Le singe, le photographe et la propriété intellectuelle

Quelle est la fonction de la propriété intellectuelle? Le droit contemporain n’en a plus la moindre idée. Telle est la conclusion que l’on peut tirer de la mésaventure du photographe animalier David Slater, auquel Wikipedia a volé une image, au prétexte que c’est un singe qui a appuyé sur le bouton.

Lors d’un voyage en Indonésie en 2011, Slater se fait dérober son appareil par un macaque. Le photographe récupère l’instrument après que celui-ci l’ait manipulé, déclenchant à plusieurs reprises (un cas qui n’est pas unique). Plusieurs images s’avèrent exploitables, moyennant  recadrage. Les pseudo-autoportraits du macaque remportent un succès mondial (voir ci-dessus). Mais lorsque Slater réclame le retrait de l’image à l’encyclopédie en ligne, qui la met à disposition gratuitement, celle-ci refuse, déniant au photographe toute propriété de l’image.

Interrogé par Libération, l’avocat spécialiste du droit d’auteur Emmanuel Pierrat n’est pas surpris par le cas : «C’est celui qui prend la photo qui en est le propriétaire. L’empreinte de la personnalité qui permet de définir l’auteur d’une œuvre, relève du singe. C’est lui qui cadre la photo et appuie sur le déclencheur à un moment qu’il a choisi seul.»

Un singe peut-il être l’auteur d’une œuvre de l’esprit, au sens que définit la propriété intellectuelle, qui implique notamment son exploitation commerciale? Pas besoin d’un doctorat en philo pour affirmer tranquillement qu’une telle opinion est absurde. Tous les touristes du monde qui ont un jour prêté leur appareil à un tiers pour se faire tirer le portrait vont-ils désormais devoir faire signer une décharge pour avoir le droit de conserver l’image sans risque de procès? N’en déplaise à Pierrat, c’est le touriste qui a ici raison contre le juge. Celui qui prête son appareil part du principe que c’est le propriétaire de l’appareil qui reste propriétaire de l’image.

En appliquant le droit de propriété, et non celui des œuvres de l’esprit, le touriste définit sa production comme un simple document, et non comme une création originale. Plusieurs cas récents montrent que ce raisonnement est appliqué de manière très générale. Quoiqu’exécuté par Bradley Cooper, le fameux selfie des Oscars a bien été attribué à l’instigatrice du cliché et propriétaire de l’appareil, Ellen DeGeneres. De même, lorsque des possesseurs de smartphones ont publié sur les réseaux sociaux les images produites par des voleurs, nul n’a imaginé un procès pour non-respect du droit d’auteur de ces opérateurs indélicats. Enfin, le caractère fortuit de l’autoportrait de l’écureuil du lac Minnewanka n’a nullement empêché le National Geographic d’acheter l’image et d’y appliquer son copyright (voir ci-dessous).

La logique défendue par Wikipédia diffère pourtant du raisonnement de Pierrat. Parce que c’est le macaque et non le photographe qui a appuyé sur le bouton, ce dernier ne peut revendiquer son droit d’auteur. Produite de manière fortuite, l’image est supposée relever du domaine public.

Cette manière de voir est au mieux simpliste. David Slater n’est pas seulement le propriétaire de l’appareil. C’est bien lui, et non le singe, qui a sélectionné, recadré et diffusé les images, toutes opérations relevant de l’exercice du jugement de goût. Réduire la production d’une image au seul clic du déclenchement n’est pas une manière très pertinente d’envisager la complexité des usages visuels.

Pour n’importe quelle personne dotée de raison, il ne fait aucun doute que les photos issues de cette péripétie appartiennent à celui qui les a fait connaître. Mais cela fait longtemps que le droit a oublié tout bon sens en matière de propriété intellectuelle, qui ne sert plus qu’à justifier des sophismes.

40 réflexions au sujet de « Le singe, le photographe et la propriété intellectuelle »

  1. Et surtout, je pense que la question n’est pas de savoir si il y a copyright ou pas, et qui, etc… ce qui me choque c’est que c’était une position utile de voir Wikipedia challenger l’ESA pour avoir le droit de diffuser des photos spatiales au grand public, c’est tout à fait autre chose de faire chier un photographe pour des raisons dignes de Kafka avec des interprétations capillotractées qui ne riment à rien… En choisissant de jouer le fort contre le faible, Wikipedia va rapidement se retrouver dans la peau des acteurs oligopolistiques qu’on dénoncait il y a 10 ans. Not-for-profit et collaboratif ou pas. Ce serait un échec incroyable.

  2. Bonjour,
    Je vous trouve bien sérieux,
    J’ai le sentiment que pour Wiki, il ne s’agit que de trouver un moyen de faire parler d’eux.
    Wiki a la gratuité dans le sang, c’est leur cahier des charges, mais la gratuité animale,
    C’est nouveau, et il y aura bien un avocat pour défendre les droits du singe,
    Ils ne vont rien gagner sur le plan du bon droit, à part un peu de surface dans les média.

  3. « les photos issues de cette péripétie appartiennent à celui qui les a fait connaître »
    Navrée, mais je ne vois pas en quoi ce raisonnement est moins absurde que celui qu’on reproche à Wikipedia. Imaginons que je me prenne en photo avec l’appareil d’un tiers, et qu’il les fasse connaitre dans le monde entier : c’est à lui que reviendrait la propriété intellectuelle ? S’il le voit comme ça, il a intérêt à courir vite parce que moi pas du tout et je lui ferais savoir…

  4. Merci à Jean-Baptiste pour ses avis. Mis à part la notion d’oeuvre automatique, qui à mon avis ne peut pas exister (il y a toujours au moins un éditeur, qui prend la place du producteur si celui-ci est absent stricto sensu), je partage son analyse – et son inquiétude.

    Non, Nestor, ce n’est pas une blague, c’est un symptôme, parmi beaucoup d’autres, de la bureaucratisation galopante de Wikipedia. Les images ont toujours été un problème pour l’encyclopédie, compte tenu de l’absence de droit de citation. Mais Wikipedia a choisi de jouer la légalité, ce qui a eu pour effet de freiner très largement son développement visuel. En jouant de toutes les exceptions, anomalies, zones grises, Wikipedia est devenue très forte au petit jeu du chat et de la souris juridique, qui n’avait été exploité jusqu’à présent que par les détenteurs de droits. Les voilà à leur tour pris au piège de la sophistique. Ceux qui y perdent, ce sont les utilisateurs et les contributeurs amateurs, qui font désormais face à un Léviathan bureaucratique (lire: « L’insupportable lourdeur bureaucratique de Wikipédia« ).

