Un contrat qui n'engage que moi

J’ai reçu aujourd’hui une proposition de contrat d’un éditeur (qu’il vaut mieux ne pas nommer) pour la participation à un ouvrage collectif. Ce contrat tient en 6 articles, que voici.

  • Article 1. L’Auteur cède, pour lui et ses ayants droit, à l’Editeur qui l’accepte, l’ensemble des droits d’auteur relatifs à l’œuvre. La présente cession est complète et définitive. Elle est valable pour tous pays et ne se limite pas à une simple licence d’exploitation des droits. Elle comprend la totalité des droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre, droits de reproduction et de communication au public, dans le monde entier et dans toutes les langues, sous quelque forme que ce soit, en tous formats et dimensions, par quelque moyen et à quelque fin que ce soit. La présente cession autorise notamment la mise en ligne de l’œuvre sur le site du dépôt institutionnel de l’Institution à laquelle l’Auteur est juridiquement lié.
  • Article 2. Modalités d’exploitation. Le choix entre les différentes formes d’édition ou de communication est laissé à l’appréciation de l’Editeur.
  • Article 3. Garantie de la libre jouissance des droits cédés. L’Auteur garantit à l’Editeur la jouissance libre et entière des droits qu’il lui a cédés par la présente, contre tout trouble, revendication et éviction quelconque. En particulier, l’Auteur garantit que son œuvre est originale et inédite.
  • Article 4. Rémunération. L’auteur reconnaît et accepte que la cession de ses droits de reproduction et de communication telle que consentie opère gratuitement. Aucun autre montant, pour quelque cause que ce soit, ne pourra être réclamé à l’Editeur.
  • Article 5. Exemplaire d’Auteur. Un exemplaire de l’ouvrage collectif et 10 tirés à part de l’article seront envoyés à l’adresse ci-dessus à la sortie de presse.
  • Article 6. L’Auteur garantit à l’Editeur le droit de lui emprunter sa voiture les jours de pluie, ainsi que la jouissance une fois par semaine de son époux/se ou concubin/e, nonobstant tout contrat de mariage, Pacs ou autre forme d’accord public ou privé.

D’accord, je l’admets: l’article 6 est apocryphe – mais il ne fait probablement qu’anticiper d’un an ou deux les prochaines dispositions exigées par cet éditeur. Les cinq premiers articles sont en revanche strictement authentiques, et forment l’intégralité du protocole qui m’est soumis.

Résumons. Je fournis gratuitement une contribution, avec ses illustrations, en respectant la date limite ainsi que les prescriptions diverses de l’éditeur. En retour, on me demande: de céder l’ensemble de mes droits d’auteur, partout, toujours, pour tous usages et sur tous supports, de garantir à l’éditeur la jouissance paisible de cette cession (autrement dit de ne pas me retourner contre lui pour lui faire un procès), enfin de certifier que je consens à l’absence de rémunération. Pour ma peine, je recevrai 1 (un) exemplaire de l’ouvrage, et quelques photocopies gratuites. Mazette!

Un contrat d’édition établissait autrefois les termes d’un échange: l’auteur cédait ses droits contre la promesse d’un tirage, dont le nombre était spécifié, de l’assurance d’une promotion et d’une mise en vente appropriée, enfin d’une rémunération, forfaitaire ou au pourcentage. Dans le courrier que j’ai reçu, on se demande bien en échange de quoi je me priverais de ma propriété intellectuelle. Ce protocole ne fait qu’énumérer des devoirs, sans aucun engagement ni contrepartie – c’est ce qu’on appelle un contrat léonin.

Un contrat n’a aucune valeur si ses dispositions sont en contradiction avec la loi, qui lui est supérieure. Mais les éditeurs savent bien que les auteurs n’ont qu’une piètre connaissance de leurs droits, et profitent de l’état de faiblesse que représente la situation éditoriale pour leur faire accepter des dispositions illégales.

