Les photos qu'on ne montre pas

Hôtel T. à Lisbonne. Vacances en famille, dans deux chambres séparées. Bonne surprise: chacune est équipée d’un ordinateur Apple dernier cri (iMac 21″). C’est la première fois que je vois proposer un tel équipement, dans une gamme de prix raisonnable. Mais celui-ci apparaît d’emblée comme un service évident, voué à s’étendre. En une semaine, nous n’avons pas dû allumer plus d’une fois la télé. L’ordinateur, en revanche, a servi presque quotidiennement, pour vérifier ou envoyer des mails, chercher un renseignement, visionner et envoyer des photos – et pour les enfants, visionner leurs auteurs favoris sur YouTube.

Nous sommes partis avec deux appareils photo et une caméra vidéo. Après une unique tentative, le gros reflex réintègrera vite la valise. Trop lourd, trop encombrant, quand le compact donne un résultat visiblement suffisant, pour une gêne bien moindre. La caméra, elle aussi, n’a guère servi (une seule fois, pour filmer les poissons de l’Oceanorium). Reste le compact, qui a suivi fidèlement les étapes du séjour, passant de main en main, au gré des envies d’image.Une fois à l’hôtel, il fallait choisir qui des enfants ou des parents allait récupérer l’appareil pour procéder à sa sélection et à ses envois. Une quinzaine d’images seulement, soigneusement choisies, parfois retouchées, ont ainsi été transmises, soit par e-mail à des proches, soit sur Facebook – mais c’est bien la quasi intégralité des 434 photos qui a été dupliquée sur les deux ordinateurs mis à notre disposition.

Nous avons souri en constatant que des clients précédents avaient laissé traîner quelques traces photographiques de leur passage, et fait bien attention de procéder aux déconnexions et effacements nécessaires avant notre départ. L’ordinateur à l’hôtel est visiblement une pratique encore trop neuve pour que le room service ne pense à vider la corbeille numérique après chaque séjour.

Ce qui fait bien les affaires du chercheur en études visuelles: j’ai ainsi pu consulter 683 photos issues de quatres productions différentes, effectuées entre décembre 2011 et avril 2012, stockées sur iPhoto (dont une mise dans la corbeille, mais en oubliant de la vider, donc récupérable).

Même si elle est plus exposée que jamais, la photo privée continue d’échapper aux regards. Ce que nous pouvons en voir sur les réseaux sociaux, immense corpus à la visibilité capricieuse, n’en reste pas moins comme la partie émergée de l’iceberg – l’image sélectionnée et théâtralisée de l’album, celle à partir de laquelle on a toujours construit l’approche de la photo amateur, en oubliant tout le reste: les boîtes pleines de tirages en désordre, sans légende ni indication de contexte, pourtant pieusement conservés.

Voilà pourquoi l’échantillon de photos volées de l’hôtel est si précieux. Ce qu’il me permet d’apercevoir est un usage à la fois fortement structuré et contextualisé, avant sélection. Plusieurs des groupes d’images ont été, comme les nôtres, téléchargés sur l’ordinateur en vue d’opérations de gestion, de tri ou d’envoi. La continuité de la numérotation des fichiers garantit l’exhaustivité des sous-ensembles et livre des indications irremplaçables sur l’itération et la fréquence de l’opération photographique.

Les quatre groupes sont très différents. Le plus ancien ne comporte que des images anonymes d’une exposition au musée d’histoire naturelle. Le plus restreint est composé des photos d’un couple et leurs témoins à l’occasion d’un mariage civil. Le troisième fournit un ensemble d’images disparates d’un jeune couple de touristes, arrivé d’Espagne en car. Comme souvent, l’empreinte photographique est prolixe en détails, mais rétive à livrer une vue générale.

La production la plus remarquable est aussi la plus nombreuse: environ 500 images, effectuées l’espace d’un long week-end en avril, par un couple de jeunes femmes visiblement très amoureuses. Les circonstances dans lesquelles j’ai pris connaissance de ces photos m’interdisent non seulement de les reproduire, mais aussi de les décrire de façon détaillée. Je me bornerai donc à quelques remarques issues de leur observation.

Une des photos fournit une indication cruciale, qui permet de comprendre que l’ensemble des photos est mal daté. Pour les chercheurs, la datation de la prise de vue par l’intermédiaire des données Exif a paru une vraie bénédiction. Encore faut-il avoir procédé correctement au réglage de l’appareil, car ce groupe d’images montre le peu de fiabilité de ces informations, qu’il faut pouvoir contrôler de manière externe.

La question qui revient le plus souvent à propos de la photographie numérique est celle du nombre ou plutôt de la pléthore d’images. Depuis l’introduction de cette technologie, les métaphores abondent pour exprimer l’idée d’un flot d’images qui submergerait nos écrans et nos consciences. Il est incontestable que la production et le stockage numérique, en réduisant considérablement les coûts, ont favorisé la multiplication des prises de vues.

