Critique de la télé-réalité ou télé-réalité de la critique?

Faire un film de l’expérience de Milgram pour critiquer la télévision, tel était le projet de Christophe Nick avec Le Jeu de la Mort (France Télévisions, 2010). Un film étrange, qui met face à face deux fictions: LA télévision, représentée par la figure caricaturale du jeu télévisé (assimilé, on ne sait pourquoi, à la télé-réalité, alors qu’il s’agit d’un programme d’un tout autre genre), vs LA science, incarnée par un professeur à barbe blanche, le psychologue Jean-Léon Beauvois, appuyée sur le rappel insistant de l’archive et sur une batterie de graphiques superbement designés.

Que la télévision ait une influence sur les représentations et les comportements est a priori peu douteux, et la critique de l’obéissance aveugle, qui est au fondement de l’expérience de Milgram, apparaît comme une cause sympathique. D’où vient alors le sentiment permanent de malaise distillé par le film? Au-delà de la manipulation des cobayes, et du paradoxe de produire une véritable situation de télé-réalité (autrement dit une mise en scène de la « vraie vie » avec des sujets consentants destinée à produire du spectacle), il y a me semble-t-il plusieurs erreurs de démonstration.

L’expérience de Milgram portait sur l’autorité. Or, sa transposition télévisée ne démontre pas l’existence d’une « autorité » télévisuelle, mais plutôt la soumission au dispositif. Pour avoir participé à plusieurs émissions de radio et quelques émissions de télévision, je peux témoigner qu’il existe une forte pression du dispositif. Une émission est une machine dont le déroulement réglé s’impose, non sans violence, au participant. Elle implique la mobilisation d’un appareillage coûteux, d’une équipe de plusieurs personnes, de locaux spécialement disposés réservés à cet effet, etc.

Bousculer ce dispositif, une fois qu’on a accepté d’y prendre part, n’est guère envisageable, et reviendrait approximativement à prendre les commandes d’un Boeing après le décollage. Au-delà de questions de légitimité ou d’autorité, il y a la simple réalité qu’un participant est toujours étranger au dispositif, dont il est un usager temporaire, et dont il n’est pas responsable.

Ces questions n’ont jamais été abordées pendant le documentaire, dont la doctrine revenait à poser que la lourde machine d’un jeu télévisé avec son public était équivalente à une expérience de psychologie réalisée dans des locaux universitaires. (Accessoirement, on peut noter que l’expérience de Milgram comporte elle aussi un dispositif non négligeable, dont l’influence n’a pas été prise en compte.)

La transposition brute de l’expérience de Milgram au contexte télévisé est un projet dont le fondement paraît des plus fragiles. Même en reprenant les catégories du film, je ne pense pas du tout que LA télévision a une autorité équivalente ou même comparable à celle de LA science (qui a en réalité des « autorités » très variables). Son influence – bien réelle – passe par l’imposition d’images et de récits, des systèmes de répétition et de normalisation plus élaborés et plus sournois que l’injonction d’avoir à se conformer à un protocole. N’importe quelle autre situation imposant à un quidam de s’asseoir aux commandes d’une machine lancée à pleine allure produirait un registre de réactions adaptatives semblables, qu’on soit à la télévision, dans une gare ou sur un chantier.

L’obéissance fait partie de la vie sociale, soit. La télévision – comme la presse, le cinéma, la radio… – est un de ces systèmes d’emprise par conformité au consensus général, sans conteste. Qu’a montré à cet égard Le Jeu de la Mort? Rien de plus que l’idée reçue. Certainement pas le pouvoir de la normalisation par l’image, qui s’impose dans la durée, et dont l’Italie berlusconienne apporte aujourd’hui le plus triste témoignage (cf. Videocracy d’Eric Gandini).

Dans la France (de moins en moins) sarkozyste, un petit coup d’épingle critiquant la soumission à l’autorité ne peut pas faire de mal – et a certainement fait réfléchir Tania Young (mais pas Christophe Hondelatte). Cela posé, plutôt que la démonstration annoncée, on n’a eu qu’un spectacle de plus.

Lire également:

50 réflexions au sujet de « Critique de la télé-réalité ou télé-réalité de la critique? »

  1. Je suis d’accord, cette démonstration est transformée en spectacle et, à mon avis, c’est précisément cela qui transmet un malaise permanent.

    Ils nous montrent comment des gens « normaux » peuvent, si soumis à l’autorité de la télévision, accomplir des gestes sadiques. Or, pour le faire, on met ces personnes dans un état de détresse, mais cette fois-ci on est vraiment appuyés par les autorités de la télévision ET de la science. Sincèrement, je n’ai pas pu faire la différence entre les deux types de sadisme: celui accepté (sur les cobayes) et celui condamné par le film. Les deux forment presque une boucle, dont il est difficile de sortir…

  2. Très bonne critique du dispositif. On peut sans doute aussi se poser des questions sur l’intention : dénoncer le pouvoir de la télé ou, plutôt, montrer que la télé peut tout faire faire au quidam, autrement dit faire la démonstration, non plus au sens scientifique mais au sens de manifestation, d’une toute puissance de la télé. D’où la transformation (consciente ?) de l’expérience scientifique en spectacle exposant le triomphe d’une télé dont on veut montrer qu’elle est potentiellement une autorité…

  3. Je suis d’accord sur la critique de ce vrai faux jeu. De ce point de vue, le film Videocracy sur la société qu’a créé Berlusconi à travers son empire médiatique apporte une réflexion bien plus approfondie que ce que nous propose Le Jeu de la mort. Car là nous ne sommes plus dans l’idée d’une faux pour interpréter le vrai, mais dans une réalité belle et bien concrète sur l’influence qu’ont les médias sur la société, par ses plus tristes exemple, j’en conviens.
    Après, la comparaison avec la télé-réalité est cette idée que nous serions prêt à regarder n’importe quel programme, acceptant son principe, pour nous divertir. Voir des gens s’épuiser physiquement et moralement sur une île du bout du monde est-il aussi divertissant ? Il semble que oui, au vu de la nouvelle saison de Koh-Lanta d’ores et déjà programmée sur la grille de TF1.
    Mais nous pensons, et je l’espère encore pour longtemps, que les jeux télé ne sont pas prêts de nous montrer la mort en direct pour une seule question d’audimat… Malheureusement, les journaux télévisés se sont déjà chargé de cette « mission ».

  4. Ping : Le dernier blog
  5. Tout à fait d’accord André, le titre de ton article est excellent.
    Je serai pour ma part plus dur avec ce documentaire très ambigu.
    J’ai trouvé ce film abject et finalement très « soumis » dans sa forme à l’autorité qu’il était censé critiquer. C’était comme tu le dis, pour le coup, de la vraie télé-réalité où l’on pouvait voir le fruit d’une manipulation qu’aucune émission de télé-réalité purement commerciale n’avait encore osée. Aller chercher dans les tréfonds de l’âme des candidats pour voir s’ils avaient les ressources leur permettant de résister à un ordre immoral, exposer aux yeux des téléspectateurs leur faiblesse en tant que sujet, leur naïveté et leur aptitude à infliger la douleur à autrui…
    L’expérience en soi est douteuse et relève d’une psychologie qui réduit le sujet au dispositif auquel il participe (la situation) sans trop tenir compte de son histoire et des raisons qui l’ont fait venir sur ce plateau et qui pourraient nous permettre de comprendre qualitativement les mécanismes de cette soumission à l’autorité (quelle qu’elle soit…) Mais il aurait pour ça fallu leur donner la parole après et ne pas montrer l’expérience elle-même … La filmer avec cette musique et ce savant barbu (très drôle au demeurant) qui ne fait que s’intéresser au comportement des sujets pour démonter leurs défenses en direct, c’est offrir un spectacle qui n’est pas éloigné de celui de « l’île de la tentation ». Ce ne sont pas le débat pitoyable ni cette caution pseudo-scientifique qui peuvent masquer les véritables enjeux de ce programme… qui vise à faire sur le service public une télé-réalité qui paraisse « morale » c’est-à-dire se flagellant publiquement, et dénonce celle des concurrents, les commerciales… Car c’était là la conclusion du débat…

    Pour ce qui est de l’expérience, on peut en faire à l’infini en variant les plaisirs… et on sera toujours désespéré par l’être humain, c’est d’ailleurs le principe même des jeux de télé-réalité qui s’inscrivent dans la ligne des expériences américaines sur le comportement, et qui visent plus ou moins à « paramétrer » l’homme comme un objet pour mieux l’actionner. Je connais quelqu’un qui a été script editor sur plusieurs émissions de ce type, et son rapport aux candidats était proche de celui d’un expérimentateur avec son cobaye… les candidats sont manipulés au jour le jour en fonction des paramètres de leur personnalité… L’enjeu étant de disposer des situations susceptibles de provoquer des émotions…

    Je trouve insupportable ce moralisme qui se permet d’expérimenter ce qu’il condamne avec la bonne conscience du puritain… D’ailleurs, le film se voulait moralisateur, on félicitait ceux qui renonçaient… Une candidate (qui était en plateau après) a ainsi été remerciée par le comédien alors qu’il n’avait rien senti… Elle a pleuré en le voyant, en s’excusant, elle lui avait, pour elle, vraiment fait mal, et semblait perturbée par cette découverte…
    Je suis scandalisé par ces prétendus psychologues qui se permettent de réduire des sujets à des cobayes, les manipulent et en prime (time) les exposent aux yeux des téléspectateurs en insistant sur leur difficulté à devenir des sujets libres… Tout en disant qu’ils sont comme tout le monde… Et cela n’enlève rien au mystère des génocides ni au malaise dans la culture…
    Morandini avait bien sa place dans le débat.