    @La Bonne fée: Le cas que vous décrivez existe, c’est celui que je mentionne ci-dessus des voleurs de smartphones, dont les photos ont été publiées par leurs propriétaires (elles atterrissaient dans le cloud). Si vous avez connaissance d’un procès pour exercice illégitime du droit d’auteur gagné par les voleurs, tenez-moi au courant… 😉 Ne confondez pas cette propriété de fait avec la propriété intellectuelle, dont le monde réel nous montre qu’elle ne s’applique pas aux usages non commerciaux.

  5. Ce n’est pas la première fois que je vous lis concernant la problématique du droit d’auteur, et je n’arrive pas à être vraiment convaincu par votre position néanmoins intéressante car elle fait bouger les lignes.
    Vous substituez une règle rigide générale par une autre règle tout aussi rigide : est propriétaire celui qui prend la photo (on arrive certes à des situations un peu absurdes) par est propriétaire du cliché le détenteur de l’appareil photo, avec cependant un changement de nature du droit, de propriété (et non d’auteur), pour le cas que vous citez habituellement du touriste qui se fait photographier par un tiers. Mais qui, à part peut-être le « touriste », va définir cette photographie comme un document ? Les caractéristiques d’un document photographique seront-elles immuables ? Y’a-t-il eu beaucoup de procès à votre connaissance du tiers contre les touristes par exemple ? Dans l’histoire du singe photographe, la non-revendication du droit d’auteur fait que l’image tombe dans le domaine public. C’est peut-être une idée à creuser.
    Précision : je ne milite absolument pas pour l’extension ni la judiciarisation excessive droit d’auteur !

  6. Je ne sais pas trop où on en est aujourd’hui, mais autrefois il me semble que dans le droit anglo-saxon, si le producteur de l’image fournissait ses films (ici son appareil) au photographe, il en avait la propriété matérielle et intellectuelle, alors qu’en droit d’auteur européen c’était le fait d’être l’auteur de l’image, pourvu qu’elle présente un caractère d’originalité (indiscutable ici me semble-t-il 🙂 ), qui lui permettait de revendiquer le droit d’auteur.
    Maintenant je suppose que l’erreur commise par le propriétaire de cet appareil, c’est d’avoir adopté la posture du photographe. S’il avait été un artiste qui avait conçu un dispositif qui passait par l’utilisation d’un singe pour réaliser une photo, sa propriété sur l’oeuvre ne serait pas discutée.

  7. @ Christophe Dorny: Il y a deux volets présentés ci-dessus, correspondant aux deux arguments développés par les Wikipédiens. Le premier, repris par Pierrat, est d’attribuer l’auteurat au singe, puisqu’il a appuyé sur le bouton. Le second, au contraire, est d’estimer que Slater ne possède pas le copyright de cette image, car l’image a été produite de façon fortuite, le singe ne pouvant pas être considéré comme un auteur.

    Ces deux arguments sont contradictoires entre eux: c’est là que l’on repère la mauvaise foi de Wikipédia, qui utilise la PI de deux façons différentes pour arriver à la même conclusion: pas de retrait de la photo.

    L’exemple du tiers sollicité par le touriste, comportement universel et constaté par tout un chacun, permet de démentir le sophisme selon lequel « c’est celui qui prend la photo qui en est le propriétaire ». Je ne substitue pas une règle à une autre, je donne un contre-exemple, qui montre que la réalité est plus complexe, et que les usages photographiques ne se laissent pas réduire à une application mécaniste de la propriété intellectuelle.

    Le second argument est plus élaboré, c’est celui que Soufron appelle « oeuvre automatique »: comme une image produite par une caméra de surveillance ou un satellite d’observation, la machine a ici en quelque sorte fait la photo toute seule (avec l’aide du singe, mais sans que celui-ci soit conscient de produire une image). Le contre-exemple du touriste n’est pas intéressant ici, car il peut être assimilé à un protocole (il y a instigation de production d’image par le propriétaire de l’appareil, ce qui n’est pas le cas avec le macaque).

    Je réponds ici que faire une photo, ce n’est pas seulement appuyer sur le bouton. Comme le suggère El Gato, l’art contemporain donne mille exemples de productions créatives « éditées » ou « curatorées », pourquoi en rester à une conception aussi sommaire de la production visuelle? La réponse est encore une fois un recours sophistique à l’argument de la propriété intellectuelle, dont le principe est effectivement de remplacer la propriété du détenteur (propriété matérielle) par la propriété du producteur (propriété immatérielle).

    Toute image est-elle forcément créative, et donc susceptible de se voir appliquer les règles de la PI? La réponse de la justice, c’est qu’il faut évaluer l’originalité de la production pour savoir si celle-ci est ou non une œuvre. Dans le cas où la production n’est pas jugée originale, il n’y a plus de protection légale, on est dans le domaine public. Mais les usages montrent bien que ce binarisme n’épuise pas les situations réelles. L’exemple du touriste permet de constater qu’il existe des usages correspondant à une application de la propriété matérielle (droit du détenteur), et non de la propriété intellectuelle (droit du producteur). Je pense pour ma part que le droit, croyant évaluer des images, n’évalue en fait que des usages. Une image peut changer d’usage au cours du temps (ce qui est bien le cas du selfie du singe), c’est donc à mon sens tout le mécanisme d’appréciation des œuvres qui devrait être revu.

    @El Gato: Oui, en théorie, droit français et droit US diffèrent. L’un fait de la PI un droit naturel, non déclaratif, l’autre le définit comme une convention sociale, droit négocié. Mais dans la pratique, on voit que le copyright anglo-saxon se rapproche de plus en plus de la conception française: les discussions des wikipédiens, qui appliquent « de force » la qualification de PI, sont la preuve que la propriété intellectuelle est de plus en plus pensée comme un droit naturel – le cas du macaque en fournit une illustration exemplaire.

