Le mariage de Kate et William, pétard mouillé du siècle?

Comment évaluer l’importance d’un événement sur l’échelle de la hiérarchie journalistique? Prenons au hasard le mariage de Kate et William. « L’événement de l’année« , « mariage du siècle« …: imperméable à la différence d’échelle entre deux estimations aussi disparates, la presse a fait feu de tout bois pour situer l’épisode princier tout en haut du podium.

Un pronostic circulait dès le début de mois d’avril évaluant par avance à 2 milliards de téléspectateurs l’audience du mariage. Ce chiffre qui correspond à environ un tiers des êtres humains vivant à la surface du globe a toutes les chances d’être aussi gonflé qu’une poitrine siliconée, mais a été repris à peu près partout sans discussion.

D’où vient cette prévision? Celle-ci émane, non d’un institut d’analyses statistiques, mais du ministre anglais de la culture, Jeremy Hunt. Elle succède à une première estimation, diffusée en février par les services de communication de la Couronne, qui évaluaient plus modestement ce même public à un milliard de personnes – moitié moins.

On peut sans risque d’erreur reconstituer les données du calcul. Le premier benchmark est le mariage de Charles et Diana en 1981, supposé avoir réuni 750 millions de téléspectateurs, selon l’estimation la plus souvent reprise, celle du Guinness Book (une autre donne un milliard, un tiers de plus, ce qui indique sa marge de précision).

Resté longtemps l’étalon de l’audience mondiale la plus élevée, ce chiffre a été détrôné en 1997 par les funérailles de Diana, évaluées par le même Guinness Book à 2,5 milliards de téléspectateurs (le Guinness n’a jamais fourni l’audience cumulée du 11 septembre). Mieux que Charles et Diana, mais moins que la mort de Diana: et hop! voilà comment on donne une apparence de donnée scientifique à une supputation qui n’est qu’une vantardise de comptoir.

Selon le journaliste Nick Harris, de même que les chiffres de retransmissions sportives sont habituellement gonflées de plusieurs unités, les évaluations du Guinness sont à rabattre d’un bon facteur 10 pour correspondre avec le public réel de ces émissions. Seule la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques à Pékin en 2008 aurait approché du milliard de téléspectateurs, selon des données fiables – un chiffre qui doit beaucoup à la localisation de l’événement, dans le pays le plus peuplé du monde…

Pour tenter d’estimer l’impact réel du mariage de Kate et William, on peut se reporter aux chiffres d’audience des télés françaises diffusés ce matin. S’agissant d’un événement multidiffusé (TF1, France 2, M6 et les chaînes d’info), les éléments de comparaison pertinents sont rares, et le pic de 15 millions de téléspectateurs constaté vers 13h15 a de fortes chances d’inclure nombre de naïfs qui, comme moi, ont tenté sans succès d’avoir accès à ce moment-là à leur JT de la mi-journée.

On peut en revanche effectuer des comparaisons à partir des audiences obtenues sur une seule chaîne. France 2, qui a rassemblé le public le plus important, enregistre 5 millions de téléspectateurs entre 9h15 à 13h45, soit 42% de part d’audience. Ce chiffre est évidemment élevé pour une émission matinale et correspond aux bonnes audiences de la chaîne, mais reste bien loin des cartons télévisés de ces derniers mois: 10 millions de spectateurs pour Asterix aux jeux Olympiques (TF1, 24/10/2010), ou encore 7,9 millions pour le dernier épisode de Dr House (TF1, 28/04/2011).

Pour un rendez-vous trompetté depuis plusieurs semaines par une propagande quotidienne, déployée sur des milliers d’articles, couvertures, dossiers spéciaux, émissions en tous genres, n’atteindre in fine que le score d’un épisode de Bones sur M6, permet de situer de façon plus réaliste le mariage de Kate et William au rang de pétard mouillé du siècle…

21 réflexions au sujet de « Le mariage de Kate et William, pétard mouillé du siècle? »

  1. Celui qui inventera le boitier audimat capable de vérifier si les gens regardent vraiment ce qu’ils voulaient voir et ne vont pas éteindre lorsqu’ils auront admis que le JT ou Derrick ne sera pas diffusé,… celui-là risque de finir au fond de l’océan avec des chaussures en béton, il a en mains le moyen de ruiner toutes les régies de pub 🙂

  2. Bon… j’ai plus rien à dire… tout ce qu’il y avait à dire est dit là, et Jean-No complète. Vous êtes terribles ici !

  3. Je ne comprends pas bien l’argumentation dans ce billet… Si le chiffre de 2 milliards parait excessif, il faut quand même rappeler que ça a été diffusé dans plus de 150 pays à la télévision, à la radio et sur Internet.