  6. Je suis globalement d’accord à deux exceptions près :
    1) Il y a eu tout un passage sur la définition de l’autorité, incarnée selon le narrateur, par l’animatrice. Ce que semblerait prouver l’expérience où l’animatrice quitte le plateau et où les candidats s’arrêtent plus spontanément dans le processus.
    De plus il me semble que l’on peut très bien assimilé le dispositif à une autorité, bien que celle-ci ne soit pas incarnée par une personne, mais par un système. Ce qui était bien expliqué au travers des témoignages de ceux qui sont allés au bout, emprisonnés selon eux « dans un étau ».

    2) La conclusion que le documentaire n’apporte rien de nouveau est un peu excessive. Je trouve que ce genre de programme a eu le mérite d’exister et de faire (beaucoup) parler et réfléchir sur un sujet grave. C’est quand même peu courant à une heure de grande écoute sur une chaine nationale…

  7. @Olivier: Je ne suis pas un grand fan de la psychologie expérimentale, anyway 😉 Mais il est certain que le plus gros problème de l’émission était d’avoir énoncé la thèse avant d’en faire la démonstration – ce qui en sciences est en principe un biais rhédibitoire. Cela dit, Beauvois avait l’air bien convaincu par avance de la conclusion, il est donc difficile d’assimiler cette émission à une véritable expérimentation.

    @Surfy: Dans l’émission, l’autorité est définie comme une relation entre des personnes. Sans être psychologue, je ne crois pas que ce soit la même chose que d’être soumis à une personne ou à un appareil – une hypothèse qui n’est de toute façon jamais évoquée… Quant au rôle de T. Young, on peut aussi considérer que sa présence verrouille le dispositif. Bref, il y avait à tout le moins plusieurs façons d’interpréter l’expérience, alors que le film avance comme un TGV sans jamais dévier de sa thèse.

    J’ai dit moi aussi dit que ce film pouvait faire réfléchir, ce qui n’est certainement pas un mal. Cela dit, le débat qui a suivi a largement contribué à démolir les éléments de réflexion positifs qui pouvaient exister. En comparaison de la promo au canon qui nous annonçait une « expérience scientifique », il y a tout de même de quoi être déçu…

  8. J’ai trouvé au contraire cette émission formidable « pour une émission télévisée ».

    Populariser l’expérience de Milgram me semble une initiative brillante ! C’est en tout cas une des meilleures surprises que j’ai eu devant mon poste depuis des années.

    Après on peut toujours chipoter…
    Ca reste de la télé avec son format de merde qui limite toute réflexion.
    Le (pseudo-)débat après le documentaire a ramené brutalement à cette réalité.
    Morandini, palme de l’abjection dégoulinante.

  9. Je me demande ce qui se serait passé si le « jeu » avait été présenté dans un premier temps tel quel, à la Orson Welles ?! Combien de téléspectateurs outrés auraient contacté la chaine pour protester, ou éteint leur poste ?! Dans « I comme Icare », à Montand qui s’offusque de la passivité des participants, le professeur lui rétorque (de mémoire): et vous même, combien de temps vous-a-t’il fallu pour réagir ?

    Il aurait aussi été intéressant d’avoir un retour sur le public (qui nous dit-on, n’était pas au courant de l’expérience menée), que l’on voit encourager les questionneurs sous les ordres du chauffeur de salle. Combien se sont levés pour demander l’interruption de ce qui s’apparente à une séance de torture ?

    Il y a également une évidente mauvaise foi du réalisateur quand il se déclare surpris des résultats, qu’il ne s’attendait pas à cela: au vu du temps (2 ans nous dit-on) et des moyens engagés pour réaliser cette expérience, et connaissant les résultats obtenus par Milgram et d’autres après lui, n’était-il pas au contraire évident que ces résultats étaient parfaitement attendus, et qu’ils n’étaient là que pour étayer une thèse ?

    Je suis également surpris que les participants aient accepté la divulgation: bien qu’on les voit signer une cession de leurs « droits à l’image » au début, ils ont été bernés et manipulés. Accepter de participer au pilote d’un jeu (cad par définition un test qui ne sera pas diffusé), et se retrouver en prime-time dans un documentaire où l’on est exposé comme un bourreau malgré soi, ce n’est pas du tout la même chose ! Comme en témoignait l’un d’entre eux durant le débat, cette expérience l’a profondément marqué et déstabilisé.

  10. Tu fais bien de faire remarquer que le rapport à la télé réalité n’est jamais argumenté. Je pense qu’il est tout simplement que France 2 s’est toujours retenue d’en faire.

  11. Je trouve que le choix de l’analogie (la « prise les commandes » d’un Boeing, d’une machine lancée à pleine allure, etc.) n’est pas du tout pertinente.

    Car dans l’analogie (Boeing, machine, etc.), la désobéissance (« prendre les commandes ») fait courir un risque mortelle. Et l’obéissance (ne pas « prendre les commandes ») permet d’échapper à la mort.

    Alors que dans le documentaire, c’est exactement l’inverse : la désobéissance (ne pas « pousser les boutons ») permet d’échapper à la mort. Et l’obéissance (« pousser les boutons ») entraîne la mort.

  12. J’ai exécré le documentaire et le débat.

    Parce qu’essentiellement, Nick se situe d’emblée dans une posture de grand Manitou, non visible à l’écran, tout-puissant dans le commentaire ; de fait, il manipule tout le monde, des psys à l’animatrice, aux candidats jusqu’au public.

    Parce que le Grand Dispositif nickien a pour but de démontrer le super pouvoir de la TV, alors qu’il ne montre qu’une psychologie de la soumission à l’oeuvre, là comme ailleurs. Il y suffit d’un contrat de départ, d’une animatrice qui tire et d’un public qui pousse. Rappelons que l’expérience princeps de Milgram avait lieu à l’université et démontrait exactement les mêmes faits, sans le besoin d’une télévision démonisée.

    Je n’ai pas non plus apprécié le rôle de paraphraseurs que Nick fait jouer aux psys, dans une phénoménologie des stades, sans valeur ajoutée.

    Bref, tout ceci était caricatural et n’a pu intéresser que ceux qui ne connaissaient pas l’expérience de Milgram. Les autres n’y ont vu comme vous le dites, André Gunthert, qu’une télé-réalité de la critique, bien faite pour une télé publique qui critique la télé privée.

  13. @Un train en marche : vous placez les choses sur un plan moral, alors que le sentiment que l’on a lorsque l’on est coincé dans une grosse machine est émotionnel : bien sûr que l’invité d’un jeu ne pilote pas un Boeing, mais la sensation est la même (enfin je suppose, parce que le Boeing ça ne m’est jamais arrivé), pour ma part je vois très bien le rapport.

  14. Je n’ai pas la télé, mais j’avais lu quelques articles sur l’émission, avant qu’elle soit présentée. Quelque soit les points criticables, je peux vous dire qu’elle a éveillé considérablement l’esprit de personnes que je cotoie professionnellement, et qui n’ont jamais parlé autant, et avec une vraie réflexion, au moment du café, de sujets autres que l’épluchage à n’en plus finir des promos du moment dans les pubs de la grande distribution. Alors dites-vous que l’émission aura fait mouche, au moins de ce point de vue. Et croyez-moi, ce n’est pas rien…

  15. @Marie: 1) Une réaction comme la vôtre montre que des contenus culturels un peu plus exigeants que la Ferme célébrités produisent de vrais effets et seraient probablement appréciés du grand public, si les chaînes osaient en proposer en plus grand nombre.

