Quelques questions à discuter avec @SebCalvet

Conversation publique un peu vive l’autre jour sur Twitter avec Sébastien Calvet. Alors que je signalais sans penser à mal le succès de l’initiative Wiki Loves Monuments (concours qui a réuni plus de 350.000 contributions dans le monde, dont 27.000 en France), le photographe de Libération me répond vertement: « Et combien de photog[raphes] au chômage?? » (voir ci-contre).

La politique iconographique de Wikipedia a toujours constitué à mes yeux son parent pauvre  (lorsqu’on veut voir une archive vidéo, on va sur YouTube). Je ne pouvais donc que me réjouir de voir l’effort de documentarisation de la plate-forme favoriser la dimension visuelle. Le handicap majeur de l’usage public des images restant l’absence d’une exception de citation, le légalisme de l’encyclopédie a empêché depuis l’origine de puiser librement dans les ressources iconographiques (tel n’est pas le cas sur Culture Visuelle, où nous considérons qu’un usage gratuit à des fins documentaires ou analytiques autorise le recours à la citation – par exemple d’œuvres de Sébastien Calvet). Sur Wikipedia, pas d’analyse ni de reproduction de la photo d’Einstein tirant la langue (Arthur Sasse, 1951) ou de Marilyn retenant sa robe (Sam Shaw, 1954). En raison de l’empêchement légal, ces documents de la culture ne sont pas pris en considération [1]Exception notable, Wikipedia publie depuis 2011 une reproduction – d’ailleurs issue de Culture Visuelle – de la photographie par Nick Ut de « la petite fille au napalm« , avec … Continue reading. De ce point de vue, la seule solution économiquement et juridiquement tenable était bien de faire appel à la contribution gratuite d’amateurs autorisant la reproduction de leurs images.

Le concours Wiki Loves Monuments peut-il nuire à un photographe professionnel? La reproduction de documents issus des Commons étant libre de droits, on peut imaginer qu’un éditeur utilise cette ressource dans une publication. Il n’en reste pas moins peu probable qu’un tel usage, qui ne fournit guère de sécurité juridique, vienne prendre la place d’une commande en bonne et due forme. Mais au-delà d’une menace économique avérée, l’association de Wikipedia et de la sollicitation des amateurs a agi comme un chiffon rouge, une provocation suffisante pour que Sébastien Calvet lâche une salve de tweets tout droit issus du café du commerce: «Que diriez-vous si quelqu’un qui, parce qu’il a lu quelques livres venait faire cours à votre place?? Ce sont des METIERS!!!» «Intellectualiser c’est bien… Mépriser les faiseurs d’images beaucoup moins… Avez-vous déjà pratiqué la photographie??» «Mais si moi et d’autres ne pouvons plus vendre nos images… Il n’y aura plus de photog[raphes] pro… Why not? Mais il faut le dire…» «Vous êtes prof, chercheur, vous avez un salaire? Qui vous paye? Vous vous adaptez, vous?»

Twitter n’est pas le meilleur endroit pour échanger de façon sereine et approfondie. Il ne faut donc pas s’arrêter aux caractères les plus saillants de ces tweets, mais tenter de comprendre plus globalement ce qu’ils expriment. Ce qui me frappe est la dimension épidermique d’arguments alignés en rafale. Le malaise profond provoqué chez les photographes pros par la nouvelle donne numérique, déjà largement discuté sur Culture Visuelle (notamment par Sylvain Maresca) apparaît ici clairement, en particulier par l’usage d’expressions exclusivement négatives ou défensives.

Disons-le d’emblée: cette perception n’est pas celle de tous les photographes. Contrairement à une autre accusation réflexe de Calvet, selon laquelle je ne saurais pas de quoi je parle, il semble bien que c’est lui qui est peu au courant des pratiques développées par la jeune génération de photographes, adepte du crowdsourcing, d’Instagram et des réseaux sociaux. Mais l’image d’une profession repliée sur elle-même et hostile à la modernité colle aux basques des représentants les plus voyants de la corporation, comme l’inusable Jean-François Leroy.

A mon avis, c’est cette image de réserve indienne qui nuit aujourd’hui le plus à la photo. Face aux évolutions fondamentales qu’a apporté l’outil numérique, comment imaginer qu’on puisse simplement continuer son business as usual, en vitupérant les nouveaux usages? Oui, il y a bien un problème de financement, qui vaut pour tous les produits culturels, puisqu’à ce jour personne n’a encore trouvé la martingale. Mais est-ce en tentant de préserver à toute force « l’économie de la baguette » chère aux défenseurs d’Hadopi ou bien en faisant preuve d’imagination qu’on trouvera la solution?

A cet égard, il est curieux de voir un journaliste, producteur intellectuel, s’abriter derrière le schéma de la rémunération artisanale. Faut-il rappeler que l’invention de la presse moderne est d’abord celle d’un nouveau modèle économique, qui fait du journal un produit populaire en abaissant son prix de vente grâce au financement publicitaire, lui-même favorisé par une audience élargie? De même, le passage aux médias électroniques, radio puis télévision, s’accompagne de l’invention d’un nouveau principe, rendu nécessaire par le caractère immatériel du transport de l’information: celui d’une mesure scientifique de l’audience, qui permettra non seulement de préserver le financement publicitaire, mais de rendre complètement gratuite la consommation des contenus.

Eh oui! la gratuité ou la baisse des prix, qu’il serait plus juste d’appeler financement invisible (puisque le coût des budgets publicitaires est répercuté sur le prix d’achat des produits) n’a attendu ni le web ni les amateurs! Elle a été inventée par la publicité, popularisée par la presse, encouragée par la radio et la télé. La commercialisation de l’information a fait l’objet d’innovations économiques audacieuses, sans lesquelles elle ne se serait jamais développée, ni adaptée aux évolutions techniques. Comment croire que la réponse à apporter aujourd’hui aux bouleversements numériques serait de faire le gros dos face à l’orage?