    Quant à la France, il faudrait commencer par cumuler l’audience de toutes les chaines ayant diffusé le mariage, savoir combien ont regardé sur Internet et comparer avec la même tranche horaire… car comparer l’audience de France 2 entre 9h et 14h à un vendredi soir ou dimanche soir sur TF1, c’est méconnaître le fonctionnement des médias ! L’audience de France 2 sur cette tranche horaire est généralement 5 à 10 fois inférieure à celle de vendredi…

    Quant au pic d’audience, il correspond au moment où les gens qui travaillent ont pu se brancher sur leur télé, ça correspond aussi à un « moment fort » du mariage (le bisou, et oui ! ^^) ce qui peut expliquer le pic d’audience.

    Pour savoir si l’événement a effectivement été très suivi, il faut donc prendre les audiences de tous les pays qui ont diffusé l’événement. A commencer par les pays du commonwealth (dont l’Inde fait partie, avec 1,2 milliard d’habitants).

    Bref, je pensais avoir un billet construit avec des chiffres pour appuyer le titre. Et finalement, c’était un pétard mouillé !

  4. Attention Asterix ou Dr House ne se trouvent pas sur la même tranche horaire et sont des exclusivités. Un vendredi matin, au moment de la diffusion du mariage princier, beaucoup de personnes travaillent, ne sont pas chez elles : le coût des emplacements publicitaires sont rarement élevés à cette heure-ci (même pendant les vacances scolaires) et il y a peu de batailles d’audiences. Le calcul de l’audimat ne se mesure donc pas à la même échelle. En revanche, les « grandes » chaînes semblent tributaires de l’influence d’un tel évènement. Si elles choisissent de le retransmettre c’est pour d’autres raisons qu’un simple engouement populaire, de type finale de Coupe du Monde de football, mais davantage pour tenir une image de marque. En effet, il y a peu de prises de risque à retransmettre le mariage de Kate et William un vendredi matin à la place d’une série banale (et souvent rediffusée), que pendant le Grand Prix de Monaco, par exemple. La question se serait alors posée autrement. Par ailleurs, il n’y avait pas de concurrence. TF1, France2 et M6, l’ont passé simultanément ; à noter aussi l’absence de publicité entre la fin du mariage et le JT de J.P Pernaut sur la Première. L’audience n’était pas ici le but, c’était plus le fait de vouloir absolument tenir le rang de « grande chaîne généraliste » et là la bataille fait rage !
    Le mariage princier, est glamour, il donne du rêve, il est attendu sur plan mondial. Les diffuseurs s’en emparent en sacrifiant une tranche horaire médiocre, pour façonner leur image face à la multitude de chaînes thématiques. « Pétard mouillé » peut être, mais surement pas pour la hiérarchisation des médiats.

  5. @nobr_ : ce que dit bien André (mais peu importe les chiffres, impossibles à produire précisément), c’est que ce « mariage du siècle » est un évènement parce que tout le monde dit que c’est un évènement, ce qui pose un problème logique il me semble.

  6. Ce n’est pas parce que les médias s’en remplissent que ça passionne les gens. Et « glamour et rêve » pour qui ? J’ai été surpris que dans mon environnement professionnel, ceux et celles que j’aurais pu imaginer sensibles à la chose n’en eussent cure. Ce qui fait que je n’ai encore rencontré aucun humain, et je croise pas mal de monde, qui comprend l’affolement des médias : indifférence et incompréhension. Il semble donc que ce soit un événement médiatico-médiatique, entièrement médiatique, et uniquement médiatique… Encore une fois, un événement autoréalisateur, qui n’a que l’importance qu’en donne les médias, en dehors de toute réelle accroche populaire.