  8. Bonjour

    Avec une pointe d’humour, il en faut, je trouve que le photographe aurait dû porter plainte pour vol , il aurait peut être trouver un juge capable d’aller dans son sens, et aurait possiblement obtenu gain de cause, le singe aurait été ainsi contraint a lui payé des dommages et intérêts, ce qui fait que le photographe aurait pu récupérer une partie de ces gains, qui ne méritent en aucune façon d’être versés , au dit singe,sauf bien sur si notre ami singe veut financer une œuvre caritative ou sa Fondation SingeKédia , évidemment !

  9. Sur l’oeuvre automatique, il y a de la jurisprudence. Je peux chercher un peu si tu veux. Ce n’est pas tant une question de posséder le matériel que d’avoir créé le dispositif qui permet la photographie. Toute la question est de savoir si le fait d’avoir laissé le macaque prendre les photos sans lui reprendre l’appareil correspond à un « protocole », etc. Il faudrait fouiller un peu pour en être certain, mais honnêtement je trouve que ca se plaide pas mal.

    Mais le fonds du problème, c’est ce que tu dénonces. La bureaucratisation, ou plutôt de mon point de vue, la professionnalisation… tu as vu l’article que j’ai envoyé sur facebook à propos de l’historien amateur de la bombe atomique ?

    Je commence à avoir pas mal de choses sur l’importance des amateurs et je crois de plus en plus que c’est une des clés de la question numérique aujourd’hui.

  10. Je garderais quand même l’option humour,
    Je trouve cette blague excellente.
    Pour la partie Wikipédia, je ne les connais pas, et les fréquente fort peu,
    Je ne crois pas qu’ils utilisent mes images, et de mon point de vue,
    Le métier de photographe professionnel risque de disparaitre,
    Pour des raisons juridiques.

    Il va rester, les amateurs et les artistes.

  11. Bon après avoir fouillé un peu la jurisprudence, je n’ai rien trouvé 🙂

    Ce qui est certain c’est que ca ne s’appelle pas « oeuvre automatique » en tout cas 🙂

  12. Il y a pour moi un vrai manque de rigueur dans cet article et dans certains commentaires : on passe du droit de propriété « général » à des questions de droit de propriété littéraire et artistique comme si les deux étaient identiques. Sans être juriste je pense que l’auteur est bien au courant de cette distinction qu’il évite pourtant bien soigneusement.

    Aucune des images relayées ici ne sont protégées par le droit d’auteur. En droit parce qu’aucune ne porte l’empreinte de la personnalité qui caractériserait l’originalité condition d’accès à la protection. Plus pertinent face à ce billet « non juridique », l’état actuel du droit à ses raisons : si ces clichés étaient protégés alors tout le serait et on ne pourrait ne serait ce que prendre une photo (qui constitue un acte de reproduction) de quoi ou qui que ce soit.

    Il y a une propriété matérielle que vous évoquez mais celle-ci n’est que dans la retranscription matérielle précise de ces images. Le possesseur de l’appareil photo avait la propriété sur celui-ci, comme le touriste se faisant prendre en photo, comme le propriétaire volé. Personne ne peut, normalement, les contraindre à donner leur carte mémoire ou même des éléments qui sont dessus : ils en sont propriétaire. Toutefois le contenu « intellectuel » qui ne réside que dans nos esprits (où il a une forme de matérialité dans les synapses etc. mais laissons ça de côté) lui reste libre sauf exception. Les propriétaires sont propriétaires de l’image dans l’appareil, pas de la représentation du monde que tout un chacun pourra recommuniquer. Slater comme National Geographic souhaite s’attribuer des droits alors qu’ils n’en ont pas plus que chacun d’entre nous sur la représentation intellectuelle. Il y a volonté de fraude.

    C’est un équilibre plus que nécessaire et dont l’industrie culturelle paye le prix de ne pas avoir voulu le respecter, d’avoir voulu que tout soit protégé et quelque soit les conditions de la reproduction.

    D’autant que le droit d’auteur français n’a pas pour vocation (cela peut être critiqué) de protéger l’investissement mais bien une forme de processus créatif, un passage d’une forme interne dans l’esprit de l’auteur à une forme externe pouvant être perçue par un public par un processus de création. Alors oui comme évoqué plus haut si le photographe au lieu de dire « le singe m’a volé l’appareil et a pris les photos tout seul (ce qui fait d’ailleurs aussi l’intérêt de la photo) avait dis qu’il avait mis en place un processus complexe disposé des choses d’une certaine etc. il aurait peut être pu obtenir la protection. Le simple recadrage(ce qui là encore n’est pas clair), la simple sélection ne suffit pas sans quoi google serait déjà propriétaire de toute les représentations des rues du monde.

    Là pourtant pas de forme interne pas processus de création : juste du « hasard » (en réalité déterminé par les compétences psychomotrices du singe mais passons). Si on protégeait cela encore une fois on protégerait tout.

    Peut être que vous souhaitez cela, ce n’est pas mon cas et je pense que ce serait désastreux et ce n’est pas l’opinion non plus des législateurs qui ont rendus ces textes contraignant qu’on ne peut toutefois soupçonner de « librisme »…

    Je me permets aussi de vous rappeler que si ces images étaient protégées vous auriez dans cet article réalisé un certain nombre d’actes de contrefaçons tous passibles séparément de 3 ans d’emprisonnement et 300.000€ d’amende.

    La vocation du droit d’auteur est d’instaurer un équilibre qui permette à certains auteurs de vivre de leur travail dans certaines conditions limitées tout en protégeant nos modes d’expressions, nos représentations du monde, notre domaine public.

    Slater a obtenu différentes formes de rémunération pour cette photo, hors droit d’auteur, sur d’autres il sera légitime a en obtenir via le droit d’auteur, en attendant wikipedia est parfaitement dans ces droits.

  13. Où voyez-vous que je confonds les 2 propriétés? J’observe simplement que dans la pratique courante, c’est la propriété matérielle qui s’applique – ce qu’aucun juriste n’est visiblement capable de constater, car son réflexe est d’appliquer la PI à toute forme culturelle, y compris par l’exclusion de l’objet considéré dans le régime du domaine public (autrement dit de l’absence de toute propriété), dès lors que le critère d’originalité ne serait pas rempli (un peu de rigueur: ce critère ne peut résulter que de l’avis d’un juge. Malgré vos certitudes, vous ne nous livrez ici qu’une opinion. Ne soyez pas trop sûr de vos conclusions, on a vu des arbitrages plus étranges…).