Inventer l’économie des contenus culturels à l’ère numérique s’est avéré plus complexe que prévu. Il y a de nombreuses raisons à cela: la nature décentralisée du réseau, la dispersion de l’audience plutôt que sa massification, mais aussi un remarquable retard à l’allumage des industries installées, qui ont laissé le champ libre à de nouveaux acteurs – Google, Apple, Facebook… La publicité, qui reste aujourd’hui la composante primordiale de l’économie de l’information, n’a pas réussi sa mue, et continue à raisonner en termes mécaniques d’exposition, comme au temps des médias de masse.

Résultat, mis à part les exceptions du recours à l’abonnement, qui reconduit l’un des plus anciens principes de commercialisation des contenus culturels, aucun journal doté d’un volet en ligne n’a la moindre idée de comment il pourrait en monétiser la fréquentation – sans avoir d’autre solution que de le développer, en misant sur l’essor de systèmes à accès contrôlable (mobiles, tablettes).

En d’autres termes, Libé, Le Monde ou L’Obs fonctionnent aujourd’hui dans une économie de bulle, soutenus par la subvention publique (6,5 millions d’euros de subventions par an pour Libé) et les augmentations de capital de leurs riches propriétaires – pas vraiment un modèle économique à recommander, mais un échafaudage de bric et de broc, à la durabilité problématique.

Puisque Calvet m’interroge sur mes moyens de subsistance (le fonctionnaire venant tout de suite après l’amateur dans l’échelle de la détestation du modèle artisanal), il me faut lui répondre aussi sur ce terrain, ce qui ne me pose guère de problèmes. Car si je suis à présent salarié par la fonction publique pour mes activités professorales, j’ai créé et produit la revue Etudes photographiques alors que je n’étais que simple vacataire, sans autre ressource que les petits boulots. Ce qui ne m’empêchait pas d’assumer en parallèle les fonctions de secrétaire général de la Société française de photographie, sauvée de la ruine par mes camarades et moi, tous bénévoles, comme 15 millions de Français œuvrant dans le million d’associations loi 1901 qui assurent l’encadrement de nombreuses activités sportives, culturelles, militantes ou humanitaires.

Cette écologie de la solidarité est devenue un composant essentiel des sociétés néolibérales deshumanisées, l’équivalent d’un service public parallèle, indispensable à son bon fonctionnement. Cette écologie ne relève nullement de la gratuité au sens du financement invisible, mais bien d’une économie du don – que Sébastien Calvet connaît bien, puisqu’il tient lui-même un blog, souvent cité sur Culture Visuelle.

Malgré l’assurance répétée par les néolibéraux que rien n’existe en dehors du commerce, l’essentiel de ce qui construit les relations humaines échappe au rapport monnayé. Ce qui menace en réalité le dogme fallacieux de la prépondérance marchande est bien la formidable mise en avant des activités de don et de partage, mises à profit comme jamais auparavant par l’extrême granularité du web, et dont Wikipedia reste aujourd’hui le plus magnifique exemple.

De la même façon que le web a reconfiguré de manière irréversible la distinction public/privé, l’un des enjeux primordiaux de l’économie de demain est de réussir à articuler commerce et partage, plutôt que de les opposer comme des ennemis irréductibles. De nombreuses réflexions sont en cours pour arriver à reconstituer un équilibre qui profite à tous (et même l’UPP prône le recours à la licence globale). Si nul ne sait encore ce que seront ses contours, une chose au moins est certaine: on ne reviendra pas au statu quo ante.

Notes

Notes
1 Exception notable, Wikipedia publie depuis 2011 une reproduction – d’ailleurs issue de Culture Visuelle – de la photographie par Nick Ut de « la petite fille au napalm« , avec l’autorisation expresse d’Associated Press, réservée à la version anglaise de l’encyclopédie.

28 réflexions au sujet de « Quelques questions à discuter avec @SebCalvet »

  1. Les photographes pro ne se retrouveront au chômage que s’ils sont incapables de montrer qu’ils peuvent faire mieux que les amateurs.

  2. Bonjour,

    Je ne connais pas tous les aspects de cette noble question, je vais juste vous donner quelques chiffres, et mon point de vue sur cette question en me basant sur mon travail sur 20 ans.

    En fait je suis photographe dans le domaine de l’architecture patrimoniale, les vieux trucs plus ou moins connu sur toute l’Europe, et un peu le Moyen Orient. Mes spécialités sont le monde monastique, en particulier cistercien, le monde du vitrail contemporain, du vitrail au sens large, et des jardins contemporains lié à un patrimoine ancien.
    Ma photothèque comporte 200 000 images et grand et moyen format et un peu de numérique. Pour réunir cela j’ai fait plus d’un million de Km, utilisé plein d’appareils, passé des milliers de nuits à l’hôtel, publié en temps qu’auteur unique (de l’iconographie uniquement je n’écris pas) 40 livres, une centaine de publications plus modeste, le tout pour plus d’un million d’exemplaires. Pour financer ces prises de vue, je fonctionne en prix de journée, j’ai en gros récolté 3 MEuro sur 20 ans.
    Aujourd’hui je vends encore quelques droits d’auteur au coup par coup, j’ai aussi des clients qui comprennent encore ce travail et me font travailler sur de nouveau site.
    Mais les moyens que j’ai trouvé, je ne les trouve plus, ce n’est pas Wiki qui me les a confisqué, et ce n’est pas Wiki qui va me les donner. En fait presque personne ne me les donne, donc ma photothèque stoppe sa croissance.
    J’ai le sentiment, qu’après avoir vanté le patrimoine et les voyages qui vont avec, beaucoup de gens ont fini par les faire ces voyages et à photographier ces lieux, et n’ont plus besoin de nous.
    Si j’ai des coupables à trouver, c’est plutôt l’augmentation du niveau de vie, la très grande production d’image, et des choix éditoriaux laxistes de la part des professionnels.
    Pour ce qui est de ma photothèque existante, les demandes deviennent plus rare, ce ne sera pas un plan retraite. Je vais finir à la donner aux archives départementales.

    Donc pour moi, ce qui se passe avec Wiki et autre n’a aucune importance, le droit d’auteur n’a plus beaucoup de sens, cacher un travail documentaire derrière du droit d’auteur me semble absurde. Un droit d’usage pourquoi pas, mais cela ne permettra jamais de financer un reportage sérieux, alors à quoi bon.
    Pour les travaux d’universitaires, ou de recherche, je n’ai jamais fait payer de droit d’auteur, mais si le CNRS me demande un reportage, je leur facture mon travail.

