Carla et le paparazzi, politique du bikini

Dans Mythologies, Roland Barthes épinglait la manie de la presse illustrée de jouer de l’image du couple pour transmettre divers messages à caractère politique ou social (« Conjugales »).

Dans son numéro du 13 juillet, Paris-Match vient ajouter une nouvelle figure au genre des mises en scènes conjugales, très présentes en ce début d’été (voir ci-dessus). Sous le titre « Carla, première dame et bientôt maman », on voit une photo du couple Sarkozy en costume de bain, le mari attentif soutenant son épouse enceinte au moment d’entrer dans l’eau, la future maman portant la main à son ventre alourdi – image dont la spontanéité et le naturel est soulignée par les traits apparents de la photo volée, avec ses flous et ses traces de compression qui dénotent l’agrandissement réalisé à partir d’une image au téléobjectif.

Les photographies les plus extraordinaires ne sont pas toujours celles que célèbrent les festivals spécialisés. Pour pouvoir mettre en couverture une telle icône, dont l’exclusivité a probablement été payée à prix d’or, il fallait combiner plusieurs conditions exceptionnelles: un couple présidentiel suffisamment jeune et photogénique, une grossesse intervenue pendant la durée du mandat, enfin la circonstance estivale permettant de dénuder les corps et d’afficher en Une une photo de baignade.

Si l’on ajoute – comme le montrent les illustrations en pages intérieures – que les poses d’une femme enceinte ne sont pas toujours gracieuses (ni le bermuda king size nécessairement glamour), on aperçoit que cette image parfaite est un moment de grâce photographique qui n’arrive qu’une fois dans la vie d’un paparazzi.

Parue la veille d’un 14 juillet endeuillé par la mort de cinq soldats français, après la visite-éclair du président de la République sur le champ de bataille afghan, cette photo executée au fort de Brégançon le week-end dernier nous projette dans une délicieuse irréalité aux odeurs de cyprès et de thym. Alors que le camp sarkozyste prépare fébrilement une campagne qui s’annonce éprouvante, Paris-Match choisit une vision plus apaisée de la vie politique.

La temporalité décalée des magazines leur impose un traitement de l’actualité plus synthétique, qui zappe les détails et se concentre sur l’essentiel: l’envie de vacances des Français. C’est l’été que Paris-Match, acheté dans tous les campings de l’hexagone, fait ses meilleures ventes, avec des reportages qui rassurent et des images qui détendent.

La politique vue du salon de coiffure: telle a toujours été la ligne éditoriale du journal préféré des mamies. D’où l’obsession familialiste bien décrite par Barthes, qui permet de passer en douce les messages du conformisme social. Mais les variations offertes par la combinaison de la figure conjugale avec l’imagerie de la baignade, développée par les magazines people, offre des ressorts narratifs puissants. En empruntant à Voici ou Closer des éléments stylistiques clairement reconnaissables, Paris-Match joue sur plusieurs tableaux à la fois.

Ce n’est pas la première fois que l’on aperçoit le président en costume de bain: dès l’été 2007, Match illustrait ses premières vacances d’une photo familiale (accessoirement gratifiée d’une retouche beauté) où l’homme d’Etat au repos était assis torse nu dans un canoë. Au mois d’août 2008, une image semblable du couple à la plage avait été interprétée prématurément comme l’annonce d’une grossesse de Carla (alors qu’il s’agissait plus vraisemblablement d’un coup de main pour ôter ses palmes, voir ci-dessus).

C’est dire que l’image idéale du couple amoureux profitant des vacances était attendu comme le messie par la presse people. Attestant d’un plan com bien huilé, Carla accordait vendredi 15 juillet une interview à Nice-Matin, ainsi que plusieurs séances photos, donnant le signe du lancement de l’iconographie astucieusement anticipé par Match ou Voici.

Outre l’idée-force déjà maintes fois répétée que Carla sauvera le soldat Nicolas, dont la rédemption politique s’accomplira par la paternité, la douceur de vivre de cette carte postale s’oppose de façon subliminale à une autre image de couple, celle, symétrique, de Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair (d’ailleurs également présent dans le corps du numéro), cruellement puni par le destin pour avoir épousé la cause marxiste.

Quel que soit le camp, on le constate, la solidarité conjugale reste l’avenir du politique – ou du moins de la politique vue par les magazines. D’où l’égal succès des affaires de sexe, des mariages ou des naissances – version journalistique de l’égalité promise par la constitution, accomplie par le modèle familial et performée par les bains de mer.

