La candidature Sarkozy? Un mème qui fait plouf

Selon la formule célèbre du Dix-huit Brumaire de Marx, les grands événements historiques se répètent, «la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.» Cette fois, c’est sûr, on est dans la farce.

Telle était du moins l’impression que produisait hier matin l’accueil de l’annonce de la candidature de Nicolas Sarkozy aux prochaines présidentielles sur les réseaux sociaux. Pendant qu’une grande partie de la presse s’efforçait de nous convaincre que les choses sérieuses allaient enfin commencer, les outils de l’appropriation s’emparaient du slogan et de l’affiche de campagne pour une série de détournements dévastateurs.

Un slogan giscardien, une affiche mitterrandienne (voir ci-dessus): les communicants sarkozystes ne brillent pas par leur imagination. La seule tentative qui sortait de la routine était celle de décliner la métaphore du capitaine courage, utilisée par le candidat lors de son intervention télévisée. Mais l’option du fond marin pour habiller l’image était un choix risqué [1] Un internaute a retrouvé à partir des métadonnées du fichier l’origine du fond marin, une photo de stock de la mer Egée, véritable appel du pied aux blagues et au second degré après l’échouage du Costa Concordia ou la proximité de la sortie du film « La mer à boire« .

Ça n’a pas raté. Avec une réactivité significative, les premiers détournements mettaient en scène Sarkozy en capitaine naufrageur (voir ci-dessus), suivis de près par le baigneur naturiste du catalogue La Redoute.

A l’époque mitterrandienne, la présence d’un fond uni ou d’un emplacement vide était un choix visuel sans risque particulier. A l’ère du mème et de la retouche, c’est une provocation à la satire. La simplicité graphique de l’affiche La France forte, composée de 3 éléments nettement distincts – le personnage, le slogan et le fond – se prête admirablement à l’appropriation. Constatant le succès du mème, le mouvement des Jeunes socialistes proposait dès le milieu de la matinée un générateur automatique permettant de modifier le slogan ou d’appliquer diverses variations à l’image.

Outre « la France morte », on a pu noter le succès récurrent de l’adaptation culinaire du slogan, remixé en « Francfort », allusion à l’empreinte du modèle germanique qui hante la candidature Sarkozy (voir ci-dessus).

Que le net s’empare d’un contenu politique et le détourne, quoi de plus normal? Mais on n’a pas constaté pareille explosion satirique à l’endroit de François Hollande, dont la campagne, si elle peine à soulever l’enthousiasme, ne provoque pas non plus d’opposition massive. La rage mordante de la caricature s’adresse bien au président sortant, dont le moindre discours paraît définitivement inaudible, menacé par l’inversion et la raillerie. Révélateur de l’exaspération qu’il suscite, le sarcasme le plus cruel a consisté à mimer l’effacement du candidat sur sa propre affiche, jusqu’à la disparition (voir ci-dessous).

L’écart est frappant entre cet accueil et le sérieux avec lequel la plupart des grands médias continuent de considérer une campagne menacée par le naufrage avant même d’avoir commencé. Qui, à part Alain Duhamel, croit encore que Sarkozy est capable de rééditer Marengo et de l’emporter in extremis par un retournement inouï? Mais le storytelling d’un combat gagné d’avance ne fait pas les affaires de la presse, qui attend depuis des mois le pain béni de la présidentielle, et qui fera tout pour donner à des chamailleries de cour de récréation les couleurs d’affrontements homériques.

Pendant ce temps, la France ricane, et s’amuse plus sur Facebook que dans les mornes sujets du JT. Une divergence de perception qui rappelle le traitement de l’affaire DSK – et n’annonce rien de bon pour la suite…

Notes

Notes
1 Un internaute a retrouvé à partir des métadonnées du fichier l’origine du fond marin, une photo de stock de la mer Egée

16 réflexions au sujet de « La candidature Sarkozy? Un mème qui fait plouf »

  1. Dès que j’ai vu l’affiche de campagne de Nicolas Sarkozy je me suis dit : « ils ont fait exprès de concevoir une affiche facile à détourner pour inciter les internautes à se l’approprier et ainsi faire le buzz ».
    Peut importe que les gens aiment ou n’aiment pas, Nicolas Sarkozy fait parler de lui.
    Son affiche circule partout alors que je suis bien incapable de dire à quoi ressemble celle des autres candidats.