    2) Est-ce parce que ces contenus sont si peu nombreux qu’il faut s’abstenir de les critiquer? Je ne le pense pas, car avec les moyens qui ont été ceux de Nick, il n’aurait pas été plus difficile d’avoir le beurre et l’argent du beurre – une émission qui ne soit pas moins intéressante, mais plus justifiée sur un plan intellectuel. Videocracy est un exemple de démonstration réussie, qui n’a malheureusement pas été diffusée sur les chaînes publiques (mais sur Canal+).

  16. Bonjour, je me demandais, n’ayant pas voulu regarder ce film, si il y était expliqué comment on a du faire le casting – participants au jeu + public, pour n’avoir -que- des personnes ignorant tout du test de Milgram, et ce que cela implique pour tirer des interprétations réellement pertinentes de ce qui y veut être démontré. Peut-être les spectateurs sont ils les sujets de l’expérience, au final, aucune garantie que les « acteurs » du film n’en soient pas des authentiques, autrement l’inculture et l’ignorance de l’Histoire sont le point commun de tous, ce qui les rends probablement beaucoup plus sensibles à l’emprise des médias et du pouvoir me semble-t’il. Et donc donne des résultats biaisés fortement dans le sens d’une idéologie qui veut pousser l’être humain à mépriser son semblable, et à considérer la nature humaine comme « naturellement » prédatrice et mauvaise, ce qui renforce la vision justifiant les politiques-économiques actuellement en action (voir Milton Friedman). Et puis que signifie un film de télévision attaquant la télévision et passant en prime-time ?

  17. Bonjour,
    ce n’est pas l’émission que je critiquerais mais l’expérience de Milgram elle-même…
    En effet, d’après ce que j’ai compris, elle vise à démontrer que n’importe qui peut devenir un bourreau, sous l’effet de la pression de son environnement. Elle fait l’impasse volontairement sur la personnalité de chaque candidat, sa formation, son expérience, son passé, en un mot (vulgaire): son identité. Or il y a quand même 40% des gens/candidats qui « désobéissent ». Mais l’explication psychologique de cette désobéissance est sommaire. En gros, je dirais qu’elle revient à une position kantienne: l’opposition entre deux impératifs, l’impératif arbitraire de la Norme (sociale, incarnée par le Savant ou l’Animatrice) – le mauvais impératif – et l’impératif catégorique, celui de la Loi morale – le bon impératif. La Loi morale serait un sentiment inné partagé par chacun de nous et qu’un effort de la volonté suffirait à réveiller et faire triompher. Mais, outre qu’on peut discuter sur le caractère inné et universel d’une telle Loi morale, on peut aussi se demander si être un chômeur ou un cadre, un descendant de nazi ou un descendant de rescapé des camps, un type de droite ou de gauche, une femme et un homme etc. bref si la situation personnelle de chaque individu n’est pas un facteur éminemment actif qui contribue à influencer ses réactions, sa « volonté » ou son « obéissance ». Milgram avait apparemment une position assez tranchée qui opposait d’un côté l’individu (libre) et la société (oppressive). On est dans les années 50, c’est l’émergence du néolibéralisme face au totalitarisme qui sert de contexte à ces expériences. La sociologie plus récente n’a-t-elle pas montré que l’individu se constituait lui aussi socialement, même dans ce qu’il avait de plus intime ? Dans ce cadre, l’émission est très fidèle au protocole de Milgram en ce qu’elle ne nous dit rien ou presque de l’identité sociale des candidats. Mais le contexte a changé : le néolibéralisme est passé dans le camp de l’oppresseur. Ce qui sape à mon sens un peu les fondements idéologiques de l’expérience de Milgram.
    Je ne sais pas si ce genre d’expériences ont été testées en tenant compte de ces situations personnelles mais les résultats pourraient être intéressants.

  18. ok pour certaines critiques de ce documentaire +1: affirmer que dans les entreprises les salariés ne sont pas seuls et donc peuvent se révolter face à l’autorité est un contre sens total! d’une part les salariés sont isolés de plus en plus (modif d’organisation du travail, salaires au mérite) et la pire des choses est que l’on assiste à un déni de par les salariés eux-mêmes de leur condition agentique: je fais bien mon boulot, même si celui-ci conduit au pire résultat (cf. les flics avec la répression actuelle), donc je suis reconnu par ma hiérarchie et je fais bloc avec ma communauté de travail qui se dote de valeurs qui vont bien!

  19. Reconstitution du récit d’Alexandre Lacroix de Philosophie Magazine lors du débat autour du documentaire  » le jeu de la mort. » Réalisé par des acteurs dans le cadre du festival RE:MEDIA 2010.

  20. Programme très ambigu, qui hésite entre critique de la société et de la télévision, et qui finit par quasiment ériger en héroïne, une jeune femme, soit disant « désobéissante », mais qui a quand même accepté de participer à ce jeu en connaissant les règles, parce qu’elle « s’est arrêtée » à… 360V!… ça c’est de la résistance!!

  21. Beauvois a une vision assez personnelle de l’éthique :
     » D’abord la prise en considération du fait que des agents sociaux dans notre société sont payés, et quelquefois terriblement bien payés, pour mettre les gens dans des états de stress au moins comparables [18]. Et je n’ai jamais accepté l’idée que l’éthique puisse interdire à des chercheurs de faire pour leurs recherches ce que d’autres font professionnellement et vont même quelquefois apprendre à faire en formation. C’est là un mode de défense que se donne la société contre la connaissance qu’on peut avoir de son fonctionnement que les chercheurs non conservateurs ne doivent pas accepter, sauf à vouloir satisfaire à tout prix les bons sentiments et les vues soi-disant humanistes de leurs voisins des classes moyennes. Interdisons d’abord dans la société ce que la morale condamne, puis interdisons-le dans les laboratoires de recherche. Les chercheurs devraient-ils être les seuls anges purs de notre univers social ? »

    in http://liberalisme-democraties-debat-public.com/spip.php?article112

    Cela dit, je ne lui donne pas complètement tort sur le point 3 :
    « Je me souvenais de ces nombreux collègues disant à propos des recherches de Milgram : « moi, je ne les aurais jamais faites, ces recherches. Question d’éthique, n’est-ce pas ? Mais bon Dieu ! Comme je suis heureux que Milgram les ait faites, me permettant ainsi de parler de l’obéissance avec des biscuits expérimentaux à mes étudiants ». Vous imaginez ce que pourrait donner une psychologie sociale de l’obéissance sans les apports de Milgram ? Quelque chose comme « ça se discute ». »

  22. A PAblo,

    Je crois que l’expérience de Milgram comme cette émission (doc + débat) n’ont rien appris et je ne vois pas où est le « biscuit expérimental » dont parle le père Fouras du jeu de la mort… Qui ignorait qu’on pouvait manipuler des êtres humains ? Qui ignorait que, débarrassé de sa responsabilité personnelle et de sa subjectivité, un homme peut faire n’importe quoi avec la caution d’une autorité à la quelle il a transféré sa « connaissance du bien et du mal »… Il n’y a qu’à interroger l’histoire, lire des romans, analyser des témoignages… cf « Des hommes ordinaires », « un spécialiste »…
    L’expérience de Milgram prouve que le scientifique a un grand pouvoir, la télé aussi, quelle découverte ! Quand votre voisin, représentant en revêtements synthétiques, vous demande d’électrocuter un inconnu vous le faîtes moins facilement que si c’est un scientifique en blouse blanche, dans un laboratoire, au nom d »une expérience dont le but est d’améliorer des techniques d’apprentissage… surprenant… nous avons comme cela des autorités reconnues avec lesquelles nous sommes en relation permanente et cette relation est polymorphe et labile… Par exemple, le président actuel aura du mal à faire électrocuter Besson par un député UMP après la giffle qu’il va probablement recevoir dimanche (quoique…), mais son autorité va faiblir, c’est sûr, pas besoin de faire l’expérience, en revanche Martine Aubry pourra facilement demander à Hamon d’aller électrocuter Royal… On croit désormais en son pouvoir.
    Pas besoin de manipuler des gens et de quantifier le taux de « salauds » et de « braves » dans notre société…
    Je crois que cette expérience est profondément liée au libéralisme qu’elle est censée dénoncer, car l’antihumanisme qui la fonde met de l’huile dans les rouages de la machine économique libérale… l’homme ? Un pion !
    Est-il cohérent de dénoncer la manipulation en s’y livrant soi-même ? Au nom de quoi la dénonce-t-on alors ?
    Je crois que Jean-Léon Beauvois s’est laissé tenter par le diable qu’il pensait affronter, (n’est pas st Antoine qui veut) il n’a rien appris, a vérifié ce que tout le monde savait et a servi de caution à un divertissement qui se voulait intelligent mais n’était qu’une grande manipulation vaine…
    Histoire de critiquer le dispositif : On oublie de dire qu’il s’agissait d’un jeu et qu’il arrive souvent que les jeux fassent mal, boxe, rugby, foot… ce jeu est un espace distinct de celui de la réalité, un espace de possibilités… il y avait là un conflit entre la supposée réalité de la douleur infligée et le contexte du jeu dans lequel chacun des participants avait accepté son rôle… Donner un coup de poing dans un match de boxe ce n’est pas comme le faire dans un bar… Ici, la gégène n’avait pas le même sens que celle qu’un certain candidat aux régionales utilisait dans ses jeunes années…
    Cet aspect n’a pas été abordé, on voulait absolument faire mieux que Milgram, et montrer que décidément l’homme ne vaut pas une révolution.