Qu’on se le dise une fois pour toutes: un éditeur qui ne rémunère pas un auteur n’a aucun droit à lui réclamer une quelconque forme de cession. Lui accorder une exclusivité pour un temps restreint, sous la forme d’une licence d’exploitation ponctuelle, est déjà un beau cadeau, qui vient en plus du texte fourni. C’est un geste raisonnable si l’organe a pignon sur rue, ou qu’on juge les conditions d’édition particulièrement intéressantes (par exemple une illustration couleur). Encore faut-il que l’éditeur soit poli, dise bonjour, s’il vous plaît et merci.

Dans le cas en question, cet éditeur n’a pas de chance: l’article est beaucoup trop important pour moi pour que j’envisage un seul instant de lui céder ad perpetuum mes droits patrimoniaux. Il n’est donc pas question que je signe cette monstruosité juridique, qui expose plus ses rédacteurs qu’elle ne les protège. Si l’éditeur choisit de passer outre, il aura démontré que son contrat n’était qu’un chiffon sans valeur. S’il renonce, cela me fera un article de plus à proposer à un de ses concurrents.

14 réflexions au sujet de « Un contrat qui n'engage que moi »

  1. Les éditeurs de sciences humaines ont semble-t-il bien du mal à trouver un moyen terme.
    Personnellement, je n’ai jamais signé aucun contrat pour aucun de mes articles. Ce qui me laisse entièrement libre mais montre toutefois que les éditeurs n’ont même pas l’idée qu’il puisse exister des réutilisations/rééditions (y compris électroniques).

    D’autre part, votre expérience. Des éditeurs qui organisent la rétention de la connaissance, en ne rééditant pas les livres épuisés tout en interdisant aux auteurs de les republier par ailleurs.

    Dans les deux cas, des éditeurs en décalage complet avec leurs auteurs et leurs lecteurs, qui ne comprennent pas les besoins actuels, ne les accompagnent pas, n’en profitent pas… Ce qui ne serait pas grave s’ils se contentaient de se tirer une balle dans le pied ; mais la recherche française en pâtit, hélas.

  2. C’est quand on voit des trucs comme ça qu’on se sent conforté dans l’idée qu’il vaut mieux s’éditer tout seul dans son coin, quitte à se cogner la promo comme un soutier! 😉

  3. Exemple éloquent, dans la droite ligne de ce que l’on peut lire dans « Les nouveaux intellos précaires » d’A. et M. Rambach.
    Un bon moyen de faire avancer les choses, à la lecture du livre, semble être de faire remonter les contrats (comme vous), et de définir ensemble ce qui est acceptable ou pas.

    Ayant publié gratuitement dans une revue du CNRS il y a quelques temps (avec un exemplaire gratuit et des exemplaires à -50%), j’escomptais en tirer d’autres types de bénéfices… Résultat : à mon dernier colloque qui m’a demandé beaucoup de travail (sur mon temps libre), j’ai été retenu 15 minutes à l’accueil car je refusais de payer 150 euros d’inscription (qui auraient été à ma charge, en plus des frais de recherches divers). Petite humiliation supplémentaire, je n’ai pas eu droit au fascicule avec les présentations des différentes interventions, et donc pas de trace officielle de ma conférence.

    Je n’ai jamais signé le moindre contrat, je crois…

    Enfin, pour répondre au commentaire sur le fait de s’auto-éditer, j’ai un temps pensé faire la même chose pour le livre que je prépare. Je ne crois pas qu’un travail édité dans ces conditions soit lu, ou considéré sérieusement en tous cas (j’ai deux trois livres dans ce cas que je n’ai jamais trouvé dans aucune biblio)

  4. Misère d’écrire en pays où l’auteur n’a plus aucun droit, sinon celui d’écrire à en perdre son âme, sans espoir d’être justement rétribué pour son oeuvre…
    Misère d’un pays qui ne sait que maltraiter ses penseurs, et s’adonnent à la volupté d’obscures finances…
    Si vous saviez comme ce type de contrat est monnaie courante en triste République française…

  5. Pour ma part, je lis plutot l’article 3 comme signifiant « si quelqu’un decide de faire un proces en raison de l’article, ce n’est pas l’editeur qui sera attaque mais bien toi, auteur, malgre la cession des droits ». Il y a tout le temps ce genre de choses pour les photos de rue, au cas ou une des personnes photographiees ne decouvre ladite photo et decide d’attaquer en justice.