Mais à partir de quand « beaucoup » devient-il « trop »? Dans l’histoire de la photographie, la transition de la plaque unique à la pellicule a été accompagnée des mêmes débats. Cette appréciation paraît donc essentiellement relative. Les besoins évoluent en fonction des possibilités techniques et des outils de gestion disponibles. On peut multiplier les clichés d’un événement important, pour augmenter les chances d’en conserver une image convenable. Mais chacun sait que la sélection a posteriori demande un effort qui doit être justement mesuré, et nul n’applique à toutes les occasions photographiques la prise de vue en rafale qui en fournirait théoriquement l’enregistrement le plus complet.

Plutôt qu’une dépense d’images inconsidérée, l’examen du groupe d’images des deux jeunes femmes montre un usage adapté de la capacité numérique. La réalisation de 150 à 200 photos par jour correspond à un programme touristique chargé et à une prise de note scrupuleuse. Pour avoir parcouru l’un ou l’autre itinéraire dans la capitale portugaise, je reconnais les monuments ou les détails dignes d’attention. Si j’appuie moins souvent sur le déclencheur, je peux juger de la sûreté du regard, de la maîtrise du cadre. Il y a peu de répétitions, mais une vision fouillée, toujours intéressante. L’ensemble fournit tout simplement un reportage détaillé de la visite, le compte rendu précis de ce qui a été vu et apprécié. De quel droit refuserait-on à ces touristes d’en garder le souvenir? Quel serait le juge habilité à décréter que ces images sont de trop?

En réalité, ce que dévoile ce regard insistant n’est autre que la compétence mise en œuvre par l’exercice même du tourisme. Le Grand Tour enjoignait d’appliquer au monde la vision attentive et détachée de l’artiste ou du savant. Rien de plus sot que de condamner la compulsion visuelle du touriste: c’est l’Occident qui a construit ce regard esthète. Le catalogue des objets capturés – façades, portails, places, ruelles, panoramas, graffitis, sans oublier les décors de faïence, dont je peux moi aussi reconnaître et apprécier l’exotisme – témoigne de l’existence d’une doctrine approfondie du pittoresque, dont la maîtrise est l’une des conditions essentielles du plaisir que nous trouvons au voyage.

Mais les deux jeunes femmes n’ont pas fait que photographier le paysage urbain. La signature à la fois conventionnelle et très personnelle de leur reportage est assurée par plusieurs dizaines d’images où elles apparaissent, ensemble ou séparément, campées sur les lieux de leur promenade comme pour en attester la souriante appropriation.

Tout exercice iconographique comporte une part conventionnelle, condition de son interprétabilité. La photographie privée, et tout particulièrement le portrait, manifeste à un haut degré ce caractère dont on ne retient généralement que l’allure stéréotypée. Le respect de la norme n’exclut pourtant nullement la dimension expressive et personnelle. Ce paradoxe m’est tout particulièrement apparu en contemplant ces visages dont l’expression amicale ne m’était par définition pas destinée. L’aspect répétitif des portraits doubles, la plupart effectués à bout de bras, l’objectif retourné en direction des sujets, n’ôtait rien à la manifestation très individualisée de l’identité du couple, qui était le message principal de ces photos.

C’est le sentiment d’usurper par effraction l’amitié distillée par ce groupe d’images qui m’a fait comprendre la dimension de fondamentale intimité de ce corpus. Impossible de regarder ces portraits souriants sans ressentir à mon tour de l’affection pour ces jeunes femmes. Cette amitié dont je ne pouvais pas être destinataire était comme un reflet de l’amour inscrit dans ces images – un amour qui ne me regardait pas et qui était destiné à demeurer enclos dans l’intimité de ce couple. Ce que je venais ainsi d’apercevoir était l’envers de la dimension théâtrale de la photographie sélectionnée de l’album: c’était précisément la dimension privée de ce groupe d’images.

Je ne peux affirmer qu’aucune de ces photos n’a été téléchargée sur Facebook ni envoyée à un proche, et il est vraisemblable que l’une ou l’autre aura servi, tôt ou tard, de souvenir partagé. Mais ce dont je suis sûr, ce que ces images me disent, c’est qu’en tant que production autonome, elles ont servi à écrire l’histoire privée de ce couple. Au moment où elles ont été faites, ces photos ne regardaient qu’elles, ces sourires étaient leur miroir. Les réaliser et les regarder ensemble a été aussi important que le voyage qui en a donné l’occasion.

Il m’a fallu les photos de l’hôtel pour reconnaître les mêmes enjeux sur mes propres images. Le caractère plus conventionnel de telle ou telle d’entre elles permet de l’utiliser comme une carte postale à l’intention de la famille ou des amis. Mais il y a aussi des sourires qui ne regardent que nous, qui sont la trace de notre bonheur d’être ensemble, que nous nous adressons à travers l’objectif. Et d’autres moments dont le souvenir engage le plus intime, qui ne sont pas faits pour être montrés. La photo sait si bien écrire ces pages, si bien garder la trace de cette familiarité que personne d’autre ne verra – c’est cela qui nous la rend si précieuse.