  23. Bonjour, dans le cadre de mon cours de méthodologie il nous est demandé d’effectuer la mise en pratique d’un outil d’observation portant sur notre hypothèse de recherche. Ma recherche porte sur le phénomène de la télé-réalité. Votre collaboration sera un facteur essentiel dans ma réussite à infirmer ou confirmer mon hypothèse. Si vous auriez l’amabilité de répondre au questionnaire ci-dessous de manière complète en honnête, cela ne vous prendra que quelques minutes de votre temps. Sachez que vos réponses à ce questionnaire seront totalement anonymes.

    Merci d’avance

    lien vers le questionnaire :
    http://spreadsheets.google.com/viewform?formkey=dFQ3WDh5czFXb1l4X3FmS01zcFowb2c6MA

  24. Ping : Futur Quantique
  25. Il y a quelque chose qui m’interpelle « grave » et qui, à ma connaissance, n’a été soulevé nulle part : j’ai cru comprendre que dans ce jeu (que je n’ai pas regardé) les candidats croyaient infliger des décharges potentiellement mortelles. Ma question est très simple : en France personne (sauf certains agents des services spéciaux, et sans s’en vanter), en aucune circonstance (sauf légitime défense), n’a le droit de torturer ni de tuer quelqu’un d’autre : c’est LEGALEMENT interdit et conduit direct en prison. De quelle mélasse est donc composé le cerveau de ces candidats (candidats à un jeu de télé-réalité, rappelons-le…connait -t-on la composition sociologique de l’échantillon ?) pour avoir cru qu’ils étaient déchargés de cette responsabilité comme le leur disait la présentatrice ?? je trouve ça totalement dingue ! Qu’ils aient pû croire, parce qu’on leur disait, qu’ils n’étaient aucunement responsable de leurs actes ! A aucun moment ils n’ont pensé à leur responsabilité juridique ? Je suis le seul que cela interpelle ?

  26. Deux anciens ministres, Marie-Noëlle Lienemann et Paul Quilès, dénoncent une « incitation à la violence » et ont déposé plainte contre les auteurs du documentaire.

    Article dans Le Parisien du 26/03/2010
    http://goo.gl/Qndq

  27. Monsieur ;
    Je tombe un peu par hasard sur votre blog ; ayant déjà répondu à de nombreuses critiques, je me contente de laisser le débat se dérouler –il est souvent passionnant et pertinent. Je me permets néanmoins de vous répondre car certaines de vos objections sont à mes yeux inédites.

    « D’où vient alors le sentiment permanent de malaise distillé par le film? » écrivez-vous… « L’expérience de Milgram portait sur l’autorité. Or, sa transposition télévisée ne démontre pas l’existence d’une “autorité” télévisuelle, mais plutôt la soumission au dispositif. » C’est effectivement la conclusion à laquelle nous sommes nous-mêmes arrivés et qui, me semble-t-il, est très explicite dans le documentaire. Les 10 dernières minutes sont consacrées à la notion d’emprise de système, qui nous paraît plus pertinente que celle de soumission à une autorité, même si incontestablement il y a une autorité incarnée sur le plateau et son absence n’est pas sans incidence. La variante 4 qui est présentée à la fin du film montre qu’en l’absence de l’animatrice, les résultats s’inversent aussitôt : 78% des questionneurs arrêtent le jeu. Si vous vous référez au livre que nous avons publié, vous découvrirez que d’autres variantes ont été expérimentées. La variante 3 était totalement inattendue. Milgram avait mesuré l’obéissance en cas de contestation de l’autorité par une autre autorité (un deuxième scientifique tentait d’arrêter l’expérience à 180v tandis que le premier poussait le questionneur à continuer). Dans cette variante, TOUS les questionneurs désobéissent aussitôt et arrêtent. Conclusion : l’individu n’est pas un loup mais un être social qui agit en fonction de ses propres valeurs quand il en a le choix… Or en répliquant cette variante (qui n’apparaît donc pas dans le film) nous n’avons pas pu reproduire ce phénomène. Au contraire : aucune variation (74% des candidats vont jusqu’au bout).
    C’est cette donnée qui nous amène à penser que le dispositif du plateau télévisé plaçait l’individu dans une situation autrement plus inextricable que dans le labo de Yale.
    Nous avons donc les mêmes conclusions de fond que vous. Nous voulions justement que s’engage une réflexion sur la nature même du pouvoir que détient la télévision.
    Mais je ne vois pas en quoi cela invalide le principe même de notre travail (« un projet dont le fondement paraît des plus fragiles »)…
    1) Face aux ordres aberrants d’une animatrice, les questionneurs se comportent comme Milgram l’avait décrit : en « état agentique ». La description de ce processus nous a semblé pertinente. Si cela peut permettre au téléspectateur de pouvoir repérer ce qui, dans son propre comportement, s’apparente à « l’état agentique », au moins aurons-nous gagné quelque chose…
    2) La radicalité de l’expérience de Milgram en fait sa valeur fondamentale : face à l’évidence d’une situation (un type hurle à mort pour qu’on arrête de le faire souffrir) deux personnes sur trois continuent quand un scientifique le leur demande. Nous disposons donc d’un indice (au sens instrument de mesure) de la puissance de domination d’une autorité (là, la science) sur les êtres humains. Utiliser cet instrument de mesure pour le comparer à d’autres structures de pouvoir (en l’occurrence celui de la télé) n’a rien de fragile. D’autant que nul part nous disons comme vous l’écrivez que « LA télévision a une autorité équivalente ou même comparable à celle de LA science »… Soit-dit en passant, on nous reproche justement l’inverse : d’affirmer que la télé dispose d’une plus grande autorité que d’autres systèmes d’emprise…
    3) Comme vous le savez, le concept de « système d’emprise » repose sur plusieurs fondements, et d’abord la propagation de ses valeurs –ce que la télé a génialement réussi. Cette propagation chez les téléspectateurs explique que, quand ceux-ci se retrouvent en position d’agir A LA TÉLÉ, ceux-ci se comportent comme ils ont appris depuis leur naissance en regardant le poste: en parfait petit sujet de la télé, qui sourit, répond, est détendu et sympathique… C’est ce que la télé attend de nous et c’est ce que nous reproduisons quand nous y passons. Y compris quand l’évidence est que l’on fait souffrir quelqu’un.
    J’arrête là l’argumentaire. Je pense très sincèrement que nous disons à peu près la même chose. Ce qui m’étonne, c’est justement cela : pourquoi, en essayant d’expliquer votre malaise, vous en arrivez à dire ce que nous disons tout en nous reprochant de ne pas le dire ? Je constate dans de nombreux commentaires hostiles des phénomènes similaires à ceux que Milgram avait subi en son temps.
    – L’acharnement à trouver « un truc » (l’échantillon est bidon, l’acteur crie mal, comment peut-on y croire, il y a de l’argent en jeu, j’en passe, certaines réponses à votre blog en sont truffées).
    – La situation créée ne vaudrait rien ( le droit français l’interdirait, l’animatrice est une jolie femme, la musique est ceci et cela, le public, etc) qui est l’exact réplication des critiques faites à Milgram (le droit américain l’interdirait, le scientifique en blouse grise est odieux, l’écrasement du poids de l’université de Yale, etc).
    – On n’apprend rien (on le sait que l’homme est un salaud, ou un loup ou un lâche ; découvrir que la télé a un pouvoir ah ben bravo ; tout ça n’est qu’un spectacle pour faire de l’audience, etc.). Par contre (là c’est drôle) Milgram, lui, quel sérieux, quelle découverte, comment oser… A se demander pourquoi, si nous enfonçons des portes ouvertes, les principales informations contenues dans nos deux films ont fait le tour de la terre (vous n’êtes pas obligé de me croire, mais CNN a fait trois sujets de plus de quatre minutes, tous les grands journaux d’info du monde aussi).
    – C’est de la pseudo science (le pauvre Jean Léon Beauvois en prend pour son grade : j’ai même lu sous la plume de D. Schneidermann que j’aurais fait exprès de prendre un barbu pour ressembler à un scientifique…).
    Tous ces discours me semblent relever du même processus intellectuel que celui que vous formulez joliment : « D’où vient alors le sentiment permanent de malaise distillé par le film? ».
    Après m’être longuement interrogé sur cette question, je crois que la réponse est chez Milgram lui-même : voir et comprendre un processus de soumission est absolument insupportable et scandaleux. Il faut tout faire pour mettre cela à distance. Quitte à dire la même chose que nous en nous critiquant de ne pas l’avoir dit…

  28. La seule conclusion de l’expérience, c’est que la télé a beau s’évertuer à diffuser 150 fois un mauvais film (I comme Icare, en l’occurrence), personne n’a l’air de s’en souvenir.