  6. C’est génial ces sociétés qui ne rédigent des contrats qu’en leur faveur. Il faudrait leur rappeler que l’intérêt d’un contrat est de satisfaire les deux parties, sinon il est bon à jeter à la poubelle. De plus, comme tu le précise, céder à « perpétuité » des droits d’auteur est extrêmement limite, surtout s’il n’y a pas de rémunération — personnellement, je pensais même qu’une cession des droits d’exploitation à « perpétuité » était illégale mais apparemment, c’est possible.

    Pour les gens qui sont confrontés aux droits d’auteur, quelques infos sur ce lien :
    http://www.agessa.org/getpage_-Comment-realiser-une-cession-de-droits-d-auteur_26,27,15,,.html

  7. Ce n’est certainement pas une coïncidence si Culture Visuelle propose le même jour un billet dénonçant l’iniquité d’un contrat d’édition et un autre annonçant la publication d’un livre en ligne. Les impasses de l’édition renforcent notre désir de diffuser nos travaux autrement, sous d’autres formes, libérées des contraintes étouffantes de l’institution académique et dévastatrices de l’édition commerciale. Avec en point de mire cette préoccupation : comment ne pas renoncer pour autant aux livres et aux articles imprimés ?

  8. « Un contrat d’édition établissait autrefois les termes d’un échange »

    La persistance à proposer des clauses léonines (« dans le monde entier et dans toutes les langues, sous quelque forme que ce soit, en tous formats et dimensions, par quelque moyen et à quelque fin que ce soit »), en déni de toute validité légale, justifie pleinement le « autrefois ».

    On devrait ajouter une catégorie à la rhétorique classique, le « contrat d’intimidation ». Si je ne me trompe, l’enseignement de la rhétorique est bien plus présent dans la formation des juristes que dans les filières littéraires…

  9. Très intéressant. Les « industries culturelles » méritent bien leur nom, semble-t-il. Comme pour la musique, il est nécessaire que le public, en l’occurrence les lecteurs, s’empare d’un débat sur les conditions de production / création / diffusion / rémunération, et ce, avec les auteurs. Et moi non plus, je ne veux pas renoncer au papier…

  10. @#99 :

    il me semble que ce que vous dites en votre deuxième paragraphe est prévu par la loi : l’auteur récupère ses droits si manifestement l’oeuvre n’est plus exploitées.

  11. Bonjour

    En l’état actuel, ce contrat ne tient pas la route face à la moindre revendication de l’auteur.

    Un contrat d’édition, quel qu’il soit, c’est obligatoirement pour une durée définie, même à titre gracieux.
    (Et si elle devient trop longue, c’est alors la coutume ou les délais normaux qui prennent le pas, suivant le type de publication.)

    L’éditeur ne peut pas non plus s’exonérer de sa responsabilité vis-à-vis d’un tiers en exigeant de l’auteur une garantie « contre tout trouble, revendication et éviction quelconque. »
    Ce serait trop facile.

    Un éditeur est engagé par ce qu’il publie. Il lui suffit de lire. Editer, c’est approuver ce qui est dit. Et bien des jugements considèrent que l’auteur et l’éditeur sont solidaires.
    Dans les cas de plagiats, là, effectivement, l’auteur est responsable à part entière, parce qu’il a trompé l’éditeur (le caractère inédit et original est donc légitime).