Bourdieu n’a pas vu l’intimité des photos amateur, parce qu’il avait demandé qu’on les lui montre. J’ai pu l’apercevoir parce que je n’ai rien demandé. La vraie photographie privée sont les photos que l’on ne montre pas, que l’on n’a pas besoin de montrer, juste de partager avec ceux qu’on aime, et puis de garder dans un coin, comme une relique du bonheur. La photographie touristique n’est pas cet exercice ridicule et vain maintes fois moqué, mais la réactivation périodique de cette règle élémentaire.

En motivant la production photographique par l’exotisme et l’expérience commune, l’aventure touristique est une forme de création d’histoire privée qui s’accomplit par l’image. Rien de moins que ce que l’iconographie des princes avait jadis pour mission de manifester. Vérifier sur l’écran de l’ordinateur la constitution de cette histoire, voilà ce qui rendait si urgent d’y afficher chaque jour nos photos.

25 réflexions au sujet de « Les photos qu'on ne montre pas »

  1. Dans la vie routinière, chacun à besoin de ce créer des événements remarquables, fussent ces très artificiels voyages organisés ; ils marqueront le déroulement de vies qui, sans cela, seraient bien mornes, et la photo en est le témoin, la preuve même, c’est pourquoi il faut être dessus.

  2. Très beau texte. Je me demande dans quelle mesure des amateurs qui vont copier leurs photos sur le disque dur d’un ordinateur mis à leur disposition dans la chambre d’un hôtel n’appartiennent déjà pas à une minorité de photographes amateurs que l’on pourrait qualifier « d’experts », même si ce n’est pas au sens où l’entend le marketing des fabricants. Je n’ai pas réussi à retrouver d’étude, mais il me semble que la majorité des photographies prises aujourd’hui sont parfois envoyées sur les réseaux sociaux, mais jamais copiées sur un disque dur. Elles restent sur la carte, jusqu’au moment, je suppose, où il devient nécessaire de faire de la place.
    Bourdieu aurait pu voir l’intimité des photos d’amateur s’il avait été dans un des grands labos qui imprimaient à bas coût jour et nuit, pour tout un département, les films négatif couleur récoltées par les boutiques photos, marchands de journaux, grandes surfaces etc. 🙂

  3. Excellent ….
    C’est « hôtel plus », vivez votre vie de vacances, mais vivez aussi les vacances des précédants occupants de la chambre. La soirée diapo non plus entre ami, mais par le trou de serrure, pas mieux et un peu malsain.
    Allez Allez voyeurez tranquille, ce n’est pas si grave ;-)))

  4. Il me semble aussi, comme T. Dehesdin, qu’il s’est agi là d’experts (tout comme la famille G. qui descend à l’hôtel T.) : il n’est pas indifférent que l’intimité dont il est question ici soit découverte (en un sens) par quelqu’un d’autre (le même « caractère  » si tu veux vous unit), c’est plutôt qu’elle a la nécessité d’être montrée, mise en scène ou divulguée (voir comment vous vous y êtes pris, tous, pour « effacer vos traces » avant votre départ).
    Il me semble par ailleurs que, pour ce qu’il en est du tourisme, cette activité (surdéveloppée depuis-au moins fantasmatiquement- que les vacances existent grâce aux congés payés) laisse le temps de faire quelque chose plutôt que rien; le quelque chose en question me semble être devenu, pour beaucoup, cette faculté (cette facilité) de se montrer soi-même en même; temps que le lieu où on a été (par exemple pour mon cas, je viens de passer quelques jours à C. ou à SGDC, je n’y pris pas de photo sinon du ciel, parce que je connais, parce qu’il n’y a là rien que mon propre arbitre(peut-être libre) pense nécessaire de garder en trace,etc. J’en prends, cependant, à Paris, assez fréquemment-j’ai un carnet de voyages à tenir). En tout cas, en allant dans la ville qui vit passer Pessoa, Antunes et d’autres du même acabit -Pombal par exemple-, il semble à peu près apparemment impossible de ne pas prendre de photo…

  5. Il reste à dire la photo « souvenir », tant la mémoire de chacun « oublie » des choses différentes; subjectivement, on oublie moins facilement des « événements » ou des « incidents » auxquels on a participé, et ne garde-t-on pas aussi une preuve-souvenir qu’on a été heureux? J’ai aussi l’impression (réjouissante) que le « multi-média », tant dans le domaine scientifique officiel, que dans la vie de chacun, détruit -enfin- petit-à-petit, les séparations manichéennes binaires (c’est un comble!)qui pendant des siècles, ont séparés le corps et l’esprit, l’âme et le corps, l’intelligence et le coeur, et autres fadaises: difficile sur une vidéo de ne pas tenir compte de la personne, alors qu’on la voit, l’entend, dans un moment et dans un cadre!

  6. @ Anthropia: Merci!

    @Jean-LuK, mikylux: Oui, c’est bien cela. Ajoutons que l’exercice touristique a bel et bien été construit comme un plaisir essentiellement visuel, et que le souvenir en image vient donc tout naturellement se superposer au moment privilégié de la découverte esthétique (voir notamment le passionnant ouvrage de Marc Boyer, Histoire de l’invention du tourisme, XVIe-XIXe s., éd. de l’Aube, 2000).