    La solution qui me semble possible et viable, c’est que le travail de prise de vue soit payé normalement, et que le droit d’auteur soit réservé aux véritables œuvres.

    Je n’ai aucune colère ni aigreur, j’ai décider de faire autre chose, et cela m’occupe très largement. Une colère contre une mutation que l’on ne saurait influer ne sert à rien, il faut impérativement faire autre chose.

    A+

  3. Les photographes professionnels même excellents se retrouveront au chômage, car tout prouve que l’immense majorité des utilisateurs préfèrent opter pour une photo à chier et gratuite en lieu et place d’une photo excellente et payante et réalisée par un professionnel. Ce qui montre au passage quelle considération ils portent à leur public.
    L’argument bidon selon lequel, il existe d’excellents amateurs (Ils sont tellement rares !), ne tient pas plus face au règne de la médiocrité qui s’installe partout insidieusement. Je crois résumer l’opinion de nombreux photographes professionnels, les vrais en disant: On emmerde les visionnaires donneurs de leçons !
    Bien cordialement

    FP

  4. « Je crois résumer l’opinion de nombreux photographes professionnels, les vrais en disant: On emmerde les visionnaires donneurs de leçons! »

    Pour les lecteurs de passage, il est utile de noter que ce commentaire n’est nullement représentatif de la position des photographes professionnels de la jeune génération, dont beaucoup sont parfaitement au courant des discussions sur l’économie culturelle en régime numérique – certains d’entre eux sont précisément des « visionnaires » qui explorent de nouvelles formes de financement et de partage, par exemple le photographe Karim Ben Khelifa, fondateur d’Emphas.is, site de crowdsourcing de reportages (voir présentation vidéo). Les postures sectaires entretenues ailleurs à grand renfort de violence verbale ne relèvent pas de la sociologie de la photographie, mais de la psychologie des groupuscules adeptes de la construction de réalités alternatives.

    @Frozen Piglet: Votre raisonnement ne tient pas. Votre diagnostic sur l’évolution de la demande (« une photo à chier ») n’est pas faux. Cette évolution, plus ancienne que l’introduction des outils numériques, est principalement due à la réduction des budgets de vos donneurs d’ordre… Quelle est la conclusion à en tirer? Que ce qui définit le professionnel est « l’excellence » de sa production? Ou bien que ce critère a perdu de sa pertinence sur le marché? Il me semble que le professionnel est celui qui sait s’adapter à son marché. Celui qui attend du marché qu’il s’adapte à sa pratique poursuit un autre combat…

  5. Qu’est-ce que c’est pénible cette cabale systématique contre les amateurs! et encore davantage quand dans nombre de professions – à commencer par les photographes –, on commence par être amateur! Etre amateur, ça veut dire donner du temps à une pratique que l’on aime, la faire vivre, la faire circuler.
    Quel mépris suffisant et corporatiste auto-protectionniste dans cette façon de poser par définition que la production amateur est « à chier » (avec toute l’élégance de la formule).

  6. @Polina Un professionnel c’est quelqu’un qui essaie de vivre de ses photos, et le plus souvent parce que c’est « une pratique qu’il aime ». 🙂 Un amateur c’est quelqu’un qui se livre à la même pratique sans objectif économique.
    Maintenant le mépris « suffisant et corporatiste auto-protectionniste » de certains n’est ni « une cabale » ni « systématique ». Ce n’est pas le discours de tous les professionnels et la vitupération du barbare n’est pas propre aux professionnels. Ces arguments sont également utilisés sur les forums dédiés à la photo, entre amateurs, pour qualifier le travail de leurs petits camarades.
    La violence des mots prend son origine dans l’angoisse d’une profession, sinistrée par la globalisation et la dématérialisation des supports de l’image, qui n’a pas d’usines à occuper pour exprimer son angoisse et sa frustration.

  7. Pourquoi est-ce que Wiki (qui vit de dons) diffuse du CC-BY-SA et pas du CC-BY-NC-SA (pas d’utilisation commerciale) ? Avec son initiative, Wiki vient de constituer gratuitement une photothèque que les éditeurs de tout poil pourront piller sans vergogne, eux qui ne payaient déjà pas lourd pour de la photo d’illustration. Si l’on ajoute l’effet démultiplicateur du « surréférencement » de Wikipedia et de ses ressources sur les moteurs de recherche, tout cela ne peut aboutir qu’à un appauvrissement généralisé : des producteurs d’images à la qualité du corpus… Du libre, oui, mais pas à n’importe quel prix (huhuhu !)

  8. André Gunthert est redoutable de rhétorique mais juste. Si on met la passion et la technique de côté, les photographes qui se revendiquent « professionnels » exercent un métier et, à l’instar d’une entreprise, leur but est de générer un bénéfice. Lorsqu’une entreprise perd des parts de marchés, elle a deux solutions : s’adapter et innover ou mettre la clé sous la porte. A ma connaissance, les pleurs et les plaintes ne se sont jamais avérés des plans de sauvetage efficaces.

    C’est toujours dur de voir disparaître ses privilèges et son confort de vie, ça peut avoir des conséquences regrettable… mais c’est la réalité implacable du capitalisme. C’est un peu facile de le louer quand on en profite et le brocarder quand il nous dessert. Il faut accepter les règles du jeu.

    Au risque de tomber dans le populisme, j’ajouterai également que ce type de rejets épidermiques chez nos aînés reste quelque chose de « très français » et contribue à alimenter ce climat de morosité ambiant.

    Un photographe « amateur ».

  9. <<Il faut accepter les règles du jeu.<<

    Merci Mr l'amateur pour ce cours d'économie, mais pour ce que je connais en photographie pro dans mon domaine, accepter les règles du jeu revient tout simplement à supprimer le jeu.
    Mon travail de professionnel consiste surtout à être très méthodique (en plus de faire des photos), et cela a un coût, et aucun amateur ne peut le faire, il ne s'agit pas d'aligner quelques "belles" images, mais de couvrir un sujet.

