Au secours (catholique) de l'illustration

Le site du Secours catholique a utilisé récemment une de mes photos pour illustrer un billet, comme l’y autorise la licence Creative Commons sous laquelle cette image est enregistrée.

Comme toutes les images que je télécharge sur mon compte Flickr, celle-ci servait d’abord un but personnel (en l’occurrence, faire savoir discrètement à quelques amis, lecteurs de mon flux, que je passais par un moment de cafard), et n’avait pas vocation à fournir un matériel illustratif dans un contexte médiatique externe.

Dans ce cas, pourquoi lui attribuer une licence qui autorise justement cet usage? La raison première de ce choix est mon activité de blogueur. J’ai ouvert en 2005 à peu près simultanément mon premier blog et mon compte Flickr, plate-forme dont les nombreuses fonctions d’exportation se prêtent à merveille à l’exercice du blogging. Etant moi-même susceptible d’utiliser des images d’autres flickériens pour illustrer mes billets, en vertu de la loi de réciprocité qui régit l’économie du don/contre-don de la publication non-marchande en ligne, il allait de soi que mes photos devaient présenter la même accessibilité.

Si Flickr n’a pas été pensé comme une banque d’images mise à la disposition des médias, cet usage n’a pas tardé à se répandre, grâce au succès de la plate-forme et à la pratique de tagging de ses membres, qui permet de rechercher facilement des contenus précis dans un corpus abondant.

C’est bien de cette façon, sur une recherche « baromètre » restreinte aux images sous licence CC (voir ci-dessous), que le rédacteur du Secours catholique a trouvé ma photo, qui apparaît en première page (à noter que Google Images, qui indexe également Flickr et permet lui aussi de limiter la recherche aux images CC, renvoie également cette photo parmi ses premiers résultats).

La mauvaise qualité technique de cette image, avec sa profondeur de champ très réduite, prouve s’il en était besoin qu’elle n’a pas été produite à des fins d’illustration. Pourtant, la signification qu’elle véhicule, en mettant l’accent sur le terme « dépression », se trouve être parfaitement appropriée au texte du billet du Secours catholique, qui détaille les résultats alarmants du « baromètre crise-pauvreté » de juillet-août.

Comme de nombreux supports d’information en ligne, l’organisation, qui recourt aussi à des photos d’agence ou à des images auto-produites pour illustrer ses articles, utilise le corpus CC de Flickr pour élargir l’éventail de ses sources.

Cas typique de la thèse de l’indexabilité photographique, le devenir-illustration de cette image n’est pas l’effet d’une concurrence délibérée des amateurs, mais une conséquence secondaire de la chaîne de causes que constituent: (1) l’ouverture de l’espace de publication non-marchand du web 2.0, (2) la mise en place des systèmes de classification collaboratifs, ou folksonomies, (3) l’accès sélectif à ces ressources par l’intermédiaire de moteurs de recherche spécialisés.

En l’absence de la condition de réciprocité qui constitue la clé du recours à ces ressources dans l’espace du web 2.0, on peut considérer que les organes d’information utilisent de manière parasitaire un système qui n’a pas été prévu à cet effet (on notera que Caritas Internationalis est bel et bien titulaire d’un compte Flickr actif, mais les photos mises en ligne ne sont pas libres de droits).

14 réflexions au sujet de « Au secours (catholique) de l'illustration »

  1. Pour information : comment as-tu appris que ta photo venait d’être utilisée par le Secours catholique ? Ils t’en ont avisé ou tu l’as découvert par hasard ?

  2. Comment réagirais-tu si elle avait été reprise par Halliburton pour illustrer un article genre « avec la crise économique et la dépression qui va suivre, plus que jamais les solutions de sécurité Halliburton seront nécessaires pour vous protéger »? 🙂

  3. @ Sylvain: L’intérêt des licences CC est qu’elles permettent d’utiliser l’image sans demande d’autorisation à l’auteur. Je n’ai donc pas été prévenu par le SC. C’est en googlant mon nom que j’ai identifié cette publication, qui m’est correctement attribuée. Je suis ensuite entré en contact avec la rédaction pour vérifier selon quelle modalité ils avaient trouvé la photo.