    @Thierry Dehesdin, PCH: C’est possible, il faudrait rassembler plus de témoignages. Le faible nombre de reportages conservés est peut-être aussi l’indicateur d’un réflexe d’effacement justement provoqué par la présence de ces quelques traces (comme cela a été le cas pour nous).

    Il est en tout cas intéressant que la direction de l’hôtel, qui a souhaité innover en mettant cet outil à la disposition des clients, n’ait pas réfléchi à ses implications. Le personnel de ménage ne laisserait pas traîner les affaires d’un client précédent, mais jugerait de sa responsabilité de nettoyer toute trace d’un séjour antérieur. Il devrait logiquement en être de même pour les photos, qui sont l’équivalent d’un vêtement oublié, et qui devraient être effacées systématiquement par le room service.

    @Henri Gaud: Cela ne me choque pas de dire que le chercheur est un voyeur – en matière photographique, cela semble même une obligation. Mais on pourrait aussi dire que le chercheur est celui qui a la curiosité de s’intéresser à ce que les autres dédaignent, celui qui a le réflexe d’observer ce que personne ne regarde…

  7. Merci pour ce beau billet tout en finesse comme un azulejo… 😉

    Juste une petite remarque en passant. J’ai comme l’impression que le passage, forcément provisoire (sauf en cas d’oubli ou d’abandon des photos) par l’ordinateur rejoue d’une certaine manière l’étape du tirage ou de la projection diapo, le soir après la cueillette… Je ne vois pas d’autre utilité à cette opération puisque cet ordinateur ne peut abriter l’album ou la photothèque où le client de l’hôtel conservera ses clichés. Il ne lui est peut-être proposé qu’en tant que terminal internet, mais cet usage révèle au moins ce besoin de voir en grand (tirage/projection) la vignette numérique glanée dans la journée, et de la partager… sur place ou à distance.
    L’apport du numérique réside alors dans la possibilité d’inviter des contacts ou des proches éloignés à la projection du jour, et de trier rapidement les images en fonction des destinataires potentiels ; soi-même, les amis, la famille, les collègues… Il s’établit dans le champ de la circulation de la photographie et chagne certainement les pratiques de prises de vue… accebntuant encore l’importance du choix…
    Ainsi, ces corpus sortis de l’oubli constituent-ils, peut-être, au-delà de leur valeur précieuse de dévoilement d’un rapport intime à « la photo qu’on ne montre pas », la trace de ce besoin de « voir ensemble » et en grand, les images de sa propre histoire, de se voir vivre les vacances, revivre sa journée et partager son regard… Que cet « ensemble » soit un couple qui les gardera jalousement ou une famille qui cherchera à constater de visu son propre bonheur, n’y a-t-il pas ici le signe d’une restauration progressive du plaisir de l’attente (de la latence) et de la découverte du tirage, malgré la possibilité de voir (mais bien mal) le cliché instantanément au dos de l’appareil…

  8. Moi,j’ai trouvé la vie d’un couple.
    J’ai ramassé sur un trottoir,bien rangé dans un cageot en plastique plusieurs centaines de diapositives numérotées et datées.Un vieux couple était mort,les héritiers jetaient les choses qui ne les interessaient pas…
    J’ai passé plusieurs heures à regarder ces diapos,c’est le Monsieur qui faisait les photos.Les diapos se déroulent sur plusieurs années.Sur de nombreuses diapos Madame apparait posant devant des monuments,ça devient même génant de voir cette femme poser devant des monuments remarquables.
    De voir ces diapos,j’ai pris quelques leçons parce que je faisais les mêmes photos que ce Monsieur.
    Je ne me resous pas à jeter ces diapos pourtant il n’y a rien de bien palpitant sur ces diapos.

  9. « Cela ne me choque pas de dire que le chercheur est un voyeur – en matière photographique, cela semble même une obligation. Mais on pourrait aussi dire que le chercheur est celui qui a la curiosité de s’intéresser à ce que les autres dédaignent, celui qui a le réflexe d’observer ce que personne ne regarde… »

    Je repondrais un vieux truc qu’on enseigne j’espère, encore aux enfants : « Sciences sans conscience n’est que ruine de l’âme. »
    En général, les chercheurs ne travaillent pas à l’insu de leur sujets… On demande l’accord des personnes sur lesquelles portent les recherches. C’est là que pourrait se trouver la critique.

    Bonne nuit…

  10. @ Olivier Beuvelet: Je crois aussi (et constate quotidiennement) qu’il y a dans le « voir ensemble » une petite unité anthropologique qui mérite qu’on s’y attarde (cf. mon billet Télétubbies).
    Je n’ai en revanche jamais été très convaincu par la mythologie de la latence (il est vrai que j’ai consacré ma thèse au paradigme inverse, celui de l’instantané et de l’accélération des formes de temporalité auxquelles la photo a puissamment participé… 😉

    @Eutrope: Je n’ai pas réagi à tous les groupes photographiques de la même manière. Celui qui m’a le plus intéressé est l’ensemble qui présentait la meilleure qualité sur le plan photographique, dimension à laquelle je suis sensible. Mais c’était aussi le groupe le plus détaillé sur la visite de la ville: il engageait une expérience partagée qui a incontestablement constitué pour moi une clé de lecture et une condition de l’accès à une compréhension plus personnelle de ces images.