  29. Monsieur Nick

    Dans votre long commentaire ci-dessus, vous pointez certaines critiques mais vous ne répondez à aucune, vous contentant de souligner que Milgram avait subi les mêmes en son temps, et que donc « c’est du réchauffé ».

    C’est de la dialectique basique, et vous utilisez là exactement le même procédé que celui que vous reprochez à vos détracteurs.

    Vous écrivez « … C’est ce que la télé attend de nous et c’est ce que nous reproduisons quand nous y passons (parfait petit sujet, qui sourit, répond, est détendu et sympathique) » ; vous est-il arrivé une fois dans votre vie de regarder Apostrophe ou d’autres émissions de débat de même niveau?

    Vous écrivez aussi, essayant d’écarter les critiques en pointant ceux qui les formulent : « voir et comprendre un processus de soumission est absolument insupportable et scandaleux. Il faut tout faire pour mettre cela à distance. ». Comment alors expliquez vous le succès des livres et documentaires de plus en plus nombreux qui étudient les processus de soumission en Allemagne ou au Japon lors de la Seconde Guerre Mondiale (on sait parfaitement que les SS, les soldats japonais, n’étaient pas tous foncièrement des salauds mais on été pris dans un « système ») ?

    Aurez-vous le courage de répondre de façon simple, claire et concise aux questions (reformulées) ci-dessous :
    – oui ou non le droit français interdit-il de faire souffrir/tuer autrui même si l’ordre vous en est donné ? (ma réponse à moi : oui !)
    – oui ou non un échantillon de volontaires pour un jeu télé est-il représentatif de la population ou pas ? (ma réponse à moi : non évidemment, il s’agit d’esprits simples ; d’ailleurs je crois bien qu’à aucun moment la composition sociologique de l’échantillon n’a été donnée, qu’aviez-vous donc à cacher ?) (Notez bien que je ne dis pas échantillon bidon, je dis échantillon non représentatif, comme l’était d’ailleurs celui de Milgram).

    Je termine en faisant remarquer qu’un de vos arguments est à mourir de rire : « A se demander pourquoi, si nous enfonçons des portes ouvertes, les principales informations contenues dans nos deux films ont fait le tour de la terre » écrivez-vous ; avez-vous réfléchit à l’énormité de ce que vous écrivez là ? Moi je fais un pari avec vous : nous savons tous que Marylin a été la maitresse de John, hé bien je parie que si on trouve une photo intime d’elle avec le président elle fera le tour de la terre même si c’est une info déjà connue… vous ne croyez pas ?
    Cela dit la réponse à votre interrogation est évidente : les « principales infos » sur « le pouvoir de la télé » ont été reprises par …d’autres télés parties intégrantes du cirque médiatique, ce qui reste une façon de parler encore d’elles-mêmes et de célébrer leur pouvoir (On pourrait se moquer davantage en voyant que de vous-même vous choisissez d’évoquer CNN, certainement effectivement un modèle en terme d’information pensée, équilibrée et réfléchie (ah cette bonne guerre en Irak…) et non pas un média plus prestigieux (comme BBC ou autre), mais ce serait tirer sur l’ambulance).

    Moi je reformule votre phrase comme cela : « « A se demander pourquoi, si Christopher Nick n’a pas enfoncé de portes ouvertes, les audiences ont été si mauvaises ».

    Merci de répondre aux questions posées plus haut.

  30. Monsieur Christophe Nick, j’ignore si vous lirez ce post, mais je me permets de répondre au vôtre avec mes propres objections et opinions.
    J’ai l’impression que votre proximité avec le sujet vous fait confondre deux choses : l’expérience d’une part, et le documentaire diffusé d’autre part. En regardant le documentaire ou en lisant le site dédié par France 2, je suis désolé de le dire mais la rigueur méthodologique n’apparaît absolument pas, au contraire, on a l’impression d’un travail franchement douteux. Pourtant en lisant des textes plus précis sur le sujet (notamment un de JL Beauvois qui traîne sur le net), on s’aperçoit que votre travail, qu’on juge pertinent de rééditer l’expérience de Milgram ou non, était plutôt probe et scientifiquement valide. Maintenant, revoyez le documentaire en oubliant le reste et vous verrez qu’il est über-télévisuel, sensationnaliste, très peu pédagogique et finalement a-scientifique (montrer des toits pleins d’antennes comme dans le générique de La Grande Lessive de Mocky ne prouve rien sur la tv par exemple).
    Par ailleurs j’ai tendance à m’inquiéter un peu pour vos cobayes : ceux de Milgram ont eu du mal à surmonter l’épisode, mais au moins ils n’ont pas été montrés à la télévision à une heure de grande écoute. Pensez-vous avoir pris la mesure de la question ? Dans le débat qui a suivi l’émission vous sembliez vous-même inquiet.
    Je sais que vous considérez que tous ont donné leur accord à cette diffusion, mais n’est-il pas paradoxal de parler de l’accord de gens dont vous avez démontré que vous étiez capable de les maîtriser ?

    @Joachim : j’aime cette manière de mettre tout le monde d’accord, car au fond la télévision c’est le flux, l’oubli permanent… Toute personne à qui des gens de télé ont fait des promesses (je vous préviendrai quand ça sera diffusé,…) savent ça.

  31. Le manque de rigueur importe peu. Ce qui compte, c’est ce qu’essaie de dire ce documentaire, et ce a quoi il parvient malgré tout. Les commentaires consécutifs a la diffusion et critiquant la méthode
    montre bien qu’il y a un trouble qui s’est insinué, et c’est ce qui compte. Un peu comme Michael Moore, parfois grossier dans sa méthode, mais profondement sincère.

  32. Merci à Christophe Nick pour s’être prêté à l’exercice ingrat de répondre sur ce blog. Si mes lecteurs veulent que cette conversation puisse se poursuivre, plutôt que de convaincre des convaincus, il leur appartient de garder dans leur propos la mesure qui convient au dialogue.

    Pour ma part, plutôt que de gloser indéfiniment sur l’expérience de Milgram, j’aimerais revenir sur les présupposés qui fondent les choix du documentaire, et qui portent sur la télévision et son influence. Si la thèse développée dans le film était exacte, nous devrions voir les télévisions françaises envahies par la télé-réalité. Or (et à moins de confondre ces programmes avec n’importe quel jeu télévisé), on constate exactement le contraire: après une émergence en fanfare au début des années 2000, le nombre de ces émissions n’a fait que diminuer, au point qu’on n’a guère de mal à prévoir leur extinction prochaine sur TF1, où la Ferme Célébrités fait des audiences pitoyables. On pourrait faire une observation comparable à propos des programmes « extrêmes », type Jackass, qui, après avoir suscité la curiosité, sont plutôt en perte de vitesse. Les émissions qui ont aujourd’hui le vent en poupe sont les reportages ou les émissions pratiques façon D&Co. On constate aussi le retour en force des talks-show de seconde partie de soirée. Bref, la télé contre laquelle se bat Christophe Nick, que nous montre l’introduction du Jeu de la Mort, n’est-elle pas un ennemi fantasmatique et déjà daté?

  33. D&Co ou les émissions de coaching (cuisine, apparence, éducation, psychologie… et vente de biens immobiliers) relèveraient de la télé réalité d’après le documentaire « temps de cerveau disponible » passé le lendemain du « jeu de la mort ».
    Je trouve cet amalgame un peu artificiel pour ma part. Même si la mode du coaching me semble un peu angoissante (il faudrait se faire guider, accompagner, tutorer pour tout, on ne serait jamais à la hauteur), elle n’est pas un phénomène télévisuel, elle est aussi un phénomène de librairie et un secteur économique à part entière.
    La question qu’on pourrait se poser est : notre façon de voir la télévision en 2010 est-elle foncièrement différente de notre manière de voir la télévision en 1990 ? La réponse est certainement oui, mais c’est à mon avis sans rapport avec Loana ou Steevy : en 2010, on regarde les extraits choc des émissions qu’on a ratées sur Youtube, on regarde les séries télé sur DVD et on ne sait plus trop ce qui passe sur les grosses chaînes. La nouveauté de ces dernières années, ce n’est pas Endemol, c’est plutôt Internet et la TNT.