    @Thierry: Ce qu’il faut avoir en tête, c’est que les licences CC créent une sorte de tolérance juridique, mais que la propriété intellectuelle, protégée par la loi, reste en tout état de cause supérieure à toute forme d’accord contractuel, à plus forte raison tacite – ce que sont en pratique les CC. Ce qui signifie que n’importe quel producteur sous CC, en vertu du droit d’auteur, peut tout à fait légitimement refuser une publication – ça m’est déjà arrivé, et l’affaire est en général réglée quelques minutes après l’envoi du mail.

  4. La faible profondeur de champ n’est pas un signe de mauvaise qualité technique ! C’est juste un choix esthétique. Il y a beaucoup de très grands photographes qui travaillent à ouverture maximum – c’est aussi une pratique très courante pour la photo de mode, bijoux et de parfum. La mode est à la profondeur de champ, mais suivre la mode n’est pas gage de qualité !

    L’article est intéressant mais je pense comme Thierry : je n’aimerais pas voir mes images sur un site politique dont je partage peu les idées!

  5. Suggérez-vous qu’un professionnel acceptera toujours toutes les propositions de publication d’où quelles viennent, pourvu qu’elles soient payées? 😉

    L’usage des licences CC dans le cadre du web non-marchand n’est pas affaire de vertu, mais d’intérêt bien compris des acteurs. Ce que je décris comme la condition de réciprocité – qui va de soi dans un espace de pairs – permet de souligner la nature de l’échange qui structure les relations en ligne.

  6. la licence CC n’existe pas, mais il existe effectivement, parmi les licences CC une licence libre, CC by sa.
    Les licences propriétaires, CC ou autres, sont effectivement des tigres de papier, j’imagine monsieur Pekin tentant de faire valoir ses droits contre un cac40.
    Les licences libres, GNU, LaL ou autres, obligent.

  7. On arrive au degré zéro de l’illustration: quelle idée d’utiliser ce fichier et quelle idée de le partager! Soit, l’illustration a-t’elle un degré un? Mais tout cela n’a aucun intérêt. Prendre une photographie, digne de ce nom, reste en tout cas quelque chose de difficile, visiblement. La réciprocité nécessite-t’elle de partager du rien ou du pas grand chose? Certes, payer n’est pas une garantie de qualité. Partager c’est bien mais pas les vieux pulls pourris pour le Secours catho ou un autre. Ayant travailler bénévolement avec le SPF, (l’autre secours pas catholique) je me suis toujours méfié du don. L’achat même à un prix modique permet sans doute de responsabiliser les acteurs comme on dit en langage techno-éco et ainsi de réflèchir un peu , enfin j’espère. Mais le gratuit n’existe pas, quelqu’un paye toujours, là c’est le lecteur, pris pour un con, et je n’arrive pas à croire, mais je suis sans doute naif que quelqu’un puisse payer un jour pour un tel fichier, comme je n’arrive pas croire que AG, capable de si nombreuses analyses, si pertinentes, n’ai pas réfléchi un seul instant en faisant un editing de ses fichiers. Surmenage sans doute.

  8. @Davidikus: Ces appréciations esthétiques n’ont pas de sens ici. Je le répète: cette photo n’est pas une illustration. Ce qui m’intéresse est de comprendre par quel processus elle a été utilisée comme telle, dans un but qui diffère de celui pour lequel je l’ai mise en ligne. En résumé, la transformation de ma photo en illustration dépend de la réponse d’un moteur de recherche spécialisé (critères: CC + mot-clé + classement). L’action n’est envisageable qu’à partir d’un bon diagnostic. Pour les photographes professionnels, il me paraîtrait pertinent de réfléchir au problème des usages parasites de l’indexabilité.