    @l’autre: «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme» Merci pour cette forte pensée et ce conseil original (dont on omet en général de rappeler la suite: «Tu dois servir, aimer et craindre Dieu, et mettre en lui toutes tes pensées et tout ton espoir»)…

    Je pourrais développer longuement la différence de position méthodologique qui sépare l’historien, qui se saisit d’un matériel qui ne lui est pas destiné, et le sociologue, qui produit lui-même le matériel de son enquête. Mon école est celle des historiens, c’est à dire celle de voleurs qui ont appris à travailler sur les morts – et demandent rarement à leurs sujets l’autorisation de les étudier… Lorsqu’un chercheur s’attache à décrire Shoah de Claude Lanzman, doit-il vraiment conditionner son analyse à l’autorisation de l’auteur? On peut au contraire penser que la qualité de sa critique sera précisément garantie par son indépendance… Contrairement à la maxime que vous citez, faire rimer science et morale ne va donc nullement de soi.

    Bien sûr, lorsque l’observation concerne des personnes vivantes, il est normal que des difficultés éthiques apparaissent. J’ai tenu compte de cette contrainte en rédigeant ce billet, qui ne présente aucune image ni aucun élément permettant d’identifier des personnes (certains détails ont été modifiés). Ce facteur est évidemment une difficulté, car on pourrait aller bien plus loin dans l’analyse à partir d’un examen approfondi des images. C’est la contrainte éthique qui borne ce billet à l’énoncé de remarques plus générales que ce que le corpus permettrait de produire…

    Le phénomène du partage fortuit des images est un symptôme typique du nouvel état numérique des images, que je m’attache à décrire depuis 2004. Ceux qui ressentent un sentiment de scandale à la lecture de ce billet ne sont pas en contradiction avec ce qu’il exprime, mais sont au contraire les plus sensibles à la dimension que je tente de dégager (et qui n’a pas toujours intéressé les exégètes), qui est celle du rapport de la photographie privée à l’intimité. Il faut peut-être relire quelques pages consacrées à la photo amateur par d’autres auteurs pour se rendre compte que le plus respectueux n’est pas forcément celui qu’on croit.

  11. Pourvoir fouiller la poubelle d’un ordinateur dans une chambre d’hôtel est en effet encore peu commun. Moins en tout cas que de pouvoir renverser tout autant à son aise (mais quasi publiquement) celles des PC que l’on peut louer 50 cts le 1/4 d’heure dans les cyber-café. On y trouve sans doute des ensembles moins cohérents que celui qui a suscité ce billet, mais cependant autant d’indices quant aux échanges de photographies qui, ne satisfaisant pas au règles et à la morale de Facebook, continuent à être envoyées par mail…

    En même temps, en lisant ce billet j’envisageais autre chose que la gêne et/ou le plaisir de l’indiscrétion inopinée. Car, si ces lignes (nous) parlent de la rencontre entre l’intimité du chercheur et celle-s du/des producteur-e-s de cet objet, comme de la possibilité de rendre compte de qui est gardé secret dans la vie de chacun plus que de ce qui est caché, on devine aussi que le croisement des logiciels de reconnaissance de visages et des réseaux sociaux pourrait très bien permettre peu ou prou le dévoilement de l’identité des acteurs de ces moments d’intimité (insuffisamment) sauvegardés.

    Le billet de S. Maresca (http://culturevisuelle.org/viesociale/3788 ) montre bien qu’un visage photographié n’est plus tout à fait définitivement anonyme. Même, si, à l’inverse, il n’y a pas eu besoin de Google-images non plus pour identifier Rimbaud « Sur le perron de l’hôtel de l’Univers »…

    Je ne serais pas étonné, en fait, que le chercheur opiniâtre ai déjà au moins songé à utiliser cette application pour vérifier au moins la possibilité de retrouver les auteurs de ces photos. A titre d’expérience au minimum, et sans rien céder au respect de la vie privée.

    Bref, devant de telles séries d’images, ne peut-on pas penser que ces outils ne permettraient à l’historien de se faire sociologue (ou au moins que celui-ci prenne son relais) ? Fût-ce en renversant la méthodologie de Bourdieu, et en osant dire d’emblée au sujet de l’enquête, qu’on en sait déjà beaucoup sur sa manière (sinon son art) de faire de la photographie ?

  12. Je m’excuse par avance car je n’ai pas de clavier avec accent sous la main, je fais donc de mon mieux avec un clavier anglais et un correcteur orthographique.