  2. Ping : Déjà vu
  3. @Bertaga: L’affiche est un des plus vieux supports de communication – mais pas forcément le plus efficace à l’ère des médias industriels. Je serais surpris d’apprendre que la qualité, bonne ou mauvaise, d’une affiche, a influé de manière significative sur un scrutin dans la période récente. Pourquoi en fait-on? D’abord parce que c’est la tradition, ensuite et surtout pour alimenter ou susciter le commentaire médiatique.

    Mais aujourd’hui, la principale source du commentaire s’est déplacée des médias officiels vers internet et les réseaux sociaux. Ces effets de réception négative, eux-mêmes remédiatisés (voir notamment: Lemonde.fr Le Parisien, L’Express…) ne font pas l’affaire des auteurs, qui n’avaient visiblement pas prévu cette avalanche de remixes (on notera que l’article du Figaro qui avait révélé hier l’image originale a été basculé en archive payante, rendant la source inaccessible).

    Si un bad buzz valait autant qu’un accueil positif, les marques ne consacreraient certainement pas des dizaines de milliers d’euros à tenter d’en prévenir ou d’en corriger les effets… 😉

  4. Les affiches du candidat Sarkozy de 2007 avaient déjà fait l’objet de nombreux détournements, ce qui n’avait pas empêché Sarkozy de poursuivre son inéluctable marche vers l’Elysée. On lui faisait souvent des moustaches à la Hitler, ou bien on arrachait des lambeaux de ses affiches, ont barbouillait sa sainte face… Ces sacrilèges étaient des manifestations de colère, de haine ou de peur, vis-à-vis de son discours déjà très populiste… Aujourd’hui, autre temps, autre moeurs, il n’y a pas de haine ni de colère, mais une énergie joyeuse et populaire, une danse de joie sur son effigie rendue ridicule par le décalage qui existe manifestement entre son attitude et la réalité qui est la sienne aux yeux des français… il ne fait plus peur, mais il fait pitié pour la grossiereté de ses manoeuvres et surtout, il fait rire… Il n’a plus de crédit dans l’opinion et l’histoire qu’il raconte ne semble pas prendre au-delà de ceux qui sont directement intéressés à sa réélection… c’est-à-dire, en gros, la France qu’incarnait Pierre Poujade à laquelle s’ajoute les grandes puissances financières… Pour le reste… Je ne vois pas en quoi un gaulliste authentique ou un humaniste aimant l’ordre et la tradition (profil majoritaire à droite) pourrait ne pas lui préférer Bayrou ou même Hollande…
    Tout reposait sur le « vous allez voir ce que vous allez voir ! », le « blitzkrieg », le coup de génie du Mozart de la politique, sauf que tout cela émanait d’un story-telling que les journalistes, de gauche comme de droite, se sont mis en tête de démonter depuis mercredi… (à l’exception du Figaro qui renforce bien brillamment le ridicule du candidat infatué)
    la vraie question est de savoir s’ils vont eux aussi le ridiculiser (c’est si facile) ou s’ils vont le préserver pour maintenir un faux enjeux… C’est pour eux une question économique. Mais à voir les réactions des éditocrates ici ou là, il semblerait que même la presse généraliste aimerait un autre match que celui-ci perdu d’avance… Et il est vrai qu’un Bayrou-Hollande serait plus palpitant pour les pronostiqueurs… A voir…
    En tout cas, cette campagne sera sûrement un chemin de croix pour lui… une fessée administrée à coup de rires et de dérision… ça va tomber de partout, à la DSK, comme tu le dis…
    La tournée d’adieu du clown des sommets internationaux déguisé en apprenti sorcier de la dictature populiste… 😉

  5. La pratique du remix était nettement moins répandue et surtout beaucoup moins visible en 2007. En augmentant la viralité des détournements, les réseaux sociaux offrent une formidable caisse de résonance à la satire, dont on peut dès maintenant observer les effets: une recherche sur l’expression « France forte » sur Google Images montre un degré de pollution visuelle considérable de l’opération de candidature.

