Une consternation française

Comme le laissait deviner dès hier le premier choix d’images de l’AFP, les Unes des journaux français de ce matin témoignent d’une retenue qui fleure bon les charmes de la bourgeoisie.

Une démonstration chimiquement pure. Soit une plainte pour agression sexuelle à l’encontre d’un candidat putatif à la présidentielle. Va-t-on assister à la multiplication des condamnations morales, des dénonciations d’un sexisme de classe, à l’appel au contrôle de soi pour les dirigeants en charge du destin de la planète?

Courageusement, Serge Raffy prend les devants, et intime l’ordre d' »arrêter le lynchage« . Une inquiétude visiblement prématurée, car on a beau se frotter les yeux, on ne voit que prudence, attentisme et ouverture de parapluies. Toute la presse annesinclairisée exprime d’une seule voix la « stupeur » et la « consternation » face au « coup de tonnerre », « incroyable », « impensable »…

Que le PS s’abrite derrière la présomption d’innocence, on peut le comprendre. Il s’agit après tout du parti de celui que tous les sondages donnaient vainqueur des prochaines présidentielles. Mais la presse, qu’on a connu moins regardante, fouillant avec empressement les poubelles des Dupont de Ligonnès? On peut enfin mettre d’accord mélenchoniens et zemmouriens: la presse n’est ni de droite, ni de gauche, elle est bourgeoise, libérale et misogyne, en un mot strauss-kahnienne, à un point que seul révèle l’unanimisme médiatique de ce matin.

On chercherait en vain le visage d’un pervers sexuel dans le profil multiplié d’un DSK pinçant les lèvres, les yeux au sol, qui hésite entre souci et préoccupation, et dont la connotation la plus sévère ne dépasse pas le « Oups, est-ce que je n’aurais pas encore gaffé? » Libération, qui ose le « DSK out« , a choisi le portrait d’un homme blessé au regard triste (photo: Julien de Rosa/Starface). On comprend que cet homme-là, coupable de rien, n’est frappé que par une adversité malheureuse, un coup du sort immérité.

Ce n’est pas l’image de Dominique Strauss-Kahn qu’affichent aujourd’hui les Unes. C’est l’autoportrait d’une presse en plein desarroi face à la disparition de son candidat préféré.

Les numéros de ce matin ont été bouclés dans la nuit, avant que n’arrivent les premières photos de New York de la sortie de DSK menotté (seul Le Monde a pu l’afficher en première page). Voilà enfin de quoi rasséréner les médias désorientés. Après avoir mis le drame sur le dos de Twitter ou des hiatus de temporalité, on peut désormais pointer du doigt le vrai coupable: « la responsabilité que la police New-Yorkaise a prise en se livrant à cette mise en scène est extrême« . Air connu, déjà chanté pour Polanski. Une agression? Quelle agression? Des menottes? Quelle indécence!

Laissons la presse à ses pudeurs de notaire. La seule chose à dire devant la disparition de DSK du paysage politique, c’est qu’on l’a échappé belle.

  • Lire également sur Culture Visuelle: « Problem, DSK?« , par Patrick Peccatte.

11 réflexions au sujet de « Une consternation française »

  1. « la presse n’est ni de droite, ni de gauche, elle est bourgeoise, libérale et mysogine »
    On se demande bien ce que le mot « Libéral » fait dans cette phrase…surtout lorsqu’on parle d’un socialiste ménagé par la presse d’Etat.

  2. @Topaz: Je ne sais pas quelle est votre acception du terme « socialiste », mais ce n’est certainement pas celui que le FMI choisirait pour caractériser sa politique. Vous pouvez en revanche consulter la définition de « libéralisme », par exemple sur Wikipédia, vous verrez que ce n’est pas une insulte, mais la description exacte des options politiques et économiques de l’actuel directeur du FMI, qui défend l’initiative privée, la libre concurrence et l’économie de marché.

  3. A signaler plusieurs réactions et prolongements:
    – « De l’affaire DSK comme troussage de domestique« , Le Grand Barnum, 16/05.
    – Mathias Reymond, « Affaire DSK (1), des médias orphelins« , Acrimed, 17/05.
    – Olivier Ertzscheid, « DSK: le bruit et la fureur documentaire« , Affordance.info, 17/05.
    – Vogelsong, « DSK et la presse, la peur du vide« , Agoravox, 17/05.
    – Isabelle Germain, « Don’t let Dominique Strauss-Kahn become the victim« , The Guardian, 17/05.
    – Jean-Baptiste Soufron, « Comment j’ai été pris la main dans le « complot » DSK« , Atlantico, 18/05.
    – Agnès Maillard, « DSK, l’ivresse du pouvoir« , Le Monolecte, 18/05.

  4. Ping : Slate.fr
  5. Un lynchage c’est considérer comme coupable une personne avant qu’elle soit jugée. Je pense que beaucoup de réactions ces derniers jours relèvent du lynchage. La justice est une machine puissante, soutenue par les braves gens elle est en puissance une institution totalitaire.

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