    Je trouve cela très flatteur pour les auteurs des photos de comparer leurs œuvres à un film de Claude Lanzman mais un peu de mauvaise foi de votre part, car comparer un film qui a été diffusé en salles, édité en VHS et probablement réédité en DVD puis en Bluray, dans tous les formats possibles que tout un chacun peut aller louer dans son videoclub local et des photos de monsieur tout le monde trouvées dans une poubelle d’ordi dans une chambre d’hôtel comme le rappelle un des précédents commentaires me semble comparer des poires et des bananes. Ce sont des fruits en effet…

    Non, sans blague, vous pouvez l’enrober de tout le chabada intello-chercheur que vous voulez mais ça revient au même que faire les poubelles du voisin pour voir comment il vit mais avec de l’opportunisme en plus parce que j’imagine que n’ayant pas fait exprès de tomber sur des photos des autres, vous vous êtes tout de suite arrêté…. n’est ce pas… enfin, je ne crois pas puisqu’à en croire l’inventaire des répertoires et de la poubelle.
    Question de mélanger de morale et science, oui, je trouverais intéressant que vous fassiez un papier sur vos propres motivations et la réflexion qui s’en suit car balayer la morale d’un coup quand elle nous dérange, je trouve cela facile.
    Ça me rappelle une discussion avec une amie québécoise lors d’une visite chez elle, la première fois, j’étais surpris par l’absence de rideaux et donc l’exposition de sa vie privée a tout un chacun, je lui expliquais je ne n’aimerais pas exposer ma vie privée, l’intimité de mon foyer à tous mes voisins, celle-ci me rétorqua avec la simplicité et la vitalité dont les québécois sont emprunts qu’elle préférait vivre librement et que rien n’obligeait les autres à regarder…. Ça m’a marqué… marqué car ça m’a fait réfléchir sur le regard que je porte sur les autres mais aussi sur moi même et le rapport à l’intimité.
    Alors oui, je peux voir au détour d’un regard un corsage qui se dévoile, ou une maman qui allaitant son enfant dévoile discrètement son sein, je ne suis pas obligé pour autant de chercher à prolonger ce moment car c’est alors du voyeurisme dans sa forme la plus vulgaire….
    Morale et religion ne sont pas du même niveau, me balayer la morale avec le fanatisme et l’aveuglement de la religion, c’est…. mauvais. Désolé. Mais en même temps qu’attendre de quelqu’un qui s’amuse à matter les photos oubliées des autres jusque dans la poubelle de l’ordi en essayant d’anoblir son geste par de la science, de la recherche et de l’Histouuaaaaaare….

    Parce que la citation, c’est surtout dans ce sens la.

  13. @ l’autre,

    En attendant la réponse d’André à cette « attaque » moralisatrice anonyme, je voudrais juste reprendre un point qui m’a intéressé dans mes recherches. Vous dites :

    « Alors oui, je peux voir au détour d’un regard un corsage qui se dévoile, ou une maman qui allaitant son enfant dévoile discrètement son sein, je ne suis pas obligé pour autant de chercher à prolonger moment car c’est alors du voyeurisme dans sa forme la plus vulgaire…. »

    Magnifique ! Vous avez su par votre témoignage personnel exprimer de manière limpide l’importance de l’objet primaire (sein maternel) dans la pulsion scopique et une des modalités de sa répression « classique » par le dégoût, sur lequel je ne m’étendrai pas …
    Je pense pouvoir vous citer puisque vous avez vous-même pris soin de rendre votre propos anonyme… 😉

    Soit dit en passant, si vous voulez voir des femmes allaitant leur enfant dans un cadre apollinien où la pulsionnalité serait canalisée par l’alibi esthétique ou religieux, je vous conseille de contempler les très nombreuses représentations de cette matrice iconique, (peut-être la mère de toutes les images) qui va d’Isis allaitant Horus aux si belles et si nombreuses « Mater lactans » de l’art chrétien…
    http://bit.ly/MWEsyY
    http://bit.ly/MgDhfF

  14. @ André,

    Si l’on prend la latence comme simple délai technique, je suis bien daccord avec toi, une force inventive a poussé et pousse encore à sa suppression dans le processus imageant, témoignant de ce désir d’instantanéité, mais on peut peut-être relier cette latence (ou cette attente) à ce « voir ensemble » qui me semble être un des moteurs essentiels de l’activité imageante…
    J’ai pu constater qu’il est courant de faire attendre un peu les destinataires des photographies et que l’effet de dévoilement de ce qu’on a « pris » aux yeux des autres est souvent accompagné d’une mise en scène, et l’écran de l’ordi de l’hôtel est une de ces scènes… on montre ses photos, celles qu’on veut bien montrer, on ne laisse pas les autres les regarder comme cela, ce qui se passe avant la monstration est généralement caché… (c’est ce qui rend ton billet si intéressant puisque tout en respectant l’intimité du sujet imageant, tu as pu en parler en « toute » connaissance)

    J’ai vu qu’Hipstamatic demande à ses usagers de patienter le temps du « développement » du cliché… cela va sûrement avec l’imitation de l’appareil qui est propre à cette application, mais cela procure aussi un petit plaisir de l’attente et un effet de mise en scène de l’épiphanie… l’étape des filtres sur Instagram laisse aussi ce délai qui permet à l’usager de sentir que la photographie, même numérique, est une fabrication d’image pour autrui et non une simple saisie du visible…
    Plutôt que de latence je parlerai alors d’attente du moment du dévoilement/partage de l’image… celui où se départageront celles qui resteront intimes et celles qui accèderont à un cercle plus large de visibilité… c’est peut-être à cela que sert cet ordinateur dans la chambre et je trouve que c’est ce moment que reconstituent de plus en plus les applications de smartphone qui proposent tout de suite le choix d’un mode de partage… le moment du choix, de la délimitation de l’intimité, toujours en tension sur les réseaux qui offrent tant de possibilités…

  15. @ André Gunthert

    Le fait que l’historien, le chercheur, l’archéologue pille des tombes pour essayer de comprendre des civilisations disparues ne me pose aucun problème. Le coup de la chambre d’hôtel c’est un peu différent, la compression du temps est extrême, il s’agit bien d’une civilisation disparue, mais aussi d’une civilisation survivante.