    Il n’y a aucun « hasard » dans la mise en circulation de la photo du singe, mais seulement dans son mode d’exécution. Réduire la production à l’exécution, ce serait comme attribuer un film au cameraman. Tous les raisonnements péniblement élaborés à partir de l’outil rudimentaire de la PI ont complètement oublié ce qu’est en réalité un auteur. Il est d’ailleurs caractéristique d’observer que l’argument du recadrage (la photo originale du singe est de travers, sa version publiée est recadrée et redressée) ne constitue pas un argument recevable ici, alors que dans d’autres cas, on a vu ce traitement fonder à lui seul des réclamations pour non-respect de l’oeuvre originale. Deux poids, deux mesures…

    Plus fondamentalement, si je mets en ligne sur Flickr une photo touristique dont je suis le producteur, non protégée par le droit d’auteur car elle ne présente pas d’originalité, et que quelqu’un copie le fichier et le cas échéant le reproduit dans un contexte sur lequel je n’ai pas mon mot à dire, puisque, comme Slater, la loi me retire tout droit de regard sur le document, je vous assure que je considérerai cela comme un vol. Le droit ne peut pas agir hors PI (au contraire, il légitime le vol dès lors que le document sort de la protection apportée par l’utilisation commerciale), pourtant, les non-œuvres existent…

    Je ne suis pas pour une protection de tout et n’importe quoi, au prétexte que tout serait œuvre. Au contraire, c’est parce que je suis bien conscient que de nombreux documents n’en sont pas, et surtout que le destin des formes peut fluctuer dans le temps, que j’estime qu’il faut raisonner non à partir de formes considérées comme intangibles, mais des usages, ce qui permettrait de produire des règles simples et lisibles. Vos certitudes hadopistes bien trempées ne me portent pas à croire que vous êtes intéressé par la moindre réflexion sur un dépassement de la PI. Dans le cas contraire, prière de consulter mon billet: http://culturevisuelle.org/icones/2832

  14. Ok je comprends mieux votre position mais elle est également contra legem et à mon avis néfaste en terme d’équilibre.

    Ce que vous souhaiteriez c’est que la propriété classique, classiquement appelée matérielle, s’applique à toutes les reproductions de l’objet hors tout droit de propriété intellectuel (PLA comme PI).

    J’extrapole peut être sur ce que vous dites mais « J’observe simplement que dans la pratique courante, c’est la propriété matérielle qui s’applique » me semble très trompeur, comme si c’était la réalité des choses alors que c’est loin d’être systématique et ce n’est pas du tout la règle du jeu.

    Ce n’est pas la propriété matérielle qui s’applique, des personnes incitées par un climat propriétariste aux niveaux des objets intellectuels considèrent que tout et n’importe quoi doit relever de leur propriété et mettent des « copyrights » partout. Cela donne également des idées à d’autres telle qu’une « propriété sur les données ».
    Le domaine public / les communs seraient mal gérés (et le s google fb m$ etc. en profiteraient). La solution : retirons tout des communs et donnons en plein de micro parties à chaque individu. Au lieu d’acter la non-commercialité, la non propriété de certaines choses tout serait mieux géré par la propriété.

    Quand vous dites que vous considériez comme un vol que quelqu’un reproduise votre « photo touristique », il y a des chances qu’en pratique vous ayez reproduit plus ou moins une photo touristique déjà réalisée : vous seriez dans ce cas un voleur car vous avez réalisé une photo similaire ? Quand vous télécharger le moindre contenu sur internet vous êtes un voleur ? Aux yeux du pur droit d’auteur vous êtes déjà contrefacteur pour ce qui est protégé par le droit d’auteur et vous vous voudriez en rajouter pour les choses qui ne sont pas protégées ? Cela simplifierait le régime au moins : tout serait du vol.

    Quand vous réalisez cette photo vous empruntez aux « communs », à la beauté des choses et aux actions de tous, présents et passés, qui ont amené cette situation précise. Dans certain cas précis les législateurs ont décidé d’accorder une protection mais la règle reste son absence.

    Non ce n’est pas un vol, on ne vous a rien « soustrait » et encore moins un bien matériel, votre propriété matérielle est toujours présente sur votre disque dur par le biais d’un propriété sur des particules polarisées magnétiquement ou assimilé.

    Je comprends toutefois que cela pourrait ne pas vous plaire, mais il s’agit là d’un équilibre, car si on interdit ça on limite drastiquement le domaine public et la liberté d’expression.

    Partir des usages comme vous le proposez, je suppose pour modifier la loi : pourquoi pas ? Pourtant, les usages que vous évoquez (de considérer comme propriété appartenant à un seul toutes reproductions d’une fixation d’une perception du monde) ne me semble ni être forcément l’usage ni une bonne solution.

    Je ne comprends pas comment vous déduisez de mes propos « des certitudes hadopistes ». Vous partagez à l’inverse avec elle le fait qu’il faut pouvoir interdire / empêcher la reproduction. Sans ce type d’institution et une propagande « la reproduction c’est le vol » les usages comme vous les souhaitez respectés à propos même d’oeuvres reconnues comme telles sur internet sont plutôt de reproduire sans se poser de question. En vous opposant à ce que wikipedia utilise ce cliché du singe pour illustrer son article vous êtes dans le camp des propriétaristes pas dans le camp du partage.

    J’ai été lire (rapidement) votre billet et je suis a priori assez d’accord avec son contenu, ineptie des « fausses exceptions » au droit d’auteur dont l’équilibre pose problème : l’exception de citation que vous citez est un bon exemple, la « non-exception » pédagogique en est un autre.

    Je pense aussi très pertinent de réfléchir sur cela : « il serait plus raisonnable d’admettre que la propriété intellectuelle concerne les usages marchands, et que tous les autres, non moins utiles à la vie en société, relèvent du domaine public. » Le problème restant de définir ce qui est un usage marchand comme le montre le grand débat de la clause « non commercial » des creative commons.

    Je ne comprends pas bien toutefois comment cela se combine avec votre critique du fait que wikipedia reprenne cette photo en la considérant dans le domaine public. Difficile de faire « moins marchand » que wikipedia : donc quoi ?