    Les sondages, qui restent d’une grande stabilité, semblent confirmer la réception des médias sociaux, décidément meilleurs analystes de la situation politique que nos grands éditorialistes.

  6. Ping : Le Blimp
  7. Ce qui attire mon attention dans cette affiche, c’est précisément son caractère désastreux en soi et ce qu’elle raconte en tant que support visuel propre et comme symptôme d’un appauvrissement massif de la communication visuelle.
    Comme André le souligne, c’est un visuel en 3 points : le personnage, le fond, le slogan. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a aucune cohérence entre les trois. Le slogan renvoie à la notion de pays, donc, la France et le visuel de fond ne montre… que du vide, de l’extraterrotorialité, l’inverse, en fait du slogan, dans un fond sans consistance, sans signification, sans perspective, cadre ou point fort. On en est réduit à se concentrer sur le personnage, détouré à la truelle (alors qu’il est techniquement possible de faire nettement plus fin sans vraiment se fatiguer), avec un improbable étalonnage colorimétrique entre la lumière de la peau et celle d’un horizon faiblement éclairé par un soleil absent, peut-être même, pire, crépusculaire. Donc, la France, c’est lui. Un portrait au rictus un peu crispé dont la caractéristique est de regarder là aussi, ailleurs, ni l’horizon, ni le lointain, ni le destinataire du message, juste ailleurs.

    Ainsi nous voilà avec une affiche qui balance un slogan sans autre consistance que de substituer à l’idée de pays celle d’un personnage providentiel, homme « fort » et lointain à la fois.
    L’usage de la mer comme fond reste une énigme pour moi, tant cette image est inappropriée. Soit c’est intentionnel et le message m’est totalement hermétique (ce qui est assez emmerdant pour une campagne de communication), soit cela a été plaqué là parce qu’il fallait un fond que ça faisait joli, auquel cas, on a affaire à une incompétence graphique abyssale.

    Bref, en soit, cette affiche est un ratage.

  8. Ping : Owni.fr
  9. @Le Monolecte: Les affiches politiques sont rarement un sommet de virtuosité graphique. Le principe de déclinaison d’un même visuel sur des formats différents, en hauteur ou en largeur, impose le recours au montage, tandis que l’amplitude du public ciblé encourage les mises en scènes volontairement simplificatrices. Peu imaginative, l’affiche 2012 est toutefois plus innovante que celle de 2007, qui était visuellement d’une banalité absolue – ce qui n’a pas été un handicap pour l’élection…

    Le fond marin correspond à l’évidence au choix millimétré du personnage du « capitaine courage » qui structure la campagne. Ne pouvant s’appuyer ni sur son bilan ni sur des propositions vraiment nouvelles, Sarko met en avant la promesse de guider la France à bon port en période de tempête. Cette thématique également développée dans le discours du candidat explique le choix de faire porter son regard ailleurs que vers le spectateur. Comme celui d’un capitaine averti, l’oeil de Sarko est fixé sur l’horizon et donne le cap. Manque de chance, cette métaphore marine est quelque peu …tombée à l’eau 😉

  10. oui, l’actualité aidant, la comparaison entre Sarkozy et Schettino s’imposait.
    Par ailleurs, trop nombreux sont les ratages de ces derniers mois, même au point de vue symbolique & iconographique : le slogan La France forte est une invitation plutôt à l’inventaire des faiblesses de la politique Sarkozy.
    Par ailleurs, le rictus forcé de NS 2012 fait ressortir a contrario le côté presque décontracté de l’affiche 2007, banale certes, mais finalement plus rassurante. Le décor champêtre 2007 permettait de gommer les tics nerveux et la démarche saccadée du personnage…

  11. Si l’hypothèse d’André est juste – à savoir que l’eau n’est pas un très bon support visuel pour un slogan de campagne – et si l’affiche doit donc restée liée à une représentation ou à une idée du « pays » dans un juste écho entre le village et la territoire national(comme le propose Le Monolecte), le seul candidat qui a dû et/ou pu se lancer dans l’aventure sans peine ni risquer le fiasco doit donc être JM Le Pen. En raison de ses origines bretonnes bien sûr.

