(Ne pas) voir Hiroshima

Dévoilée hier par le musée de la paix d’Hiroshima, une photographie du champignon de la première bombe atomique est diffusée aujourd’hui par la presse (voir ci-dessus, fig. n° 1). Déjà publiée en 1988 dans l’ouvrage Hiroshima-ken Sensai-shi (Les dommages de guerre dans la préfecture d’Hiroshima) à partir d’une reproduction, il n’en existait pas de tirage original identifié. Celui-ci a été retrouvé dans une école de Naka Ward, et sa légende au dos indique qu’il a été réalisé à proximité de Kaitaichi, à dix kilomètres d’Hiroshima, deux minutes après l’explosion.

L’image la plus connue jusqu’à présent était d’origine américaine. Il s’agit de l’une des quelque cinquante prises de vues effectuées à partir de l’Enola Gay (ci-dessus, fig. n° 2). C’est probablement de cette série photographique (ou des séquences filmées) que s’est inspiré Keiji Nakazawa, auteur du célèbre manga autobiographique Gen d’Hiroshima (1973, vol. 1, trad. fr. Vertige Graphic), pour représenter l’événement (fig. n° 3).

Si ce témoin oculaire, récemment décédé, s’est servi d’un support visuel, ce n’est pas seulement parce qu’il n’était pas situé au bon endroit pour apercevoir le panache dans son entier. Le dessinateur a aussi figuré un autre moment, celui de la déflagration proprement dite, qu’aucune photographie n’a pu enregistrer (voir ci-dessous, ordre de lecture de droite à gauche).

Pour une bonne raison. Comme l’explique Michael Lucken: «l’éclair provoqué par la déflagration a uniformément impressionné la pellicule photosensible», comme un immense flash [1] Cf. Michael Lucken, 1945. Hiroshima. Les images sources, Paris, Hermann, 2008, p. 78.. Le dessin de Nakazawa d’un garçon qui se protège les yeux pour ne pas voir l’explosion est peut-être sa plus juste représentation.

Notes

Notes
1 Cf. Michael Lucken, 1945. Hiroshima. Les images sources, Paris, Hermann, 2008, p. 78.

3 réflexions au sujet de « (Ne pas) voir Hiroshima »

  1. merci pour l’information.

    « Hiroshima : ce que le monde n’avait jamais vu » Le Monde 10 mai 2008
    « Très suspectes photos d’Hiroshima… » Le Monde 13 mai 2008

    Le Monde s’était laissé piéger
    et avait publié en pleine page un article sur dix clichés (de 1923 !)
    achetés par la Hoover Institution

    http://clioweb.free.fr/debats/hiroshima.htm

  2. Merci André. Oui, localement les habitants n’ont – pour la plupart – rien vu au moment du flash. Toutefois quelques exceptions, dont celle de Tôhara Hisashi.

    Ses mémoires « Il y a un an Hiroshima » restées dans ses affaires personnelles jusqu’à son décès il y a deux ans, viennent d’être publiées par sa femme (traduit chez Arléa, 2012). On y trouve une description fascinante – d’une acuité rare – de la lumière de ce moment-là. Il se trouve dans un tramway, en train d’aller à l’école et vient de rejoindre un ami, quand soudain les vitres se brisent :

    « La lumière n’en finissait plus de s’écouler. D’innombrables particules de lumière. De tous côtés elles m’assaillaient. Des particules de lumière éblouissantes, dorées avec des reflets rouges. Des particules microscopiques, plus fines que de la poussière de feu. Par dizaines de milliers, par centaines de millions, elles se rejoignaient en une immense vague qui ne cessait d’affluer. Un déluge de lumière, qui inondait la terre et déferlait à travers la vitre derrière moi. »

    Tôhara, H. (2012), op.cit., p.14.

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