    Une question que je me pose, et ma pratique photographique ne me donne pas la réponse, pourquoi photographier sa vie en continu, (un article du monde cette semaine parle de la lassitude des chefs qui n’acceptent pas que l’on photographie les plats plutôt que de les goûter).
    Je n’ai pas de réponse, il y a au moins une cause qui m’apparait, c’est le très faible coût d’une photographie aujourd’hui. Mais dans d’autres domaines les faibles coûts n’ont pas entrainé une overdose, en photographie, je trouve que l’overdose est déjà là.

  16. @ Henri Gaud: « Photographier sa vie en continu »? Je ne connais personne qui le fasse, sinon pour des motifs relevant d’un projet artistique. Ce que je décris ci-dessus est exactement l’inverse: la motivation de la production photographique par la situation touristique. Mon billet fournit donc toutes les réponses à votre question: a) il n’y a pas surproduction, mais au contraire production motivée; b) la production photographique privée est une création d’histoire qui s’accomplit par l’image. Elle correspond à une activité valorisée et précieuse pour les individus qui en sont les acteurs (pour tous les autres, la dimension d’intimité qui en fait le prix disparaît évidemment dès qu’on s’éloigne du partage de l’expérience).

    Concernant les photos de repas, l’angle du fameux papier, qui choisit de se placer du côté des pauvres chefs, victimes de cette appropriation incontrôlée, est assez rigolo: on croirait les conservateurs du musée d’Orsay choqués qu’on ne consomme pas leurs œuvres dans les règles…
    Plus sérieusement, il n’a pas dû vous échapper que la multiplication des émissions télé du type « Un dîner presque parfait » ou « Masterchef » est la traduction d’une évolution des sensibilités. «La cuisine est le loisir culturel préféré des Français», énonçait le critique culinaire Sébastien Demorand, juré de Masterchef. Là aussi, les pratiques culturelles bougent, je crois qu’il va falloir s’y faire, et il est intéressant de constater que la télé, si décriée, s’avère plus apte à percevoir ces déplacements que le bon vieux journal « de référence » de papi, toujours aussi déphasé dans son approche du contemporain…

  17. @ André Gunthert

    Mon intervention ne cherchait pas à avancer un jugement, mais à poser des questions.
    Je vois bien que ce que j’appelle la photographie en continue a été lu sur un plan strict, alors qu’il ne s’agit pour ma part que de ce nommer ce que tout un chacun peut observer, qui est que le moyen de faire une photo accompagne nos citoyens en permanence, et que l’on fait des photos en permanence. Il ne s’agit pas que du tourisme, il suffit de regarde FB, Flikr ou autre, c’est permanent. Curieusement le téléphone portable qui sert à recueillir ces photos, peut aussi recueillir les conversations, mais personne n’a cette pratique.

    Ok, sur l’article du monde qui n’est qu’un marronnier de plus, mais le besoin de photographier est une véritable drogue.
    J’ai eu l’occasion d’animer des ateliers portraits en toute liberté (liberté de tout côté, du mien comme photographe et des sujets, libre d’accepter ce « service » gratuit et sans conséquence). Mes « sujets » ont fait plus de photos (camphone) de ces évènements que je n’en n’ai fait d’eux-même alors que c’était le sujet du jour.

    http://trichromie.free.fr/trichromie/index.php?q=Portrichrome

    Je poste un lien des résultats de cet atelier, ces résultats n’étant pas vu par les sujets en questions, mais vu en différé sur ce blog.

  18. C’est une discussion fascinante qui soulève beaucoup d’interrogations sur le statut symbolique de l’image. On attribue généralement aux sociétés primitives l’idée que la photographie volerait les âmes. Mais cette réaction de « L’autre » m’amène à m’interroger sur la présence de ce sentiment au sein de notre société dite de l’image.
    @L’autre: supposons que vous trouviez au hasard d’une brocante, une correspondance privée ou un journal intime d’un parfait inconnu. Vous sentiriez-vous dans l’interdiction morale d’en prendre connaissance? Personnellement, je n’aurai aucun état d’âme en raison de l’anonymat de l’auteur de ces textes. Ce n’est pas tant l’intimité qui pose problème, que le fait d’accéder, sans son consentement (et parfois avec son consentement mais c’est un autre sujet), à l’intimité d’un individu avec lequel on a un lien social.
    La photographie n’ira jamais aussi loin dans l’intime que l’écrit. Elle n’est qu’apparence et mise en représentation. Elle reste à la surface des choses. Pour reprendre le thème d’un précédent billet, on en apprend beaucoup plus sur une personne que l’on a photographiée au travers de la discussion qui sera suscitée par l’image que l’on vient de réaliser que par l’examen de sa seule photographie.
    Et pourtant, elle semble plus dérangeante que l’écrit. Comme si voir une photographie, c’était connaître personnellement la personne photographiée, contempler sa figure et son corps, c’était établir un lien social.