    Mais comme je l'ai dit plus haut, je change de cap, mais toujours dans le domaine de la photo bien sûr.

  10. Mais personne ne veut etre dans une « reserve indienne »… Arretez de prendre les pros pour des imbeciles et des inadaptes..c’est peut etre la profession qui s’est le plus adapte compte tenu de la revolution technique et profonde qu’as induite le numerique…les pros ne veulent pas empecher les « amateurs » de faire des images et de les diffuser…les pros veulent juste que ceux dont ce n’est pas l’activite principale ne donnent pas des images gratuitement a des organismes qui peuvent les payer….c’est notre metier et il existe encore que vous le vouliez ou non… il semble d’ailleurs que nombreux sont ceux qui voudraient le voir disparaitre…ou alors si là est l’objectif…il faut le dire clairement… à bon entendeur…

  11. Merci _klaf !!!!! Enfin quelqu’un qui répond correctement (et prouve ainsi qu’il maîtrise un tant soit peu son sujet !)
    Car désolée monsieur André Gunthert, mis-à-part des dizaines de lignes de défense, je ne lis rien de nouveau, de pertinent, de questionnant, qui puisse faire évoluer ma pratique dans mon métier. Et face à des énervés, certes, mais pointus, vous ne faites pas le poids.
    Il se trouve que je suis professionnelle, mais que je n’arrive pas à gagner ma vie. Aigrie ? Oui et non. Trop souvent passionnée pour m’adonner à ce sentiment stérile.
    Il se trouve que je suis pour le gratuit, les nouvelles économies, aussi. Le troc, l’échange, le partage. Mais pas pour l’esclavagisme ou l’arnaque.
    Il se trouve que je n’ai pas oublié de regarder autrement. Vous savez, ce petit pas de côté qui fait toute la différence entre un professionnel (ou un amateur éclairé) et un consommateur (qui peut être photographe pro, notez bien, hein !)
    Ce petit pas de côté me permet, comme à des Frozen Piglet, des Sébastien Calvet, des Clauvis Gauzy, des Joëlle Verbrugge (mais à mon humble niveau) de râler, souvent, parce qu’on voit ce que le passant ne voit pas : ce qu’il y a derrière, les croisements de facteurs, etc. Où vont les intérêts économiques.
    Ainsi que vient de le faire, très simplement, très humblement, _klaf.
    Il souligne ainsi une pratique de plus en plus répandue, honteuse pour des sites comme wikipédia, des mairies, des syndicats d’initiatives et autres collectivités, plus logique chez ses PQR, de faire des grands appels aux photos « amateurs » pour se monter des photothèques gratuites. Bien sur que dans le lot il y aura quelques bonnes photos. GRATUITES pour toute utilisation même commerciale. Et ça flatte l’égo du chaland, en plus, pensez donc, tout le monde est content. Mais où est la vraie part d’échange dans tout ça ??? Inutile de répondre, en fait, une fois arrêtée cette réflexion, tout le monde comprend.
    Et pendant ce temps là, quand une personne râle en voulant faire un tant soit peu d’éducation ou de contestation, c’est forcément quelqu’un d’inadapté… Bah voyons !!!
    J’espère donc trouver plus de réponses et de pistes nouvelles dans les multiples commentaires que votre article, reconnaissons-lui au moins ce mérite, ne manquera pas de provoquer…
    Belle journée à vous et belle route.

  12. @FP: ah ah! et c’est les mêmes qui viendraient s’indigner du snobisme à bon compte si un intellectuel se gaussait de sa méconnaissance de tel ou tel ouvrage… passons.

    Les patrons paient mal voire plus et préfèrent le gratuit: à quand les mêmes tribunes virulentes à leur encontre?

  13. Frozen,

    Tu ne connais pas mon métier en détail, et j’ai toujours entendu mes collègues pleurer, comme j’avais du boulot et des clients directs, je me suis dit que j’avais une longueur d’avance.
    Et ce ne sont pas les amateurs qui m’ont plombé, mais mes cher clients, genre on a plus besoin de vous. Cela a été brutal, comme s’ils avaient tous pris la même drogue.
    Tu ne pouvais pas me prévenir, tu ne connais pas le contexte, à part la crise mondiale. Mais qui pouvait prévoir que dans le monde de la photo, seuls Canon et Nikon profiteraient de cette crise, tout le reste s’est vautré, il ne reste strictement RIEN.

  14. Je ne crois pas que la question du coût soit la seule composante de cette problématique, par rapport à la question de la gratuité. Il y a aussi la notion de « valeur », ce qui n’est pas la même chose. On a aujourd’hui tendance à estimer les prix en regard de la « valeur » de l’objet ou du service, c’est-à-dire l’acte d’achat comme un acte d’investissement, plutôt qu’en regard de leur coût. Je n’ai pas le talent rhétorique d’André Günthert, cependant, je voudrais ajouter ma modeste contribution à votre débat en vous racontant l’anecdote suivante :

    Je fréquente assez régulièrement les salles de cinéma, et, lorsque le film commence, je ne peux m’empêcher de penser que la résolution de l’image, sur l’écran que j’ai devant moi, n’est jamais supérieure que de 6% à celle qu’affichera mon écran plasma HD ou le vidéoprojecteur HD de mes voisins, c’est-à-dire pas grand-chose. Et à ce moment là, en général, mes yeux tombent sur le prix du billet, que je tiens à la main. Et, pendant une fraction de seconde, je me demande si je ne me suis pas un tout petit peu fait flouer. Cette question-là, curieusement, je ne me la pose pas lorsque j’assiste à une projection en pellicule, quel que soit le format, peut-être aussi parce que mon petit projecteur Super 8 ne pourra jamais rivaliser avec un V8 ou avec un FP30. Pendant cet instant, j’ai l’impression, peut-être fausse au fond, qu’une séance où l’opérateur n’a qu’à appuyer sur « play » comme sur un vulgaire DVD, n’a pas la même valeur qu’une séance au cours de laquelle il y a toujours le risque que la projection n’aille pas jusqu’à son terme. Risque qui n’existe pas en numérique, comme de nombreux projectionnistes me l’ont confirmé : une fois le show « lancé », seule une coupure de courant ou un acte de malveillance pourrait interrompre la séance, quand en 35mm, « des fois ça ne veut pas ». Tous les indicateurs semblent au vert, et pourtant un décadrage vient de se produire.