    S’agissant de l’évaluation de l’originalité, oui tout à fait cela ne relève que du juge, j’ai une bonne expertise en la matière mais effectivement connaître les tendances / la jurisprudence ne permet pas d’avoir une certitude absolue sur ce que dira le juge.

    En relisant ce morceau à l’aune de mes interrogations précédentes (désolé je me relis fort peu, cela gagnerait à être réorganisé et il y a probablement des fautes), votre critique tient peut être au fait que wikipedia considère que ce serait une oeuvre mais qu’elle serait dans le domaine public. A mon sens ce n’est pas le cas, le domaine public est le « par défaut » où réside aussi bien les oeuvres 70ans après la mort de leur auteur, que les idées et autres éléments non protégés. Je ne sais pas quel est la vision de wikimedia là dessus mais ça me semble avoir peu d’importance tant le résultat prévaut : cet usage est pour moi 1/ licite : c’est le juriste qui parle, 2/ souhaitable : c’est le citoyen.

    Les nons oeuvres existent, elles forment le domaine public et tant mieux, l’argumentaire de votre autre billet plaide pour une extension de celui-ci ou du moins des « permissions », là pour une réduction. Dépassons la PI pour en faire une simple propriété ?

    La propriété intellectuelle c’est le vol dit effectivement Sagot-Duvauroux mais la citation initiale de Proudhon reste importante : « la propriété c’est le vol. »

  15. Sur le fait que les photos ne portent l’empreinte de la personnalité de l’auteur, ce n’est pas forcément vrai dans le mesure où le photographe a rendu possible leur réalisation : en laissant le singe prendre l’appareil, en le laissant faire des centaines de clichés, en l’encourageant en ce sens, etc. Et aussi en faisant ensuite le tri entre les bons et les mauvais clichés. Ce n’est pas évident, mais je n’ai pas trouvé de jurisprudence qui permette de trancher ni dans un sens ni dans un autre.

    En revanche, vous avez tort de dire que les non-oeuvres forment le domaine public – le domaine public, c’est le domaine public, et ce qui n’est pas protégé par le droit d’auteur, c’est ce qui n’est pas protégé. Les deux ne se recouvrent pas et ne sont pas soumis au même régime – en matière de droit moral par exemple.

  16. Pas de jurisprudence sur un photographie réalisée par un animal à ma connaissance non mais la jurisprudence est déjà sévère pour les humains et a refusé la protection a de nombreuses reprises pour même des photos même avec mise en scène. Quoi qu’il arrive comme l’a rappelé André Gunthert cela dépend du juge et il y des fluctuations mais en droit et devant une juridiction française il faudrait vraiment que ce soit parfaitement plaidé et avec énormément de « preuve » de la mise en scène pour que cela ait un début de chance de passer. Mais des mots de Slater le singe lui a « volé » son appareil et s’est amusé tout seul comme un grand, il n’y pas eu là d’intervention de Slater, ce n’était pas une performance dont le but initial était déjà de faire cela. La forme interne de Slater n’était pas de faire réaliser une telle photo par le singe, c’est arrivé sans un tel processus.

    Pour le domaine public c’est une question de définition. En droit le domaine public découle d’une construction doctrinale a contrario et n’a jamais été « positivement » vraiment défini/délimité. Il est évoqué je ne crois que sur des questions de prorogations de droit dues aux deux guerres mondiales. A titre personnel je ne considère pas que le domaine public se limite aux oeuvres précédemment protégées où les droits patrimoniaux sont tombés (que ce soit par expiration des droits ou pour les pays où c’est possible par des mécanismes type CC0) mais à tout ce qui n’est pas ou plus protégé. Pas de soucis toutefois pour votre définition que vous partagez avec une partie conséquente de la doctrine juridique sur le sujet.

    Cela permet une conceptualisation circulaire (que je trouve assez saine) du droit d’auteur : l’auteur emprunte dans le domaine public, aussi bien des choses et des idées non protégées que des oeuvres où les droits patrimoniaux sont expirés, et à l’expiration des droits sa composition reconnue comme une oeuvre y retourne. Cela témoigne à mon sens mieux du tribut que l’auteur a envers la société et la nature.
    C’est une vision personnelle mais je pense que c’est une idée similaire qui est exprimée par wikimedia quand elle dit que la photo est dans le domaine public.

  17. J’aime assez le concept que Stou propose, de l’économie circulaire appliqué à la photographie, accompagné d’un droit circulaire.
    Mais on reste encore dans de l’Utopie, la photographie est fortement pénalisée par d’importants vides juridiques, ce qui rend ce métier (quand c’est un métier) un peu beaucoup hors la loi.
    Le problème n’est pas la loi, mais les ratio économiques, s’assurer d’un bon cadre juridique pour ses photographies coûte beaucoup plus cher que de faire des photographies.
    C’est la question que pose Wiki en réglant le problème à sa façon. Si le simple fait d’avoir un petit creux, donne le droit de piller une boulangerie, il va être difficile de trouver des boulangers pour faire ce boulot.

  18. Cette photo n’a pas de caractère d’originalité parce que ce singe cadre comme un humain. C’est d’ailleurs ce qui explique son succès auprès des humains. 😉

  19. Il me semblait pourtant acquis que toute partie révélant une oeuvre au public pouvait espérer obtenir quelques droits patrimoniaux sur elle.

    Enfin, même avec un bête stage de deux heures de PI, ça me semblait clair. Je n’en suis pas davantage éclairé désormais.

  20. Chalon Seine : non la révélation d’une oeuvre au public ne confère aucun droit et peut au contraire être une contrefaçon si non autorisée par le titulaire de droit (probablement l’auteur à ce stade).

    Toutefois si acquise légalement la personne réalisant la révélation peut avoir une propriété matérielle. Il y a un cas célèbre en droit qui va dans ce sens avec toutefois de grande limitation concernant Charles Camoin qui non satisfait de certains tableaux les lacèrent et abandonnent, quelqu’un s’en saisit, les restaure et les revend. Le juge reconnaît la propriété (bien abandonné : le possesseur devient propriétaire) même si sur le fondement du droit moral et du truchement du droit d’auteur ordonne au final la destruction.

    Cela va loin dans le sens de ce qu’André Gunthert critique : la propriété intellectuelle l’emporte la même dans un certain sens sur la propriété matérielle.