  34. @ Christophe Nick,

    En lisant votre réaction, le récit de la genèse de votre film (plusieurs années de gestation) et le dernier commentaire d’André Gunthert, je me dis que votre film était essentiellement anachronique, en retard, à côté de la plaque… la gestation a peut-être duré trop longtemps… Il arrive comme cela que des révélations arrivent à un moment où leur contenu est déjà devenu une évidence et où leur cible s’est retirée… d’où l’impression d’inutilité qui traverse de nombreuses objections à votre film… C’est peut-être sur le rôle de la télé d’entertainment (tf1, M6…) dans le champ de l’information « sérieuse » qu’il aurait été intéressant de porter le fer de la critique… Car là, la manipulation est très efficace…
    Je crains que vous n’ayez « manipulé » des personnes réelles que pour produire une tautologie… « il est facile de manipuler des gens manipulables »

    Le propre d’une démarche scientifique est de savoir renoncer à une idée de départ pour se réorienter en cours de route… vous semblez avoir cherché à reproduire une expérience en vous accrochant coûte que coûte au dispositif initial… dont le résultat était antérieur à cette nouvelle « expérimentation »…
    Enfin, j’ai l’impression que les enjeux philosophiques d’une telle expérience vous échappent totalement, le nez dans le guidon vous défendez un dispositif sans évoquer la notion de sujet, d’éthique ou de liberté… l’homme y est une machine dont les statistiques nous indiquent la régularité…
    Voilà pourquoi, selon moi (et bien d’autres) votre film est à côté de la plaque et finalement plus sensationaliste que ce qu’il dénonce…

  35. Le propre d’une démarche scientifique est de savoir renoncer à une idée de départ pour se réorienter en cours de route

    J’ai peur que le propre d’une production télévisuelle à gros budget ne soit pas forcément d’avoir le courage d’envisager de changer radicalement de cap en cours de travail. C’est un peu l’écueil du genre, la télévision n’est jamais scientifique (hors certains documentaires animaliers de la BBC ?) car elle obéit à des impératifs précis : sans même parler d’argent, le but de toute émission est d’être montrée (et vue).

  36. Merci pour « videocracy ».
    Quand je pense qu’à la préhistoire de notre télévision de maçon Mitterrand avait fait venir Sua Emittenza… J’en suis toujours pas revenu.

  37. A Olivier Auger ;
    Comme vous avez pu le lire, mon texte s’adressait à l’auteur du blog et n’avait pas la prétention de répondre à tous les commentaires qu’il a suscité. Ne me reprochez donc pas de « ne répondre à aucune critique » puisque tel n’était pas mon intention. Par ailleurs, vous pouvez me reprocher tout ce que vous voulez mais pas ça : j’ai passé cinq jours et cinq nuits sur le Forum de France 2 à répondre par des dizaines d’interventions aux milliers de questions posées. C’était copieux, et pas exclusif : forum Télérama et l’Express entre temps, radios et interviews journaux, ça va, je n’ai pas l’impression d’avoir esquivé qui que ce soit. Si j’ai répondu à ce blog, c’est qu’il me paraissait plus original que beaucoup d’autres, plus pertinent et pas contradictoire avec notre travail.
    Il posait une question que je me pose : « D’où vient alors le sentiment permanent de malaise distillé par le film? ». Ce n’est pas une question « esthétique », même si je me le suis demandé. Si le film avait été « nul », on n’en parlerait plus depuis longtemps. (On peut certes le trouver « nul », mais ça n’est pas matière à débat. Donc le « malaise » qui fait débat est ailleurs.) (Ce n’est pas de la dialectique basique, juste un questionnement par l’absurde).

    Si j’ai déjà regardé Apostrophe ? Mais mon Dieu oui ! Et pour tout vous dire, j’ai participé à « Bouillon de culture » en 1997, pour la sortie du livre que j’avais co-écrit avec Pierre Péan : « TF1 un pouvoir ». Je peux vous dire un truc : c’était mon premier débat télé, Péan et moi n’arrêtions pas de jouer au « parfait petit sujet, qui sourit, répond, est détendu et sympathique » et qui pourtant n’en mène pas large, au point que Pierre s’est arrêté en plein milieu d’une phrase, complètement paumé, incapable de se souvenir de quoi il parlait !
    Pour être à l’aise sur un plateau, il faut en faire plusieurs dizaines. On devient alors « un bon client » et on est invité en boucle.

    Comment j’explique « le succès des livres et documentaires de plus en plus nombreux qui étudient les processus de soumission en Allemagne ou au Japon » ? Ben de la même façon que j’explique l’engouement autour de nos films : ce sont des questions fondamentales. De la même façon que mes deux films « la résistance » diffusés en 2008 par France 2 ont eu un très grand succès. Mais permettez moi de ne pas confondre un travail sur les archives et l’histoire avec une expérience réelle qui vous invite à regarder « en face, droit dans les yeux » votre voisin, votre cousine ou vos parents s’engager dans ce processus, de décortiquer les moments successifs où l’individu renonce, s’oublie et se soumet. Désolé, j’ai visionné plus de 600 heures d’archives sur la 2e guerre mondiale, c’est une matière exceptionnelle, mais ce n’est pas du tout la même. Point.

    « Aurez-vous le courage de répondre de façon simple, claire et concise aux questions (reformulées) ci-dessous » me demandez-vous… Oui, mais je ne vois pas où est le courage. C’est plus une question de temps.

    « oui ou non le droit français interdit-il de faire souffrir/tuer autrui même si l’ordre vous en est donné ? »
    Mais oui ! Heu… Et alors ?

    « oui ou non un échantillon de volontaires pour un jeu télé est-il représentatif de la population ou pas ? »
    Mais non ! Il ne l’est pas, j’ai déjà répondu 50 fois à cette question. Comme vous l’avez remarqué, il ne s’agit pas d’un sondage, mais d’une expérience de psychologie sociale (vous appréciez ou pas, peu importe, c’est un fait). Ce type d’expérience repose donc sur un échantillon comparable à un autre échantillon de même nature confronté à X variantes de la situation initiale. Nous avons donc repris rigoureusement les mêmes critères que ceux de Milgram pour pouvoir comparer les deux situations. Voilà ce qui nous permet de dire : chez Milgram, X% de gens font ci, dans la zone Xtrême, Y%. Pour connaître l’ensemble du protocole de recrutement, je vous invite à consulter le forum de France Télévision consacré au sujet (contrairement à ce que vous dites, nous n’avions rien à cacher). Plus de 2 millions d’internautes s’y sont déjà connectés. Si vous n’aimez pas ce type de forum, je vous renvoie à notre livre « l’expérience extrême » aux éditions Don Quichotte : vous y découvrirez l’ensemble du protocole (1ere partie du livre, les 107 premières pages).
    Vous avez parfaitement le droit de considérer que les membres de cet échantillon sont « des esprits simples ». Figurez vous que moi aussi, j’ai longtemps considéré les gens qui passent leur temps sur des forums comme des esprits simples. Et voyez : j’ai changé…
    De même, je trouve très différent de moi les gens qui répondent aux sondages. Et encore plus les gens qui acceptent de participer à des expériences scientifiques. Est-ce à dire que je n’accorde aucune valeur aux sondages ? Que je récuse les tests sur les médicaments ? Que je trouve sujet à caution les études qualitatives ? Tout ça parce que MOI, je n’y participerai pas ? Non. Ce sont des instruments de mesure qui valent ce qu’ils valent : tout dépend du sérieux avec lequel c’est fait. Je crois sincèrement que,personne ne peut mettre en doute le sérieux du travail de l’équipe de J.L. Beauvois. Donc admettez les résultats de ces travaux, même s’ils sont déplaisants.