    Il me semble qu’une part du déclin du recours aux « professionnels » vient de ce décalage, réel ou fantasmé, et au manque de « valeur ajoutée » qu’aurait l’image et la technologie numérique.

    Je ne dirais pour autant pas que vous êtes remplacés « par rien ». Une connaissance photographe de mariage m’expliquait qu’aujourd’hui, une bonne part de son travail réside non plus dans la prise de photo elle-même, mais dans tout le travail artistique autour de cette photo. Quand les mariés sortent de l’église, les photographes ne sont c’est vrai pas mieux placés que les invités de la noce pour saisir l’instant, d’autant qu’aujourd’hui, les appareils photos permettent de filmer la scène pour choisir, plus tard, la photo sur laquelle personne n’aura les yeux fermés ou je ne sais quel rictus peu avantageant. De fait, certains se posent la question d’engager ou non caméraman et photographe, d’autant que les photos nous intéressent au fond moins pour elles en tant que telles que pour l’anecdote qu’elles vont susciter. Et puis, il y a le vécu de l’objet lui-même. le film « Cinq caméras brisées » et les images qu’il contient serait-il aussi fort si le destin des appareils qui ont servi à leur prise de vue avait été passé sous silence ?

    En relisant votre petit débat, je ne peux m’empêcher de penser à un lointain souvenir de première année d’histoire de l’art, et ces propos prêtés à Nadar lors du procès intenté à son frère :

    « Donnez-moi le premier débile venu et je lui enseignerai le maniement de l’appareil photographique. En aurai-je pour autant fait un photographe ? »

    Quel est ici l’enjeu, au juste ? Reprochez-vous au numérique de permettre à « tout le monde de cuisiner » (Les cinéphiles auront compris le clin d’oeil à Brad Bird et à son passionnant « Ratatouille »….) ?

    A vous lire on dirait que vous reprochez à de simples « amateurs » (le mot semblant masquer autre chose) d’usurper votre statut et votre position. En quoi serait-ce une usurpation ? Parce que ces images sont chargées d’une portée émotionnelle avec lesquelles les vôtres seront bien en peine de rivaliser ?

    Je ne suis pas d’accord avec vous monsieur Gaud, quand vous employez le terme de « remplacer ». D’ailleurs, à la base, ne serait-ce pas vos clients que vous remplacez dans l’acte photographique justement parce qu’ils s’en remettent à vous pour cela ?

    Lors de l’écriture de mon livre sur les projectionnistes, j’ai rencontré deux types de discours de ces derniers face à la numérisation de leur profession : il y a ceux qui se sentaient « remplacés par rien », pour reprendre votre formule, et qui tapaient comme des sourds sur le « grand méchant numérique », et puis ceux qui se sont rendu compte de l’extraordinaire opportunité nouvelle qui était la leur. Après tout, les projectionnistes sont des experts de l’image, et nous comptons sur leur expertise justement « pour voir les choses que nous, gens ordinaires, nous ne voyons pas ». C’est sur ce point que ce focalise leur discours de défense de leur profession, sur le champ de leur expertise et de leur spécificité. Ils se sont donc repositionnés, en essayant de tirer au mieux profit des nouvelles compétences que leur demandait le numérique, à commecer par la présentation et la diffusion des contenus alternatifs, pour lesquels la présence non stop d’un opérateur en cabine est encore assez souvent requise, en cas d’incident durant la retransmission. Le spectacle de Florence Foresti, retransmis dans près de 150 salles si ma mémoire est bonne. Si ce type d’évènement est voué à devenir régulier, et si on part du principe que le procédé n’est encore pas assez fiable pour se passer de présence humaine en cabine (des tentatives en la matière remontent jusqu’aux années 1950, et se sont heurtées à l’époque non pas à des écueils pratiques, mais aux dispositifs législatifs relatif à la sécurité des salles et du public), on peut donc y voir une perspective d’évolution du métier.

    Peut-être doit-il en être de même pour les photographes ?

  15. Juste quelques précisions sur le domaine des licences Libres (dans lequel j’exerce).

    La phrase « La reproduction de documents issus des Commons étant libre de droits » est inexacte ; vous avez ici repris l’erreur courante qui consiste à traduire « royalty free » par « libre de droits ». Outre l’inexactitude inhérente à cette expression déplorable, elle est doublement fausse dans le cas de licences Libres, qui doivent être très clairement distinguées des banques d’images (abusivement) autoproclamées « libres de droit ».

    Autre erreur répandue que reprend _klaf un peu plus haut, les licences soi-disant « non-commerciales » ne protègent _pas_ mieux de la spoliation (plutôt moins bien, en fait), et ne rendent en aucun cas les œuvres plus libres. C’est méconnaître ici plusieurs fonctionnements fondamentaux des licences Libres, et tout particulièrement du « copyleft » employé sur Wikimedia Commons. Mais c’est là un point purement technique.

    D’une façon générale, le discours qui assimile (le plus souvent à tort et à travers) les licences Libres aux questions de gratuité, est non seulement mal informé mais trahit souvent des sous-entendus idéologiques. C’est d’ailleurs ce qui me semble le plus intéressant ici ; il ne faut guère creuser loin pour trouver sous le topos de la dichotomie amateurs/professionnels (d’ailleurs essentiellement arbitraire), la panoplie classique d’idéologèmes réactionnaires : maintien du statu-quo social, vision d’une société nécessairement, proprement, divisée et cloisonnée, etc. (Mais je crois que ces points sont déjà couverts par M. Gunthert.)