    Mais oui 2h de stage même uniquement de « PLA » c’est bien juste pour saisir la matière. Attention toutefois en « PI » propriété industrielle : c’est celui qui dépose la marque ou le brevet (ou pour le compte de qui est déposé la marque) qui est titulaire (sauf fraude).

  21. Rappelons que les discussions sur Wikipédia ont mobilisé les 2 arguments (contradictoires, mais conduisant à la même conclusion): 1) le singe est l’auteur; 2) le singe est le producteur (précision qui permet d’éviter d’attribuer l’auteurat au photographe) mais ne peut pas être auteur.

    Après moult reflexion, les juristes US sont eux aussi arrivés à cette conclusion d’évidence, qui dément Pierrat. Bravo pour cette rare acuité de jugement.

    Mon désaccord porte sur les deux déductions tirées de cette prémisse: si le singe, producteur, ne peut pas être qualifié d’auteur, a) alors cette image est une forme fortuite, b) qui relève du domaine public.

    a) Que le singe ne soit pas l’auteur ne signifie pas que personne ne soit « en position d’auteur » à propos de cette image. Comme l’a démontré l’art contemporain depuis les Ready-made de Duchamp (selon Wikipédia: « les ready-made sont des œuvres d’art qui n’ont pas été réalisées par l’artiste, ce dernier n’intervient en effet que pour les sélectionner, changer leur contexte et leur statut par la désignation »), il est possible d’attribuer la qualité d’auteur à l’éditeur d’une œuvre. C’est le raisonnement qui me semble s’appliquer le plus logiquement au cas de Slater. Il n’y a pas eu de contre-argument sur ce point, mais seulement la répétition obstinée de l’appréciation mécaniste du mode de production, alors qu’elle est manifestement inadéquate ici (le singe seul, quoiqu’il ait appuyé sur le bouton, n’aurait pas été capable de visualiser, d’éditer et encore moins de diffuser ce qui n’était qu’un fichier sur une carte mémoire, c’est-à-dire une potentialité d’image, strictement invisible sans l’intervention du photographe).

    b) Reste ensuite à discuter l’appartenance automatique de toute non-œuvre au domaine public. Si tel devait être le cas, alors il faudrait logiquement y verser la quasi-totalité de la production visuelle privée, toutes nos photos et vidéos familiales ou touristiques, dessins d’enfants, etc., qui perdraient par conséquent toute forme de protection et pourraient être reproduites et diffusées sans aucune forme d’autorisation, y compris dans un contexte commercial (c’est par exemple la position qu’a tenté de faire admettre Facebook dans ses CGU, ce qui a soulevé un tollé majeur, manifestant que le public tient à la propriété de ses images).

    Basé sur l’observation des pratiques réelles, mon point de vue est que le domaine public concerne soit les œuvres proprement dites à l’extinction de la durée de la protection légale, soit celles qui ont été déclarées explicitement comme autorisant l’usage public (NASA, licences CC, copyleft…). Les non-œuvres, en revanche, qui ne relèvent pas de la propriété intellectuelle, ne relèvent donc pas non plus du domaine public, qui est une construction découlant de la protection légale, et qui n’a pas d’autre définition que celle-ci.

    J’attends toujours les contre-arguments sur ces deux points.

  22. « b) Reste ensuite à discuter l’appartenance automatique de toute non-œuvre au domaine public. Si tel devait être le cas, alors il faudrait logiquement y verser la quasi-totalité de la production visuelle privée, toutes nos photos et vidéos familiales ou touristiques, dessins d’enfants, etc., qui perdraient par conséquent toute forme de protection et pourraient être reproduites et diffusées sans aucune forme d’autorisation, y compris dans un contexte commercial (c’est par exemple la position qu’a tenté de faire admettre Facebook dans ses CGU, ce qui a soulevé un tollé majeur, manifestant que le public tient à la propriété de ses images). »

    Avant Facebook et le autres, la question ne se posait pas. Tant que les photos ou les dessins d’enfant entassés dans une boîte à chaussure n’avaient pas été divulgués, il n’y avait pas lieu de s’interroger sur leur statut. Ce n’était que lorsque la photo avait été divulguée une première fois qu’elle était susceptible d’être reproduite sans l’accord de son auteur. Ce qui était très exceptionnel pour la photographie privée.
    Comme je suis photographe, je dirai que la photographie était à priori réputée être une oeuvre de l’esprit, le contrefacteur pensant bien entendu l’inverse, et c’était au tribunal de décider. Et si ce n’était pas une oeuvre de l’esprit aux yeux du tribunal, elle ne bénéficiait plus d’aucune protection.

    Il y a fort longtemps, il y a eu des discussions entre les associations de photographes français et allemands (entre autres) pour présenter un front commun à Bruxelles. Les allemands à l’époque avaient encore la séparation entre photographie documentaire et photographie artistique contrairement aux français. Leur avocat était très attaché à la notion de photographie documentaire parce que c’était une protection à minima (j’ai oublié les détails mais je crois que la protection tombait au décès de l’auteur, que le droit moral était inexistant ou presque et je suppose que les indemnités financières étaient moindre), mais s’il menait une procédure en se réclamant de ce droit spécifique attaché aux photographies dites documentaires, il était certain de gagner. Il n’avait rien à démontrer. La photo était considérée à priori comme documentaire.

  23. L’argumentation de wikimedia n’est pas celle que vous évoquez :
    Monkey Selfie
    January 2014

    A photographer left his camera unattended in a national park in North Sulawesi, Indonesia. A female crested black macaque monkey got ahold of the camera and took a series of pictures, including some self-portraits. The pictures were featured in an online newspaper article and eventually posted to Commons. We received a takedown request from the photographer, claiming that he owned the copyright to the photographs. We didn’t agree, so we denied the request.