    Sur l’argument « à mourir de rire » et « l’énormité » de ce que j’écris concernant la reprise mondiale des résultats e l’exprience, je ne peux que retourner le compliment. Vous parlez dix lignes plus haut de l’Allemagne et du Japon face à la soumission. Mais là, brutalement, vous parlez de Malynin et John… Vous me demandez d’avoir du courage pour vous répondre, hé bien on va se lâcher : votre rage vous aveugle, vous en finissez par dire n’importe quoi.
    Quant à CNN alors que la BBC est plus pretigieuse… J’aurai peut-être du parler aussi des trois sujets de la BBC ? Et de ABC ? Et de CBS ? Et tant qu’à faire, de l’ARD en Allemagne ? Et des télé israéliennes, qui trouvent que c’est drôlement intéressant comme sujet, alors que nombre de soldats israéliens sont poursuivi devant les tribunaux pour « désobéissance »…
    Désolé pour vous, mais vous m’obligez à un exercice de vantardise : il serait plus rapide de compter les télés qui n’en on pas parler que l’inverse…
    Par ailleurs, le film va sortir en Allemagne, en Espagne (en salle), en Italie, au Portugal, aux Pays Bas, en Russie, au Canada, en Israël… J’arrête là. Voyez ? Vous ne tiriez pas sur une ambulance…

    Ah ! Sur la petite perfidie : « à se demander pourquoi les audiences ont été si mauvaises »… Eh bien elles ne l’ont pas été ! 13,7%, c’est plus que la moyenne des documentaires de prime time sur France 2 depuis 18 mois. C’est surtout le documentaire qui, de très loin, a été regardé le plus regardé par les « jeunes », comme on dit : 25% des 15-35 ans l’ont vu. C’est énorme. Aucun documentaire n’avait jamais passé la barre des 12% dans cette tranche d’age.
    Maintenant, si votre question avait été : pourquoi avec tout ce battage vous n’avez pas fait 40%, je peux vous répondre facilement : parce que c’est un film dur, noir, éprouvant. Mais il pose des questions essentielles. Visiblement, les jeunes avaient envie et besoin de ce programme. Les plus de 50 ans l’ont fuit. Ils n’en avaient ni l’envie ni le besoin.
    C’est tout.

  38. A Jean-no

    La rigueur méthodologique. Quand c’est écrit en « Beauvois », vous la trouvez. Quand elle est dans un film, vous ne la trouvez plus, et quand elle est sur le forum, vous la voyez douteuse… C’est pourtant la même méthode, mais expliqué trois fois différemment. Ce qui prouve l’utilité d’avoir plusieurs discours dans plusieurs médias sur le même sujet. La forme narrative d’un film n’est juste pas comparable avec celle d’une communication de scientifique à scientifique.
    Vous me demandez d’admettre que le film était « über-télévisuel, sensationnaliste, très peu pédagogique et finalement a-scientifique ». Ben non ! Je ne l’admet pas ! Je veux bien décortiquer toutes ses séquences avec vous, mais ça serait long et fastidieux.
    1) Fallait-il montrer des extraits du pire du pire de la télé ? Comment faire autrement pour faire comprendre que nous ne sommes pas dans de la science fiction et que la mort en guise de divertissement est un problème réel ?
    2) Douze minutes pour l’exposé du protocole : est-ce trop ou pas assez ? Trop en termes de film, pas assez en termes de rigueur. D’où le livre, le forum, le blog de Jean Léon, etc.
    3) Fallait-il exposer le « temps de jeu » aussi longtemps ? Nous avons fait un choix opposé à celui du film de Milgram, qui repose sur 45 minutes d’exposition de 5 questionneurs. C’est narrativement plus simple, mais déontologiquement plus discutable. Nous ne souhaitions mettre en avant aucune individualité mais bien parler de comportements généraux. Cela passait par systématiquement associer trois ou cinq questionneurs à chaque phase. L’effet lourdingue est là. Mais il est indispensable pour ne pas basculer dans le voyeurisme (c’était notre avis, c’est peut être raté, on peut nous le reprocher, mais c‘est un parti pris).
    4) L’essentiel du film (une heure) repose sur l’analyse de chaque phase par Beauvois, Courbet et Oberlé, avec leurs quatre collaborateurs. Si cela n’a pas suffi à rendre le film « pédagogique », j’en suis navré. Nous avons en magasin plusieurs versions beaucoup plus longues, qui règlent les questions touchant au public, aux autres variantes, aux comparaisons de structures de pouvoir, etc. C’était, passionnant, mais indigeste. Le choix d’un traitement multi-média nous a semblé plus opportun.
    5) Les toits avec antenne sont un plan d’illustration sur un propos précis : une emprise de système repose sur la propagation des valeurs de ce système. Les antennes font sûrement cliché. Mais de l’antenne d’émission au satellite puis aux toits jusqu’au salon, c’était un mouvement qui permettait d’être didactique. Pas le meilleur passage, je vous l’accorde.
    6) Je pense qu’un des problèmes majeurs de ce film fut la façon de filmer l’expérience. La crédibilité de la situation nous obligeait à reproduire un vrai plateau de télé, avec l’exacte mise en scène de ce genre très particulier. Nous ne pouvions pas utiliser de procédés plus cinématographiques, ou plus « documentaires »,qui nous auraient permis de maîtriser différemment les émotions induites. Milgram, dans son film, avait lui aussi adapté le dispositif de tournage aux conditions de la situation : plan fixe en permanence, comme pour tout laboratoire… Etant sur un plateau de jeu, il fallait le tourner comme un jeu. Nous avons donc des valeurs de plan, une grammaire générale qui est celle du divertissement alors que l’on demande d’entrée au téléspectateur de regarder une expérience. Les codes sont inversés : on ne filme jamais les humains ainsi… Cette inversion des codes me semble en grande partie responsable du « malaise ». Ce que vous appelez de « l’über-télé » (jolie expression, bravo).

    Sur les questionneurs et leur ressenti. D’abord, impossible de globaliser. Les 80 candidats sont tous différents. Chacun a son histoire. Ce qui est sûr, c’est que l’expérience les a plus marqué que le passage à la télé. Ils la vivent quasiment tous comme un moment très fort de leur vie qui les a changé, leur a fait voir les choses différemment et les ouvre à quantité de questionnements dont ils n’avaient pas idée. Plus de 90% des questionneurs nous ont répondu trois mois après l’expérience qu’ils ne regrettaient pas de l’avoir vécu.
    Si j’étais mal pendant le débat, ce n’était pas à cause de ce que vous avez vu mais de ce que vous n’avez pas vu. Je pense que tout le monde est au courant de « l’incident Hondelatte-Lacroix ».Sachez que je me portais garant auprès des deux questionneurs invités que tout se passerait bien. Tout ne s’est pas bien passé. Je redoutais particulièrement le moment où l’on cherche des explications à l’obéissance (ou la désobéissance) dans des traits de personnalité, ce qui s’est effectivement passé et m’a mis très mal à l’aise (heureusement, cela a été coupé). Ca a déclenché une énorme tension.
    Je regrette infiniment ce débat. Ses angles. Sa dureté. Ses non-dits. Mais c’est ainsi : je n’y étais qu’invité, pas organisateur ni parti prenante. Nous avions conçu notre travail en deux parties, mais « le temps de cerveau disponible » a été déplacé le lendemain.

    Ah, sur l’accord des questionneurs quant à la diffusion de leur image. Votre objection serait recevable si une année ne s’était pas passée entre le temps de l’expérience et la diffusion du film. La télé peut certes vous faire faire n’importe quoi, mais à une condition : être sous son emprise. Là, étalée sur une année, je ne pense pas que l’emprise que nous avons exercé puisse perdurer. D’autant que plusieurs courriers, téléphones et échanges de mail donnaient à chacun la possibilité de se rétracter (d’ailleurs les trois qui ont refusé d’être dans le film l’ont fait plusieurs jours après avoir initialement donné leur accord).