  16. @ Sébastien Calvet,

    « les pros ne veulent pas empecher les “amateurs” de faire des images et de les diffuser…les pros veulent juste que ceux dont ce n’est pas l’activite principale ne donnent pas des images gratuitement a des organismes qui peuvent les payer…. »

    Formulation limpide de tout le tragique de cette position ; on ne peut empêcher ni interdire à des gens de donner gratuitement quelque chose, même si c’est de très bonne qualité 😉 … c’est une absurdité. Et si les organismes en questions se satisfont d’un travail « amateur » c’est ou qu’ils ont abaissé leurs exigences (si l’on croit à un ordre hiérarchique entre pros et amateurs) et c’est à eux qu’il faut faire un procès, ou que les amateurs produisent d’aussi bonnes images que les pros et que donc ces pros n’ont plus d’argument pour être payé pour leur travail tel qu’il le concevaient auparavant. C’est tragique, mais ce n’est pas de la faute de ceux qui font des photos et les diffusent et je ne vois pas comment on peut se réjouir d’un côté de cette démocratisation tout en la regrettant avec tant de force de l’autre… Les restaurateurs ne vont pas chercher à interdire aux particuliers de faire de la cuisine sophistiquée, de bons repas, et d’inviter des amis sans les faire payer !
    C’est étonnant car vous êtes un bel exemple de très bon photographe qui a su jouer de l’esthétique et de l’allégorie pour formuler visuellement de très belles illustrations ancrées dans l’actualité… et en rendre compte intelligemment sur votre blog. Sébastien Calvet c’est un des noms qui émergent de cette nouvelle donne, un angle de vue, un regard, bref, un pro qui est tout sauf un notaire de province attaché à son étude à vie…
    Un photographe n’est pas un préposé à la photographie investi par une instance officielle, être photographe n’est pas un privilège… Vous le défendez comme une exclusivité… un droit… il y a d’autres modèles et vous me semblez le montrer.

    Je crois que le métier de photographe, qui est pour moi l’un des plus beaux pour la souveraineté subjective qu’il suppose, est aussi un métier de conservateur, de sujet « faisant oeuvre de conservation » en tout cas, et que cela se voit dans cette nostalgie épidermique qui se manifeste ici ou là… Il y a eu un âge d’or où toute une économie de l’image de presse bénéficiait en plus de la prédominance absolue du paradigme indiciel… La photo était reine… (c’est d’ailleurs, me semble-t-il, vers cette période que pointe ironiquement le vintage des applis photographiques de smartphones) La crise actuelle est aussi une crise de ce paradigme… Il y a un gros doute sur les images photographiques et j’ai l’impression qu’on n’en attend plus la même chose… (à vérifier) Il faut comprendre cela, et les photographes gagnent bien plus à lire Culture Visuelle qu’à venir y condamner une réalité qu’ils ne veulent pas voir…

    PS : sur le conservatisme « ontologique » des photographes, il faut lire le plaidoyer de Robert Doisneau pour les Halles de Paris, Vladimir Vasak en un fait un court-métrage documentaire de 4 mn, sur son texte, où l’on voit chez le photographe une détestation de la modernité un peu réac et en même temps une touchante façon de chercher à conserver la mémoire d’un lieu voué à disparaître… mais voilà, la photo la nostalgie…

    En conclusion, le photographe n’est plus tout à fait comme sur sa photo… mais il est bien vivant 😉

  17. @Olivier La photographie est plus « reine » que jamais. Elle n’a jamais été autant pratiquée, célébrée, regardée, utilisée etc. C’est la profession de photographe qui va mal. Et c’est d’ailleurs ce qui est le plus violent pour les photographes qui en vivaient.

    @André Il n’y a jamais eu autant de demandes pour des cours de photos, des livres consacrés à la photo, des revues de photo, des vidéos de formation. Et si tu ajoutes à ça un chômage à 10%, les forums photos sont pleins de chômeurs récents qui demandent des conseils pour investir au mieux leur indemnité de licenciement dans une formation photo et commencer une nouvelle carrière. Et le statut social du « photographe pro » n’a jamais été aussi élevé dans la société englobante. C’en est même grotesque au regard de la réalité économique.
    La différence c’est plutôt qu’autrefois ce qui faisait rêver c’était les attributs fantasmatiques de la profession (mannequins, voyages, fric) plus que la photo elle-même, alors qu’aujourd’hui c’est le rêve d’un travail qui serait à la fois passionnant, créatif et rémunérateur,

  18. @Thierry Dehesdin: « Il n’y a jamais eu autant de demandes pour des cours de photos » Je ne dis pas le contraire (quoique si on comparait avec les écoles de commerce… 😉 Je dis simplement que l’idée, bien ancrée chez les professionnels, que les amateurs ne sont que des pros ratés ou futurs, est à réviser de manière drastique. Les pros ne connaissent que la photo pro, et ne s’intéressent pas aux pratiques amateur. Mais la photo amateur n’est pas qu’une mauvaise copie du monde pro: ces pratiques ont connu une croissance encore beaucoup plus explosive dans la période récente que toutes les formes d’activité professionnelle, et surtout, elles trouvent désormais avec l’exposition et la conversation en ligne leurs fins en elles-mêmes.

    Inversement, comme je le suggérais dans un billet récent, avec la révolution des réseaux sociaux, c’est l’exposition de l’imagerie professionnelle qui décroît, alors que la production privée devient de plus en plus visible. D’un point de vue culturel, il est clair que ce sont désormais les images amateur qui constituent le point d’attraction et de renouvellement, alors que les modèles pro sont en perte de vitesse – c’est un déplacement majeur de nos habitudes visuelles.

  19. Il était une fois un dentiste qui avait du travail. Un jour, ce salaud de Günar Lupold inventa le Holekiller®, un petit appareil pour soigner les caries à la maison. Le dentiste vit son chiffre d’affaires baisser de 50% et finit par mettre la clé sous la porte. (L’histoire nous dit ensuite qu’il devint photographe mais j’ai des doutes)

    Il était une fois un boulanger (…)

    Il était une fois un architecte d’intérieur (…)

    Bon, pour anesthésiste c’est plus compliqué (Bac + 15)

    Bref, chaque fois que vous pouvez mettre le mot « amateur » devant une profession, cette dernière est menacée. Alors c’est sûr que la photo…

    Dans le domaine de la photo il faut bien distinguer deux choses : la photo « à la porté de tous » (des pros ET des amateurs), genre photo de paysage, d’illustration, de reportage social, etc. Et la photo technique, que seuls les pros et quelques rares amateurs fortunés peuvent se permettre d’aborder (photos de joaillerie, photo médicale, photo de mode, etc.)