    Ils n’attribuent pas l’autorat au singe, ils nient tout autorat, c’est Slater qui dit « wikimedia considère que le singe est l’auteur » mais ce n’est pas le cas.

    a) + Slater a clairement expliqué au moment de la première diffusion de la photo du caractère aléatoire de la photo, le singe lui a volé l’appareil, alors est ce que l’auteur est celui qui « sélectionne recadre et diffuse ? » : ce n’est pas le critère juridique et cela rajouterait un paquet d’auteur pas forcément légitimes à mon sens.

    b) oui l’essentiel de la production « privée » n’est pas protégée par le droit d’auteur et peut être utilisée normalement « librement » si ce n’est les limitations touchant au droit au respect de la vie privée voir du droit à l’image ; mais pour le cas simple, toute photo de paysage sans pouvoir justifier d’un processus assez exigeant cadrage particulier, choix de lumière etc. serait très certainement jugée comme non protégée par un juge et librement utilisable donc. En droit d’auteur français il n’y a pas de protection par le droit d’auteur de ces « non oeuvres » et il n’y a pas d’autre protection de ses images qui puissent s’appliquer. On pourrait élargir de jurisprudence qui reconnaissent une forme de « vol d’information » (ex récent décision bluetouff v. ministère pbc) mais même là il faudrait que ce soit « frauduleux » si l’image est récupérée licitement il ne pourrait pas y avoir de vol dans la reproduction qui ne peut constituer un recel.

    Pour le cas facebook : oui il y a une prise de conscience que facebook peut faire n’importe quoi avec et ca les personnes n’apprécient pas pour autant en droit ces images (notamment celles ne comportant pas de personnes privées pour simplifier) sont libres : ni facebook ni personne ne peut en contrôler la diffusion.

    Pour la question est ce que cela constitue le domaine public ou non cf. notre échange avec Soufron, je pense que les deux se tiennent ; en tout cas la doctrine majoritaire française considère que les oeuvres mises sous CC n’appartiennent pas au domaine public car sont toujours soumises au droit d’auteur patrimonial et à des conditions (copyleft, non commercial, même la licence by impliquent quelques conditions (très peu contraignantes)

    @Thierry Dehesdin
    Il y a une forte volonté des photographes pro de voir reconnaitre/édicter une présomption d’originalité pour les photos des photographes « pro » justement mais elle n’existe pas à l’heure actuelle ni dans la loi ni dans la jurisprudence, c’est à la personne qui demande de reconnaître une contrefaçon de prouver que son oeuvre est originale.

  24. @Stou Je suis au courant 🙂 sauf que les associations professionnelles le demandent pour toutes les photographies. Le principe du droit d’auteur à la française c’est que c’est l’originalité de l’oeuvre et non la notoriété de son auteur ou sa valeur économique qui justifie la protection ce qui exclue toute protection qui serait applicable aux seuls photographes pro.

  25. a) « Est ce que l’auteur est celui qui “sélectionne recadre et diffuse ?” : ce n’est pas le critère juridique »: merci de nous informer que l’urinoir de Duchamp est dans le domaine public… 😉

    b) « En droit d’auteur français il n’y a pas de protection par le droit d’auteur de ces “non oeuvres” et il n’y a pas d’autre protection de ses images qui puissent s’appliquer » Vous me lisez? En droit français, bien sûr que non, puisque le droit ignore tout ce qui ne ressort pas de la propriété intellectuelle. Mais dans les usages, il est intéressant d’observer que les non-oeuvres ne sont pas hors-« droit » (ou plutôt hors usages éthiques). Un blogueur qui me demande l’autorisation de reproduire une de mes photos diffusée sur Flickr, en dépit de son absence d’originalité (je ne suis qu’un modeste photographe amateur), transgresse la loi, qui lui permettrait de l’utiliser librement. A l’évidence, d’autres règles viennent compléter les lacunes de la propriété intellectuelle, en particulier celles de la propriété matérielle.

  26. a) pas du tout évident que si les ayants droits de Duchamp assignaient en contrefaçon quelqu’un qui reproduisait la « fontaine » ils gagneraient. Je ne sais d’ailleurs pas si la moindre des oeuvres de Duchamp a été « confrontée » à l’appréciation d’un juge ?
    Potentiellement si c’était vraiment une reproduction à l’identique (signée, même « fontaine » etc.) ce serait possible mais le cadre n’est pas exactement le même, en suivant un peu la conceptualisation proposée par Philippe Gaudrat il faudrait pour qualifier l’empreinte de la personnalité (et donc l’originalité) analyser le processus de création : forme interne à l’auteur (dans son esprit), qu’il a essayé de transmettre à un public par un processus de réalisation matérielle aboutissant à une forme externe / sensible. Dans le cas de Duchamp il y a une volonté interne de réaliser cette « oeuvre » précisément avec un objectif etc. ce n’est pas l’urinoir précis qui constituerait l’oeuvre il n’est qu’une méthode de traduction de la pensée de Duchamp.
    Pour la photo du singe c’est bien la photo prise par le singe qui pourrait être oeuvre ; le processus de sélection ultérieur ne vise qu’à faciliter sa perception par le public, comme le ferait par exemple un éditeur ou même une extraction d’un minerai rare.

    Mais vraiment l’art contemporain est assez mal reçu par la jurisprudence (a contrario il y a l’arrêt dit « paradis » mais l’originalité en matière d’art contemporain fait l’objet de questionnements importants).

    b) Oui je vous lis je pense avoir beaucoup mieux saisi votre pensée que lors de mon premier message. Je ne reste toutefois pas d’accord : le blogueur qui vous demande l’autorisation ne transgresse pas la loi, rien dans la loi ne lui interdit de vous demandez l’autorisation. La loi et le droit en général n’est pas l’alpha et l’oméga de la vie : il y a effectivement d’autres éléments auxquels la personne peut être attachée que vous appeliez cela la morale, l’éthique, les normes sociales de conduite ou bien encore même si cela s’en distingue un peu les usages.
    Hors droit et hors usages éthiques ne sont pas du tout des synonymes quand le droit ne prescrit pas un comportement éthique.

    Je pense par contre que vous vous trompez en tâchant de revenir au droit : ce n’est pas parce qu’il existe un droit de propriété matérielle que c’est cela qui est invoqué par les personnes ne souhaitant pas que leurs photos non protégées soient utilisées. En revenir au droit introduit ici de la confusion. Eventuellement les personnes conceptualisent une forme de propriété sur les photos (dans quelle proportion ?), un rapport au travail, ou alors un lien plus vague : c’est moi qui est produit cette photo, comme c’est de moi dont provient cette donnée aussi banale soit elle.