Débarrassés de leur gardes du corps et de la pompe élyséenne par la magie du téléobjectif, Nicolas et Carla, presque nus, s’avancent dans l’onde tels des stars de cinéma, éclairés par les rayons adoucis d’une belle fin d’après-midi. Un tel moment de bonheur se devait d’être partagé par toute la France, sans la moindre arrière-pensée politique, cela va de soi.

Pas de chance, le beau plan com élyséen de représidentialisation silencieuse a buté sur la polémique sur le défilé du 14 juillet, qui a illico presto ramené le gouvernement à ses fondamentaux xénophobes. C’est  la limite de la politique du bikini et des tentatives de diversion sentimentales. Quels que soient les efforts des communicants, la droite au pouvoir soulève au moindre éternuement le masque bisounours appliqué de force, et dévoile l’étendue de son animosité et de sa malveillance. Une carte postale jamais n’abolira les braillards.

6 réflexions au sujet de « Carla et le paparazzi, politique du bikini »

  1. ce qu’on peut dire de notre président, c’est qu’il a la frite… Quand on pense que l’enfant qui va naître aura une mère à moitié italienne et un père à peine hongrois, on se dit que le premier ministre a bien raison : » il y a des gens qui n’ont pas une culture très ancienne des valeurs françaises » (sic). Je le déplore. J’ai presque honte : le bermuda, quelle faute de goût…

  2. Bonjour,

    « image dont la spontanéité et le naturel est soulignée par les traits apparents de la photo volée » et dont l’apparente très grande préparation est révélée par la coupe de cheveux impeccable de notre président de la République allant au bain. C’est un peu comme dans la série Lost perdu-e-s au milieux de tout mais toujours sorti de chez le coiffeur. Certes, Lost a le bon gôut d’être une fiction déclarée, elle…

    Cordialement,
    hatori.

  3. La consultation des images d’archives le confirme: la bombe de laque au réveil a l’air d’être une pratique ancestrale de l’homo sarkozyus. Pour un couple aussi aguerri à la pression médiatique que l’est le ménage présidentiel, multiphotographié dès qu’il met le nez dehors, il n’est pas invraisemblable de prévoir que la sortie à la plage avec Madame fournira une occasion en or à l’appétit iconographique. En tout cas, le reportage de Match est soigneusement non signé (siglé D.R.) et les images ont vraiment été prises de loin. Pour le reste, on ne peut que spéculer…

  4. [Le couple D$K-Sinclair] « cruellement puni par le destin pour avoir épousé la cause marxiste. » Même au second (ou +) degré, je saute au plafond et j’y reste collée… D$K marxiste ? Dans une autre vie, alors… Et je ne suis pas sûre que les mamies lectrices de cette presse de m…rde le perçoivent comme tel. Ni qu’elles imputent – non, non, ce n’est pas un jeu de mots… – la chute de l’ex-futur élu à ce mauvais choix idéologique.

    « Quel que soit le camp, on le constate, la solidarité conjugale reste l’avenir du politique – ou du moins de la politique vue par les magazines. D’où l’égal succès des affaires de sexe, des mariages ou des naissances – version journalistique de l’égalité promise par la constitution, accomplie par le modèle familial et performée par les bains de mer. » … Et surtout pas de piscine privée !…

    Croyez-vous, cher André Gunthert, qu’une petite quinzaine au Camping des Flots Bleux quelque part du côté de Cape Cod referait la cerise au couple « marxiste » ?

  5. Vous l’avez compris: je tentais – maladroitement – de reconstituer le stream of consciousness de la lectrice transcendantale de Match, qui garde un mauvais souvenir de l’entrée des chars russes sur les Champs-Elysées en mai 1981. Pour une partie importante de la presse, il n’y a toujours pas d’explication logique au malheur qui a frappé DSK. Sauf à invoquer les forces surnaturelles, ce qu’à Dieu ne plaise, l’hypothèse de l’expiation d’un choix de vie paraît la seule cause rationnelle susceptible d’éclairer le triste destin du couple. Un séjour au camping des Flots bleus est une idée intéressante dans un contexte de repositionnement politique, il faudrait la soumettre à Anne, mais cela suppose un renouvellement complet de garde-robe et de gros efforts de casting (à vérifier s’il est possible de récupérer quelques figurants des Tuche)…

  6. @André Gunthert

    Bonjour,
    votre message m’a fait voir M. Sarkozy comme Adam bis, le personnage principal du roman d’Eric-Émmanuel Schmidt « Lorsque j’étais une oeuvre d’art. ». Sauf que pour lui, tout s’écrit tout le temps au présent. Il est évident que l’on se dresse d’abord pour soi , ensuite pour les autres mais dans le cas de notre président c’est pour lui et pour tous les autres, même (et surtout) ceux qu’il ne voit pas. Il mérite bien son statut d’icône permanente.

    Cordialement,
    hatori.

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