    Les photographes qui se plaignent le plus de l’amateurisation du marché sont bien sur les « photo-reporter » : en vingt ans, on est passé de 4000 à 400 millions de photo-reporters, pour ainsi dire. On ne peut même plus parler de concurrence, à ce stade : ils s’agit là d’anéantissement absolu, de profession noyée.

    Alors je ne sais plus ce qu’ils enseignent dans les écoles de photographie, mais il m’est arrivé il y a quelques années d’être membre de jurys de fin d’étude et de constater le manque de préparation à ces phénomènes. J’étais sidéré. J’en ai même parlé en apparté au directeur d’une école de photo (privée) qui me disait que de toute façon « ça devenait difficile ». J’espère que ça a changé et que la préparation technique poussée (en studio notamment) s’est accrue. les photographes pro qui ne se plaignent pas de concurrence (peut être juste de baisse sensible des tarifs pratiqués, et encore…) sont les « studio killer », les bêtes de studio, qui sont à mille lieue des productions d’amateurs moins bien équipés, moins bien instruits, etc. Le résultat n’a rien à voir.

    Pour ma part, la seule évolution possible est 1) une hyper spécialisation de la photographie professionnelle, tendue vers la publicité et l’image ultra-technique, et 2) une généralisation de la photo « faite au Nikon », à ceci près que ceux qui ont une carte de presse pourront s’approcher d’un peu plus près du sujet convoité. Avec grosse guerre de la « gratuité » à la clé. Les réseaux, la démocratisation numérique et l’ubiquité des acteurs sont des fleuves beaucoup trop puissants, on ne peut que se laisser porter par le courant.

    Ou quitter le fleuve, devenir, je ne sais pas moi, dentiste par exemple.

  20. « avec la révolution des réseaux sociaux,c’est l’exposition de l’imagerie professionnelle qui décroît, alors que la production privée devient de plus en plus visible. D’un point de vue culturel, il est clair que ce sont désormais les images amateur qui constituent le point d’attraction et de renouvellement, alors que les modèles pro sont en perte de vitesse – c’est un déplacement majeur de nos habitudes visuelles. »

    Au regard des 300 millions d’images déversées quotidiennement sur facebook, la « visibilité » de celles ci apparaît comme très théorique. Je vous renvoie à l’exposition organisée par le Foam sur la question qui présentait des images en tas, parfaite illustration du constat de Nietsche : « Le désert croît ».
    C’est pourquoi le paradigme de l’auteur-photographe résiste encore par défaut : dans la surabondance des images, aucun amateur-auteur n’émerge. La constitution de stocks organisés en ligne signe la mort des archives d’agences et de photographes professionnels, la photographie pro se contente aujourd’hui en terme de publication du one shot : une photo pour une seule parution, c’est du travail sur mesure, qui n’a probablement pas un grand avenir lui non plus.
    L’amateur n’y est pas pour grand chose : prisonnier de son fantasme de visibilité, il s’en remet aux molochs facebook ou flickr qui l’esclavagise sans vergogne.
    Dans cette affaire on oublie d’envisager une quelconque singularité des auteurs, signe de la dépersonnalisation en marche.

  21. Les photographes sont au XXIéme siècle ce que furent les dactylos au XXéme.
    Tout le monde peut diffuser toutes sortes d’images, de toutes qualités.
    Je reçois des mails de directeurs marketing bourrés de fautes d’orthographe…
    Pourquoi s’adapter au marché, il n’y a plus de marché (je caricature).
    Qui va payer un pro pour des images sur quel support?
    Aujourd’hui je travaille quand mes clients ne trouvent pas sur fotolia ou chez Guetty lowcost une image à 15 centimes.
    Est-ce que je vais investir 35000 euros dans un nouveau dos HD dans mon studio de nature morte à Paris quand on me propose 220euros pour une prise de vues, soit 15 minutes du temps du plombier + sa clé à molette que j’ai du appeler en urgence?
    Mais non c’est mort, s’adapter OK à quoi?
    Ce que vous appelez « baisse des coûts » n’est rien d’autre que l’atomisation des diverses sources de revenus des photographes.
    La nouvelle donne, la nouvelle économie n’est le plus souvent que la délocalisation sur internet d’activités économiques pré-existantes et donc condamnées. La photographie n’est qu’une parmi d’autres.
    Ne resteront que les génies/artistes, les malins/introduits, les « jeunes photographes » qui savent se servir si bien des merveilleux réseaux sociaux, qui seront rapidement obsolètes et remplacés par les nouveaux-nouveaux trucs du moment.
    Tiens au fait ça gagne combien un jeune sur instagram?
    Mon but aujourd’hui est de me trouver une activité salariée, si possible dans la fonction publique, et de continuer à pratiquer la photographie par pur plaisir, en toute liberté, et de diffuser mes images, ou pas…
    En amateur.

  22. « @zek: “aucun amateur-auteur n’émerge”: La plupart des photos les plus célèbres du XXe siècle sont d’auteurs inconnus du grand public…  »

    Soit, mais je ne voit pas le rapport avec le sujet, le photographe professionnel n’est nullement tenu de produire des icônes. Sa reconnaissance en tant qu’auteur lui suffit amplement, reconnaissance qui est hors de portée pour des raisons purement mécaniques à un amateur dont la production est noyée dans des milliards d’images parmi lesquelles personne ne peut circuler, d’où la nécessiter de structurer cette masse informe comme le fait wikipédia. La structuration méthodique de cet océan d’images est plus probante et pleine d’avenir que vos discours sur le « déplacement majeur de nos habitudes visuelles ».
    Dans cette perspective, je maintiens que Flickr, Facebook, Wiki et autres exploitent la naïveté narcissique des amateurs, (ce qui n’est pas péjoratif pour l’amateur, mais relève de l’évidence), alors inutile de vous épuiser à forcer le trait d’un amateur désintéressé, soucieux de « partage » et néanmoins se fichant de visibilité.

