de la bouteille pour lui donner une forme de vin ?
    Et l’image du verre à pied joue ici le même rôle de contenant de l’informe (ivresse, débordements, désinhibition…) avec en plus une dimension orale… de la coupe aux lèvres…
    L’informe trouve ainsi une forme, le » verre de vin » (on dit toujours « un verre de vin » pltôt que « du vin »), avant d’être ingéré…
    Mettre la bouteille et le verre côte à côte, c’est poser une équivalence entre le cubi et le verre que le consommateur va placer sous le robinet… « Le vin au verre »… mais la bouteille représentée renforce la dimension contenante du cubi qui n’a pas de forme culturellement identifiable… (parfois on a des tonneaux… (la pub sur le site du producteur stipule que « la fontaine à vin » occupe le volume de deux bouteilles)
    Le vin c’est l’informe, le flux des passions, le lien entre les hommes, ce qui réunit dans un mouvement dyonysiaque et la bouteille, la garde, la cave… viennent contenir cette énergie, la civiliser par le rituel… Or le cubi, sans image, c’est l’orgie à l’état pur… la photo de la bouteille lui donne une forme imaginaire… elle dit en effet « ceci est du vin » et le verre ajoute « bois »… Mais on sait bien comme tu le dis qu’il s’agit d’autre chose, d’une puissance informe qu’il s’agit de contenir…
    Bon…

  4. « Ceci n’est pas une pipe »… mais quand même… c’est comme si c’en était une… et d’ailleurs on a envie d’y porter les lèvres… 😉

  5. pas mal de résonances avec ceux qui nous pressent d’une « rematérialisation » pour avoir confiance dans le livre numérique…

  6. j’aime bien le fait que ce soit de la « figuration » comme au cinéma, une silhouette… D’autre part, la bouteille reste, et malgré tout ce qu’elle fait vibrer comme réminiscences culturelles, partielle : il ne s’agit que de nous y faire penser de même qu’il manque le pied au verre. En réalité, ce qui est montré n’est qu’en partie ce qu’on voudrait y trouver : nous voilà prévenus…

  7. Les packaging alimentaires ne sont-ils pas tous nécessairement de l’illustration visuelle? 🙂
    La photo est généralement réalisée avant que le produit ne soit disponible. Soit on utilise un produit frais et préparé sur place, soit on va le chercher chez un traiteur, soit on ouvre la boîte d’un concurrent. On le met en scène, c’est à dire que l’on ajoute a minima une herbe aromatique ou un légume frais et coupé pour conférer de la « fraicheur » à l’image du produit industriel. On va également souvent ajouter un accessoire qui est supposé lui conférer des « valeurs » qui ne sont pas nécessairement évidentes lorsque l’on ouvre une boite de conserve ou un produit semi-frais. D’où d’ailleurs les mentions « photo non contractuelle » et « suggestion de présentation » présentent sur la plupart des conditionnements.
    Est-ce que représenter une bouteille et un verre sur un cubi de vin est plus extraordinaire que de présenter des quartiers de fruit sur l’étiquette d’une bouteille de jus de fruits? On a ici avec une photo très simple, l’évocation du produit qui est invisible dans son packaging et la mise en scène destinée à le valoriser avec la bouteille et l’étiquette. C’est un cubi, mais c’est quand même un vrai vin.
    Mes deux plus grands souvenirs en la matière sont d’une part une cinquantaine de raviolis à la tomate dont j’avais dégagé les cannelures une à une au pinceau (petit budget, pas de styliste), et d’autre part une photo d’un jambon tranché (la tranche de jambon qui retombe gracieusement devant le jambon) qui avait supposé qu’un maître coupeur de jambon en tranche 17 différents avant de trouver celui dont la couleur et la texture satisfaisaient et le client et l’agence…

  8. C’est PCH qui a mis le doigt dessus: la coupe du verre (et de la bouteille) qui indique effectivement un autre rapport à l’iconicité. Bouteille et verre sont proches du rapport 1/1. L’idée n’est donc pas d’avoir une jolie image de bouteille, de tonneau ou de grappe de raisin, dans un décor qui fait envie, avec les trucs astucieux que décrit Thierry. L’idée, c’est de donner l’impression que c’est la bouteille. Pas une illustration, pas une image narrative, mais un vrai substitut visuel. Pas une image de bouteille, mais une bouteille en image – figura plutôt qu’imago, statue plutôt qu’ombre, Galatée plutôt que Dibutades. Ca n’a rien d’extraordinaire? Mais les musées et les catalogues sont plein d’images extraordinaires. Il faut bien que quelqu’un s’occupe des images ordinaires… 😉

  9. Tu as raison je suis passé à coté du recadrage qui n’a rien de conventionnel. Et qui est en fait assez extraordinaire au sens propre. Le rapport 1/1 est fréquent, mais pas s’il suppose un recadrage aussi violent qui est à l’opposé de l’idée que la pub se fait d’habitude d’une « belle image ». La pub fonctionne généralement beaucoup sur l’emprunt, attendons de voir si cette image fait école.

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