    Il y a des règles sociales qui indubitablement complètent la propriété intellectuelle dans ces rapports, ce n’est toutefois pas du droit, et même si certaines pourraient provenir de la notion de propriété ce n’est pas pour autant que le droit devrait les rejoindre et rendre la pratique contraignante / sanctionnée. Il s’agit là d’un choix politique de transformer cette norme sociale de conduite en droit. D’après moi elle n’est pas du tout si courante dans l’esprit des personnes que vous le pensez (mais ce n’est qu’une perception de ma part avec assez peu de valeur, je conçois tout à fait que votre travail de recherche parmi les photographes vous amène à penser autrement). Je pense qu’introduire une propriété matérielle sur toute production de photo ou dessin ou autre qui permettrait d’interdire ou de monnayer la reproduction/représentation numérique serait profondément néfaste en terme de liberté d’expression et d’épanouissement de la culture pour autant je suis content que des personnes suivent une éthique personnelle plus respectueuse qui dépasse les prescriptions la loi par principe / morale / éthique etc.

    Par exemple mes commentaires précédent ne sont probablement pas protégés par le droit d’auteur, je ne m’en sens pas propriétaire non plus, si quelqu’un veut les réutiliser : qu’il le fasse, si il fait un lien vers la source je l’apprécierai pour autant. Dans ce cas je pense même plutôt que c’est vous le propriétaire de ses messages ayant seul la possibilité de les faire disparaître « l’abusus » et même de les modifier. Ce qui là aussi peut poser problème (si vous modifiez pour m’attribuer des propos par exemple) mais le problème réside à mon sens là dans une atteinte à la liberté d’expression pas à la propriété.

  27. Plutôt que de poursuivre indéfiniment une conversation lassante qui tourne au cours de droit, je retiendrai votre « pas du tout évident » à l’endroit de Duchamp, qui résume bien ce que je veux dire. La PI s’est élaborée sur la base des concepts prémodernes de la création, en gros issus de Kant revus par Hugo, comme un artisanat du génie, version sécularisée de la création divine. Que cette architecture ait du mal à gérer Duchamp n’est pas un problème secondaire, car Duchamp n’est pas un petit maître, mais l’un des plus importants artistes du XXe siècle, qui a produit une nouvelle façon de voir et de comprendre l’œuvre d’art, un nouveau paradigme qui fait partie aujourd’hui des composantes essentielles de la création, et qui la définit d’abord comme une forme sociale. L’art ne fonctionne plus comme du temps de Hugo, et ce sont aujourd’hui les multinationales qui se sont emparées des droits monopolistiques que leur garantit une construction élaborée pour le créateur-artisan. Je pense qu’il est temps de faire l’effort de réfléchir à l’architecture intellectuelle dont le XXIe siècle a besoin, dans laquelle Duchamp sera beaucoup plus utile que Kant…

  28. « L’honnêteté bien mal récompensée »
    Le fait qu’un appareil photo se retrouve entre les mains d’un singe dans son milieu naturel n’est pas une anecdote, il a fallu que le photographe fasse une approche et se fasse accepter par ces macaques. Quand on dit approche, il faut entendre grande proximité, la photographie est prise au grand-angulaire, le photographe avait l’intention de prendre des photographies à très courte distance des macaques. David J Slater est un photographe animalier, une spécialité assez ingrate, hormis pour les chats, les chiens et les chevaux. Pour vendre un cliché, il faut accumuler de gros efforts, du temps et des moyens techniques. La comparaison est la même que pour les photographes de guerre beaucoup moins bien rémunérés que les photographes de people.
    Il y avait donc un choix technique pas évident du tout, celui de réaliser des photographies au grand-angulaire, donc de très très près. Ensuite, ces images ont été déruschées comme l’on-dit habituellement, c’est à dire sélectionnées. Ensuite, l’image choisie a été développée, car il ne fait pas de doute que le photographe travaille en brut (raw), puis recadrée, et là aussi les choix sont importants. Contrairement à ce que dit Maitre Emmanuel Pierrat, le cadrage est le choix du photographe, l’impacte de l’image n’aurait pas été le même si le cliché brut avait été présenté…
    Donc, l’intervention du photographe se situe au niveau de l’approche, de choix techniques (optique) et du travail de postproduction. Si l’on avait mis entre les mains de beaucoup la série de prise de vues, il y a très peu de probabilité qu’ils aient sélectionnée, développée et recadrée la même image.
    Beaucoup sont habitués aux appareils qui prennent en charge tous les paramètres et leur produisent des fichiers dits JPEG prêts à consommer. Seulement, si l’on fournissait des appareils dernier cri aux contributeurs de Wikipédia (ce qui est assez courant), il y a peu de chances qu’ils arrivent à obtenir des images de qualité d’animaux « sauvages » à courte distance.
    Sur Wikipédia, il y a du bon et du moins bon, voire du détestable. Ce besoin totalitaire de références est aisément contournable par tout réseau d’activistes, puisqu’ils peuvent produire les publications qui servent de caution, la primauté de ce qui est publié. En contrepartie, les cultures orales ne peuvent être référencées qu’à la condition qu’une personne ait relaté leur existence sur un média textuel, bel exemple d’obscurantisme.
    La seule erreur de David J Slater dans cette aventure est d’avoir été honnête et d’avoir dévoilé les circonstances qui ont conduit à cette image.

  29. @André Gunthert, sur le besoin de repenser l’architecture intellectuelle je vous rejoins complétement, je ne partage toutefois pas votre choix politique de la recentrer sur la propriété matérielle (qui n’empêcherait d’ailleurs pas les multinationales de s’emparer de ces droits). Je lance cette question en l’air sans élément réels de réponses, mais Duchamp a il eu besoin de la propriété littéraire et artistique ? Aurait il bénéficié d’une protection centrée sur les usages d’une appropriation personnelle sans contrecoup trop important pour la société ?

    @JeanLuk, si cette photo avait été réalisée (ou dite réalisée) par le photographe elle n’aurait pas eu du tout la médiatisation qu’elle a eu, le beurre et l’argent du beurre ? Je pense qu’il a fait le bon choix… quand au travail du photographe je comprends bien ces arguments mais donc toutes les personnes qui s’investissent dans quelque production intellectuelle sont elles « auteur » ? Cela me convient parfaitement, devraient elles toutes bénéficier d’un monopole ?

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