  23. L’enquête que nous achevons sur les répercussions du numérique dans la profession photographique (pour quelques aperçus : http://culturevisuelle.org/viesociale/tag/profession ) nous a donné amplement la mesure de la dégradation subie par les photographes professionnels: perte d’activité, de revenus, dépréciation de leurs images, durcissement des conditions de travail, etc. Il faut entendre cet écho pour mieux comprendre les réactions viscérales des uns et des autres.

    Dans le même temps, la difficulté est de démêler les causes effectives de cette dégradation palpable. Si le ressentiment contre les amateurs et leur concurrence « déloyale » s’exprime souvent, il n’est pas sûr pour autant que lesdits amateurs contribuent de manière significative à ruiner l’activité des professionnels. Une exploration approfondie des circonstances dans lesquels les uns et les autres peuvent entrer en concurrence amènerait à relativiser la question. Dans notre enquête, les photographes de mariage nous sont apparus comme les seuls professionnels à se heurter physiquement à la concurrence des amateurs. Dans la plupart des autres cas, en particulier de la concurrence exercée par la mise à disposition d’images à faible coût sur internet, les amateurs n’y jouent pas toujours un rôle central. De fait, le ver est dans le fruit : les professionnels jouent contre les professionnels, du moins certains, dans un climat de concurrence généralisée qui voit tous les acteurs de la chaîne graphique, désormais dotés des mêmes outils de production et de traitement des images, empiéter constamment les uns sur les autres dans l’espoir de l’emporter sur le marché.

    Et puis surtout, nous nous sommes rendus compte que la dégradation vécue si durement par les photographes ne datait pas de la généralisation du numérique, mais qu’elle s’était engagée bien avant : dès les années 1990, avec la réduction des budgets publicitaires suite à la première guerre du Golfe, avec l’adoption de la loi Sapin moralisant l’économie de la publicité, avec l’emprise croissante des contrôleurs de gestion dans les entreprises, etc. Tout ceci a imposé l’impératif de réduire les coûts, dont la technologie numérique n’a été finalement que l’accélérateur. Qu’à leur tour, les amateurs aient acquis, grâce au numérique et surtout à internet, une visibilité, voire un certain potentiel commercial, n’en fait pas pour autant les fossoyeurs de la photographie professionnelle.

    Enfin, nous avons constaté que l’époque était à la diversification des activités professionnelles : car, de même que la plupart des acteurs de la chaîne graphique empiètent les uns sur les autres, la plupart, par conséquent, élargissent la palette des services qu’ils sont en mesure de proposer. De plus en plus de photographes ne se contentent plus de produire des photos : ils les documentent, écrivent, exposent, organisent des événements culturels, conçoivent des sites internet, etc. Est-à-dire que, pour autant, ils gagnent bien leur vie : rien n’est moins sûr. Mais ce qui semble s’être joué au cours des dernières décennies, c’est un certain décloisonnement des activités productives dans le domaine des images (favorisé par la polyvalence des outils numériques) et donc, peut-être, le déclin d’une certaine photographie professionnelle, entendue comme un métier spécifique et hautement spécialisé. Est-ce un bien ou un mal, je ne sais pas, mais il me semble que c’est un fait.

  24. Comme il fallait s’y attendre, le billet ci-dessus a produit un débat animé, traduit par un nombre important de commentaires. Pour restituer un certain confort de lecture à cette conversation, j’ai procédé à une sélection autoritaire, qui conserve l’essentiel des arguments échangés. Je remercie Sylvain Maresca pour sa conclusion très informée.

  25. Ping : Blogo-Numericus
  26. Dans un intéressant billet, « Gratuité ou libre accès? Poser les termes du débat, c’est déjà y répondre en partie« , Marin Dacos souligne la nécessité d’une approche pragmatique et plurielle à la question du financement de l’édition scientifique, à laquelle je souscris bien volontiers.

    Marin cite et commente une expression utilisée ci-dessus: «André Gun­thert parle de finan­ce­ment invi­sible, mais je ne suis pas sûr que la pro­po­si­tion fonc­tionne, car le finan­ce­ment publi­ci­taire est très visible, il trans­pire même au-​delà des séquences publi­ci­taires elles-​mêmes. Et même lorsque le finan­ce­ment est vrai­ment invi­sible, c’est presque pire, car il devient opaque.»

    Peut-être me suis-je mal exprimé: dans « financement invisible », ce n’est bien sûr pas la publicité qui est invisible, mais bien le financement. Comme le précise ma parenthèse, le financement de la publicité est principalement assuré par la commercialisation des produits, sous la forme d’une intégration au prix de revient (chaque fois qu’on achète un bien, on paye aussi la part du coût de sa promotion). Il existe donc bien un financement par le public visé par la publicité des contenus médiatiques proposés « gratuitement » – mais celui-ci, indirect, est parfaitement imperceptible.

    De façon plus générale, je rejoins Marin dans la critique de l’usage du terme « gratuit », qui met dans le même sac des réalités différentes. Dans mon billet, la spécification de l’économie de l’information comme précurseur historique du « gratuit » et sa requalification comme financement invisible visait précisément à l’opposer à « l’économie du don », qui n’a elle non plus rien de gratuit…

  27. Bonjour, je ne voudrais pas créer de polémique par les propos qui vont suivre je me place sur le plan des idées. Je pense que l’individu et son milieu se co-construisent et que certains individus, agents ou acteurs investissent ou créent le milieu qui leur correspond. N’y aurait il pas dans le monde de la création, des lieux d’investissement que je qualifie de névrotique à défaut d’autre chose pour l’instant. Des lieux ou l’évaluation individuelle serait impossible ou faite sur des critères très subjectifs. Les métiers d’informaticien ou de chirurgien sont bien payés parce que la performance des professionnels est évaluable sur des critères précis mais dans le domaine de l’art la reconnaissance est longue quand elle vient et la production parfois trop soumise aux modes ce qui permet à beaucoup de personnes de s’autopaupériser. Je connais une demoiselle qui pose pour des photos artistiques. Dans quelques années elle sera ridée, n’aura rien construit et sera à la charge de la société mais peut-être est elle incapable de faire autre chose ou même d’envisager de faire autre chose. Elle est trop belle pour ça, trop narcissique et du coup inadaptée sociale.

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