    J’ai essayé, sans succès, de retrouver une telle affiche brièvement aperçue dans un documentaire rediffusé ce week-end à propos des campagnes présidentielles sous la V°. On y voyait JMLP dos à une mer tempêtueuse.. Affiche dont il est inutile de préciser ici le sens qu’elle devait transmettre. J’en ai cependant trouvé une déclinaison, ou une reprise, qui file la même idée (mais avec un phare en plus, pour mieux guider le naufragé potentiel) :

    http://photosfnvilleurbanne.hautetfort.com/photos/medium_caplepen.jpg

    En revanche, en effectuant cette très brève recherche, on voit que les origines très bretonnes de JMLP se localisent sans difficulté en PACA en 2010 pour les régionales, en conjuguant terre et mer. Là aussi, on se passera de commentaires….

    http://static.mediapart.fr/files/imagecache/475_pixels/Mathilde%20Mathieu/affiche-le-pen-2010.png

    Il va sans dire enfin, et on pourrait (on aurait pu ?) presque le deviner, que l’héritage a été transmis à Marine Le Pen (avec toutes les évocations de la vague qu’elle a déjà suscitée) qui se met ainsi en scène, vêtue décontractée sur une plage que l’on imagine du Nord, mais rappelant encore la tradition (entre croisière nautique et marinière de pêcheur toutefois…). Le visuel étant par ailleurs celui de son livre, sorti il y a à peine un mois.

    http://www.nationspresse.info/?p=153863

    Il ne fait guère de doutes que l’affiche de NS est un hybride issu de la récupération de slogans et de visuels de campagnes antérieures et, oserais-je dire.. pas seulement ancrées à droite. Cette affiche est donc un « assemblage » d’éléments épars et rapportés qui peut être ainsi considéré (sans développer plus cette idée) comme inférieur au montage (cinématographique) ou au bricolage (artistique). En rappelant ici que, du coté de l’UMP, on a beaucoup communiquer ces dernier temps sur les communiquants qui investiguaient les campagnes électorales du passé, je ferai même l’hypothèse que ce syncrétisme visuel et textuel est supposé continuer d »amarrer les esprits à tribord tout en annonçant déjà la manoeuvre avant d’aller pour sonder les eaux plus calmes du centrismes (ou de l’UDF de Giscard, quoi..) et ramener quelques prises dans les filets jetés dans la traine de la figure de proue (mitterrandienne, comme on a dit et vu).

    Si le syncrétisme visuel comme explication possible de cette affiche (cha)loupée a quelque vraisemblance et si les communiquants de NS ont également bien mené leur enquête, ils sont inévitablement tombé sur ce hiatus de la vague électorale… Dangereux récif que seul (?) JMLP était donc en mesure d’affronter tout droit sans risque de couler… quand les autres prenaient au pire le risque de rentrer les pieds crottés de leurs escapade en terres agricoles.

    Outre le fait qu’un tel ratage va peut-être limiter désormais la propension de MLP à maintenir le cap vers ce paradis iconographique ornées de ces si fortes métaphores maritimes, on peut donc aussi penser qu’un possible et très subliminal appel du pied de l’UMP (pas très marin moins encore que malin) devient ainsi un peu plus visible. Mais ce n’est qu’une proposition…

  12. @Dominique Gauthey: Merci pour ces propositions de lecture élaborées. Le précédent frontiste constitue un point de repère utile dans la discussion (même si le référent type de cette imagerie côté Le Pen est une mer plus tempétueuse – plus bretonne en quelque sorte…).

    Je ne pense pas toutefois qu’il faille présupposer à toute force un machiavelisme des communicants, perçus comme de super-tireurs de ficelles, experts dans la manipulation des connotations et l’érudition visuelle. Comme le montre la trace malencontreuse de la photo de stock qui a servi à cette composition ( http://culturevisuelle.org/dejavu/1118 ), il s’agit plutôt d’un travail bâclé. De façon plus générale, ce qui est documenté ci-dessus est le travail de la réception, qui relève d’une construction pas nécessairement liée aux propositions initiales. Pour le dire autrement, la prochaine affiche de Sarkozy sera tout aussi détournée, quel que soit son choix de motif: la réponse visuelle dépend bien plus de la détestation du personnage que des composants iconographiques, qui ne sont que des déterminants secondaires.

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