    Quand à savoir si un éditeur peut passer outre un contrat. Bien sûr qu’il le peut.
    L’auteur peut alors lui adresser une facture, avec le montant qu’il souhaite… ou saisir les tribunaux pour obtenir plus, avec le retrait de tout l’ouvrage en prime. (qu’il soit imprimé ou pas)

    Il faut aussi se rappeler qu’un contrat, c’est toujours un accord entre deux parties.
    Si une clause d’un contrat ne vous convient pas, vous la réécrivez et vous retournez le contrat réécrit pour savoir si l’autre partie est d’accord, ou pas. Et ainsi de suite jusqu’à accord ou rupture.

    S’il n’y avait que les auteurs pour ignorer le droit, ce serait bien. 🙂

    A ce genre d’éditeurs, il ne faut pas hésiter à rappeler la loi. Et donc le risque qu’ils prennent, contre d’évidents troubles et revendications ultérieures (de la part des auteurs, ou de leurs ayants droits). Ce qui compromet gravement leur projet, mais aussi celui des autres participants.

    Pour l’article 6, je pense qu’il y manque quelques lignes :

    Article 6. L’Auteur garantit à l’Editeur le droit de lui emprunter sa voiture les jours de pluie, ainsi que la jouissance une fois par semaine de son époux/se ou concubin/e, nonobstant tout contrat de mariage, Pacs ou autre forme d’accord public ou privé. Il octroiera aussi 50 % de son salaire mensuel, et effectuera une fois par semaine une salutation, avec chapeau à plumes, devant le siège social de l’éditeur en criant : Vive le roi ! Vive le roi !!!

    🙂

    Il ne faut pas se tromper. D’ici peu de temps, les éditeurs deviendront les clients des auteurs.

    D’une certaine façon, ils le sont déjà, mais ce sera de plus en plus criant dans le monde du Web, où les auteurs peuvent se regrouper pour publier, de manière aussi, si ce n’est plus, sérieuse que ce type d’éditeurs.

    Bien cordialement
    B. Majour

  12. Le web est le salon des refusants…
    Ce contrat est finalement le signe d’une panique autoritaire de l’éditeur plus que celui d’une domination réelle. La preuve, tu en ris et en fais un document intéressant sur la fin d’un système… Ce contrat n’a pas de poids, c’est toi qui décides… tu es d’une certaine manière à la tête d’une maison d’édition collective qui a de nombreuses possibilités d’évolution… et où les chercheurs sont libres. La seule raison pour laquelle la publication scientifique peut avoir encore de l’importance et conférer à des éditeurs sans scrupule un pouvoir de négrier, c’est l’évaluation officielle (CNU, AERES…) pour laquelle le support internet ne compte pas encore vraiment… Mais quand des sites à comités de rédaction solides et reconnus publieront des articles importants en primeur ou quand une nouvelle forme de reconnaissance, par les chercheurs eux-mêmes, se fera jour sur le web, les choses changeront. En attendant la pointe vive du questionnement, c’est dans la parole vivante des rencontres (colloques, séminaires…) et des plate-formes, des blogs, du web qui les prolongent, qu’elle se manifeste et s’ouvre aux regards de tous… Et c’est ce flux d’idées, ce work in progress là qui est nourrissant et qui compte, la recherche devient ainsi utile à toute la société… reste à en faire quelque chose d’officiel sans le figer dans des procédures académiques où les jeux de pouvoir reprendront le dessus… Pour l’instant ça crépite, ça palpite et ça s’organise…
    Le délire de cet éditeur qui est tombé à côté de la plaque est un bon signe… Le tri se fait…

  13. Bonjour,
    un contrat est un accord. On peut être d’accord si en face de ces termes la rémunération est cohérente. Pour 1000000 €$¥, je signe ce contrat 😉
    Ah oui, j’oubliais que les pÔvres éditeurs sont fauchés… Il suffirait de faire un contrat pour une œuvre de design destinée à la vente, avec un fixe d’honoraires, plus une redevance sur la vente pour rémunérer les droits.
    Confraternellement.

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