  39. A André Gunthert

    Votre question rejoint la dernière partie du commentaire de Jean-No. Notre programme était constitué de deux films. « Le temps de cerveau disponible » diffusé le lendemain était une étude de l’évolution du divertissement à la télé depuis 30 ans : pourquoi certains diffuseurs en sont arrivés à programmer des émissions « trash » que personne n’aurait imaginé possible il y a vingt ans ? Et pourquoi l’horrible fascine ? Pourquoi, aujourd’hui, tant de téléspectateurs se délectent de programmes humiliants ?
    D’abord, question d’actualité, je pense que vous minorez ce qui se passe avec la TNT. Vous n’êtes pas sans savoir que ces « petites chaînes » amassent toutes ensemble entre 25% et 30% de PDM chaque soir. Elle recyclent TOUTES les émissions de télé-réalité, des pires aux plus bêtes. L’Ile de la tentation vient d’être rediffuser sur Virgin 17, suivit du pathétique « next », puis des épisodes TF1 de « Fear Factor »… La nouvelle transgression imaginée par l’ex reine d’Endémol (A. Laroche-Joubert) va bientôt apparaître sur W9, je crois qu’on n’a encore rien vu. Et guettez bien le nouveau jeu « the cube » mis au point par Fox TV, repris en triomphe en Allemagne cet automne : enfermement pendant plusieurs semaines d’un candidat qu’on prive de nourriture, qu’on sature de bruit, qu’on empêche de dormir, bref : qu’on sadise pour voir jusqu’où ça va…
    Je crois, avec Bernard Stiegler, que depuis 30 ans certaines télévisions ont fait le choix de miser sur l’exploitation de nos pulsions. J’avais déjà mis en avant dans « TF1 Un pouvoir » cette phrase magistrale de Mougeotte en 1991 justifiant au MIP l’existence de « Témoin n°1 » : « TF1 est là pour satisfaire les pulsions sécuritaires des français ».
    Bon, là, c’est clair.
    Le débat n’est pas sur telle ou telle émission, telle ou telle forme (télé-réalité ou immersion ou coatching ou encore reality-show). Il est : qu’est-ce qu’on dit dans les programmes, avec quoi on joue pour capter l’attention ?
    Il me semble indéniable que depuis que la télé met en scène l’intimité, elle a totalement renouvelé l’ensemble de l’offre de programmes. Jusqu’à la fin des années 70 (c’est un phénomène mondial) la télé se voulait être « une fenêtre sur l’extérieur ». Après avoir marché sur la Lune, on en avait fait le tour. La télé a donc retourné les caméras sur l’individu et nous a promis de voir l’invisible : l’inconscient. C’était indispensable, il était temps, mais les effets pervers sont infinis.
    La mise en scène des pulsions sert à déclencher des pulsions chez les téléspectateurs. Ca marche, parce que la pulsion est un automatisme (que l’on peut refouler, maîtriser, diluer ou sublimer, mais elle est là). Or ça change tout : quand on s’exhibe dans le poste, on devient automatiquement voyeur quand on regarde le poste. Le voyeurisme est, sans doute pour la première fois à l’échelle des civilisations, encouragé et légitimé par l’instrument le plus sympathique que nous contemplons si longtemps : la télé. OK, soyons voyeur. Le problème du voyeur, c’est que plus il voit, plus il est frustré. Il faut toujours plus de transgression. Que la ferme célébrité soit un flop ne change rien à la démonstration : l’offre voyeuriste était juste mauvaise.
    Tous les diffuseurs engagés dans ce type de programmes savent qu’ils jouent avec des limites, des tabous, des frontières. Celui qui gagne est celui qui sait franchir l’obstacle le plus habilement. Celui qui devient le roi du pétrole est celui (comme John De Mol) qui trouve un nouveau type de mise en scène capable de recycler toutes les recettes de l’intimité et de la transgression. Entre les derniers talk show de Pradel sur TF1 et « le maillon faible » qui renouvelle tout, il s’est écoulé 4 années pendant lesquelles le divertissement était dans l’impasse. Ces temps nécessaires (et planétaires) ne changent rien à la tendance : depuis 30 ans, l’exploitation de l’intimité nous entraîne sur une pente de plus en plus régressive.
    Je suis donc assez pessimiste, sauf à entrevoir la question du contre pouvoir. C’est là que l’évolution de Canal Plus et France TV m’intéresse. En ayant refusé ce genre au début des années 2000, elles se sont forcées (presque inconsciemment) à trouver autre chose : le doc sur France TV, la fiction sur Canal prouvent qu’une autre télé est possible, tout en rencontrant le succès.

    En lisant la suite de ce forum, je pense avoir répondu dans ce post à Olivier Beuvelet…

  40. @ Christophe Nick,

    Merci pour la réponse 😉

    ps : je ne parviens à associer votre bonne foi manifeste à la forme filmique que vous avez donnée à votre questionnement de la télé…

  41. Monsieur Nick,

    Je ne suis pas en rage, simplement amusé. Vous me permettrez, j’espère, de rebondir sur votre réponse, pour continuer cette discussion.

    Vous écrivez péremptoirement : « Pour être à l’aise sur un plateau, il faut en faire plusieurs dizaines. ». Savons-nous à combien de plateaux télé l’ouvrier cégétiste, tout à fait à l’aise, qui a claqué le bec à Sarkozy il y a quelque temps (Pierre Le Ménahes) avait déjà participé auparavant ? Plusieurs espérons-le, sinon vous seriez pris en flagrant délit de tirer des conclusions générales à partir de votre expérience personnelle alors qu’il y aurait des contre-exemples immédiats, ce que je n’ose imaginer.

    Vous tenez comme preuve que vous n’avez pas enfoncé de portes ouvertes le fait que votre émission a été largement reprise dans le monde : vous confondez (probablement volontairement, car vous n’êtes pas idiot) l’information et sa mise en scène. C’est ce que j’essayais d’expliquer en prenant l’exemple de Marylin et John : tout le monde sait qu’ils ont couché ensembles, mais si on en trouve une photo elle fera le tout du monde. Pareille avec votre expérience : tout le monde connaît ces résultats depuis des décennies, mais vous avez réussir à les rendre facilement visibles, donc ils font maintenant le tour du monde. Ce qui ne change rien au fait que c’était déjà connu (ce qui d’ailleurs ne me dérange pas plus que cela car il est parfois bon de rappeler les vérités). J’ai beau me relire je ne vois pas en quoi j’ai dis n’importe quoi ici, même si l’exemple choisi était volontairement provocateur.

    Pour CNN, je suis désolé, c’est vous-même qui aviez choisi de citer en priorité celle-là et pas les autres.

    Ma remarque sur le droit qui interdit de faire souffrir/tuer autrui n’avait pour but que de souligner mon étonnement, car je ne crois pas possible d’oublier cela même en présence d’une simple animatrice de télé. Donc je m’interroge sur la « sincérité » des candidats dans votre jeu. Avez-vous abordé la question des limites légales dans votre émission ?

    Ma remarque sur les soldats japonais et les soldats allemands avait aussi pour but de rappeler que les processus de soumission n’ont en soi strictement rien à voir avec la télévision ; j’avoue n’avoir pas bien saisit ce que votre expérience avait de spécifique « télévision » par rapport à une classique expérience de psychologie de groupe « conditionné ». Pouvez-vous m’éclairez ?

    Concernant la question de l’audience, d’ailleurs secondaire a mes yeux (comme la plupart des visiteurs de ce blog, du moins je l’ imagine, je suis habitué à regarder des documentaires qui font 3% d’audience..), vous conviendrez quand même que les chiffres ont été très mauvais en regard du battage qui avait précédé cette émission. Vos justifications me laissent perplexe : quand vous écrivez « il pose des questions essentielles. (…). Les plus de 50 ans l’ont fuit. Ils n’en avaient ni l’envie ni le besoin »…. Et pourquoi ?

    Voyez-vous, moi sur le fond je n’ai pas d’objection fondamentale a votre émission ; il est même possible que les conclusions générales qui s’étalaient dans la presse et qui m’irritaient tant ne soient pas de votre fait (de vous-même vous réduisez ici la portée de votre émission en admettant que l’ échantillon n’est pas représentatif, et qu’il ne s’ agit que d’expérience de psychologie sociale dont les enseignements, si je comprends bien, n’ont pas vocation a être généralisés à l’ensemble de la population comme ils l’ont été abusivement par les médias -si c’est à l’ insu de votre plein gré signalez-le moi) mais si j’ai d’abord réagi, peut-être un peu durement, c’est surtout parce que je trouvais que votre première intervention sur ce blog utilisait toute les bonnes vieilles ficelles de la dialectique et ne me paraissait pas vraiment « intègre ».

    Donnez-moi l’occasion de me dire que je m’étais trompé.

  42. 12:04
    13:13
    13:54
    Quel rythme !!
    Ce 1er avril, Christopher Nick n’aura pas déjeuné.

    Ca n’arrêtera pas les trolls mais ça a tout à coup humanisé leur victime.
    Intéressante expérience de psychologie sociale. 😉

  43. Quand c’est écrit en « Beauvois », vous la trouvez. Quand elle est dans un film, vous ne la trouvez plus, et quand elle est sur le forum, vous la voyez douteuse… C’est pourtant la même méthode, mais expliqué trois fois différemment

    Hmmm… Je vous renvoie à la jolie formule d’Alfred korzibsky : la carte n’est pas le territoire. Une représentation n’est pas ce qu’elle décrit et un même objet peut être décrit de moult manières. Par conséquent le fait qu’un même objet ait été présenté de plusieurs manières ne rend pas ces manières égales. Le fait que le « jeu » ait été filmé à la manière d’un jeu télévisé ne me choque pas, je voulais juste dire que le montage était inquiétant, il donnait l’idée d’un travail beaucoup plus approximatif que ce qu’il a été en réalité. C’était tout.

Les commentaires sont fermés.