  19. Olivier, l’exemple de la maman allaitante est un exemple qui illustre l’accès accidentel à une intimité qui ne nous est pas destiné… rhannlala… ‘faut tout vous expliquer en plus, pas du tout un « Cachez donc ce sein que je ne saurais voir », je sais bien que y a que des maaâales dans l’assemblée mais quand même car c’est bien là que la critique se loge, non pas dans l’accès accidentel à cette intimité et encore moins dans la nature de cette intimité mais dans la réflexion et de la décision qui s’en suit : Ah tiens, je vois un truc qui ne m’est pas destiné (les photos des autres, ce qui se passe chez mon voisin, le sein de maman qui allaite), qu’est que je fais? je continue à regarder? ou je détourne le regard? Pourquoi est-ce que je continuerais à regarder si cela ne m’est pas destiné? Qu’est ce qui me dérange dans le fait de regarder? etc… vie privée, respect des autres, tatataaaaa… après, on peut s’arrêter au puritanisme et dans le cas de la maman allaitant son enfant, se cacher derrière un « c’est beau, c’est naturel, il n’y a pas de mal » apollinien comme vous dîtes le menton bien en l’air…. bin, non… pas forcément, sortir son nichon en public, c’est pas forcément naturel pour toutes les nanas… c’est même un effort pour beaucoup d’entre elles, alors si on peut aider un peu en évitant de trop s’appesantir sur l’innocence et l’intimité du moment (y a du 2nd degré, là), la maman appréciera. Mais ça, ça veut dire aussi réfléchir sur le sens de son action, ça, ça implique de remettre en question son action, ça implique en effet des valeurs morales que beaucoup de chercheurs/scientifiques évitent rapidement d’un revers de la manche « morale=religion=fanatisme », ce qui est dommage car ça évite bien des conneries et surement que ça nous apporterait tous un mieux-vivre ensemble.

    Quant à la réponse d’AG, n’attendez pas, il ne répondra pas.
    J’imagine, un peu rapidement j’en conviens, que pour lui, la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe.

    Bonne journée.

  20. Bonjour, je me permet de m’introduire dans vos échanges autour du remarquable « papier » d’A. Gunthert.
    Remarquable car, tout en nous racontant sa p’tite vie de famille en vacance, il nous permet de réfléchir sur plusieurs thèmes à la fois; Tout,d’abord du partage de la réalité « capté » par l’intention des divers membres de sa communauté familiale ainsi que l’usage qui en est fait à la fois comme énonciation de liens,dénociation des gouts et couleurs de chacun comme de la « moyenne » ce groupe particulier. Mais il nous fait apparaitre un point important qu’il va confirmer dans le « dévoilement » de l’oubli des locataires précédents.
    A savoir la force de, ce que nous pensons être notre originalité dans la « prise » de vue. Il en va de beaucoup de considérations sur l’originalité ou le libre arbitre qu’elles nous font découvrir combien nous sommes modelés, conditionnés, modifiés, pétris, sculptés par les forces tout à la fois inconscientes et collectives. Forces qui jouent, d’ailleurs, plus fines avec nous même car nous faisant croire que nous sommes chacun divers, originaux, uniques, singuliers, propres… Oui, nous prenons photos et points de vue de la même façon que les centaines qui nous précédent et ainsi de suite…
    Ensuite, fort de cette déclaration sur l’universel banaloïque, disons qu’il convient aussi de remarquer que bien que qualifié de misérables, ces petits secrets que nous avons tous, ont la particularité de produire, de nous provoquer, d’aider simplement à mieux être…De plus, il ne s’agit que d’images et en tant qu’ancien fidèle de la Sémantique Générale, la carte n’est pas le territoire, n’est pas tout le territoire…
    En sus disons qu’il y a dans chaque oubli, une part importante d’acte réussi. J’opterai volontiers pour un nouveau statut de l’image photographique numérique (et pensons au futur…), celle de l’image oubliée mais malgré tout livrée à l’attention de regardeurs plus ou moins intéressés ou intéressants. Ceux qui ont précédés cette réflexion peuvent être les dessins, peintures, photos des aveugles. Une partie de « l’œuvre » de Sophie Calle… Je veux parler donc de l’insu suivant la fabrication de l’image… Il y a un continent, pas qu’intellectuel, à explorer autour de l’image fabriquée hors intention et livrée à d’autres que le destinataire prévu et officiel. Je dirais qu’il s’agit d’une tentative de nommer « horschamp » ces images…
    En tout cas merci de m’avoir permis de réfléchir, avec vous, quelques instants sur ce sujet qui me hante depuis longtemps…

  21. Cela me rappelle l’expérience de Sophie Calle dans un hôtel vénitien. Embauchée comme femme de chambre dans un hôtel de Venise, elle enregistre les traces laissées par les voyageurs.

  22. Ping : Fovéa

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