    @Perenom: Un type qui tient à inscrire le symbole du copyright devant chaque occurrence de son nom a sûrement un avis apaisé sur la question. Je le remercie de régler ses comptes, qui ont l’air pesants, avec les bons interlocuteurs. Quant à la discussion ici, certains sont d’avis qu’elle a plus de sens quand on lit les billets. C’est pas complètement absurde.

    @Patrick: Tu as un pote chez Google! Le fait est que j’ai plutôt tendance à râler lorsqu’on utilise mes photos 😉
    http://culturevisuelle.org/totem/238

  9. @Perenom « et je n’arrive pas à croire, mais je suis sans doute naif que quelqu’un puisse payer un jour pour un tel fichier ».
    Si les photographes sont dans la merde aujourd’hui, c’est bien parce que les utilisateurs ne paient pas aujourd’hui pour des utilisations pour lesquelles ils auraient payé hier. La critique esthétique est aussi vaine aujourd’hui qu’hier. De ce point de vue, les choses n’ont pas changé. Soit tu es dans une démarche d’amateur passionné aux interrogations existentielles sur tes prises de vue et tu les soumets à la critique de tes pairs sur le forum de Chasseur d’Images, soit ce qui compte c’est qu’elles ont trouvé un client qui les utilise, que tu te sois fait rémunérer ou non. Ou alors tu trouves un lieu pour les exposer. Le fait qu’elles soient utilisées est un critère qui me semble beaucoup plus pertinent que les goûts et les couleurs des uns et des autres. C’est la reconnaissance du marché, c’est le reflet des images que notre société a choisi à un moment donné.

  10. Il est heureux que vous puissiez interdire a posteriori l’utilisation de telle de vos photos.

    Avant internet, son support numérique modifiable à tout moment et sa rapidité de contact, une fois le coup parti c’était trop tard.

    C’est ainsi que, photographié avec mon accord sur un bord de route par un brave garçon en mobylette (je faisais du stop avec ma fille d’un an en « sac à dos »), nous nous sommes retrouvés quelques années après dans La Vie Catholique (décidément)… pour illustrer un article sur les dangers de l’auto-stop ! Je n’ai jamais eu la gnaque de leur écrire pour leur dire deux choses :

    – Cette publication s’était faite sans mon accord.

    – Ma fille était en parfaite santé. Et l’est encore.

    (Récit complet dans mon dernier livre 🙂

  11. @André, oui j’ai lu un peu vite, un soir de cafard et de colère, également . ©PERENOM est le nom du blog, c’est une signature, en référence à ce tampon que j’utilisais du temps de l’argentique sur les caches de diapo ou sur les tirages. Rien de plus.
    @Thierry: « la reconnaissance du marché » ça cela me fait rire, au moins! Ah, une autre : « La critique esthétique est aussi vaine aujourd’hui qu’hier ». En tout cas merci pour les test du D3X, vive la technique!

  12. @Perenom La reconnaissance vient nécessairement des autres. Jusqu’à présent dans la société marchande c’était en espèce sonnante et trébuchante que ce soit au travers des commandes ou des oeuvres pré-existantes. (Parfois après le décès de l’artiste.) C’était l’aune de notre société. Avec les micro-stocks on est devant une vente à solde négatif pour l’auteur. Surtout s’il a acheté un D3x et les cailloux qui vont avec 🙂 Mais les photographes qui alimentent ce circuit de distribution réalisent et sélectionnent leurs images dans l’espoir qu’elles seront utilisées; ils travaillent pour un marché dont ils essaient d’anticiper les exigences et les attentes.
    La critique esthétique, je suis toujours dedans lorsque je réalise et j’édite mes images, mais dans une perspective historique, il n’y pas temps de valeurs absolues ou définitives, que la volonté inconsciente de donner un caractère d’universalité à des valeurs qui sont celles de la société où elles s’expriment.

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