  7. @nobr_, Aurélien Rigaud: J’admets volontiers une dose de mauvaise foi dans mon choix d’extraire l’audience de France 2 pour lui faire dire le contraire de la propagande. Ce qui prouve que ces chiffres devraient être maniés avec un peu plus de précaution par les professionnels de l’information. Et malgré mon agacement et mon parti-pris, clairement indiqué en titre, je crois que mon billet fait preuve d’une rationalité très supérieure à la majorité des contributions publiées à propos de ce mariage 😉

    Les succès d’audience étant par définition l’apanage du prime time, en termes stricts, aucun programme télévisé ne peut être considéré comme un élément de comparaison pertinent – mis à part un autre mariage princier… Néanmoins, en chiffres absolus, il faut admettre que les quelque 10 millions de téléspectateurs français ayant suivi une grande partie du direct sur l’ensemble des chaines correspond bel et bien à un carton d’audience (indication à modérer par le fait que la multidiffusion produit un programme contraint).

    Mais toute la question est de remettre ce chiffre en perspective avec l’énorme effort de teasing produit depuis des semaines par la presse. Même si on a souvent tendance à faire comme si l’audience d’un programme, d’un film ou d’un livre n’étaient dues qu’à ses qualités propres, il est facile de démontrer que le travail de promotion préalable d’un produit culturel entre pour une part majeure dans sa réception. Mon rappel à l’ordre est pour signaler qu’il y a une différence énorme entre une audience mesurée a posteriori et une prévision au doigt mouillé, dont l’énoncé participe de la valorisation de l’événement.

    Comment mesurer l’importance d’un mariage princier en termes de hiérarchie de l’information? Les points de repère mobilisables a priori ne sont pas nombreux. Ils sont produits à partir de la tradition (succès antérieurs d’événements similaires) ou des sondages. La prévision d’audience, qui semble appartenir à la seconde catégorie, est en réalité une projection à partir des données de la première. Les 2 milliards ne sont donc pas seulement un chiffre « excessif ». Associer à l’annonce du mariage la plus forte audience mondiale est, comme le dit justement Alain, un pronostic autoréalisateur, c’est-à-dire une sorte de tour de passe-passe qui, tout en suggérant qu’il fournit une indication objective, constitue en fait une prescription implicite invitant le téléspectateur à ne pas rater un événement de cette importance. La constance avec laquelle cette estimation fantaisiste a été citée montre qu’elle était bien utile pour remplacer une indication de valeur inexistante – et accessoirement pour légitimer la production médiatique…

    En proportion de cet énorme effet d’annonce, j’estime (moi aussi au doigt mouillé) que l’impact du programme reste bien en-deçà de ce qu’on pouvait attendre. Il existe du reste un indicateur qui le confirme: lors du mariage de Charles et Diana, deux millions de spectateurs encadraient la route de la procession jusqu’à Clarence House, alors que seulement un million de personnes étaient rassemblées hier à Londres. Plutôt que de se borner à faire la publicité d’un rendez-vous médiatique, ne pourrait-on attendre du journalisme qu’il soit en mesure d’observer et d’analyser les évolutions culturelles manifestées à l’occasion de ces phénomènes mondains?

  8. Encore une fois, il faut ajouter le problème de la lecture monosémique d’un phénomène qu’on aborde du seul point de vu comptable : Un million de spectateurs ne veut pas dire un million de fanatiques, mais aussi les familles dont c’est l’occasion d’une sortie un peu spéciale, et même, sans preuve scientifique, j’aurais tendance à penser qu’une bonne part des spectateurs n’est pas plus motivé par cet événement-ci que par toute autre chose de la même ampleur, c’est à dire qui transforme la ville en kermesse. De la même manière, considérer que parce que quelque chose va passer à la TV, ce sera vu, ou même considérer que quelque chose est vu et attendu, alors même que cette chose remplace le JT, et donc que les gens sont devant comme client captif de leurs habitudes, c’est une escroquerie intellectuelle !

    Donc, je suis persuadé qu’André à raison, ce qui est en cause, c’est la manière dont ce produit a été prévendu. J’ai même entendu des commentateurs (des vendeurs ?) expliquer que mondialement, « nous », l’humanité, cautionnerions idéologiquement la chose, c’est-à-dire qu’on allait regarder, car nous aurions tous une certaine « nostalgie » d’un bon gros régime bien stable… C’est scientifique, ça ?

  9. Le mariage princier ne serait-il pas un marronnier planétaire?
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Marronnier_%28journalisme%29
    Certes, il ne se produit pas nécessairement pendant les périodes creuses, mais il s’agit d’un évènement récurrent et prévisible qui permet de débattre de sujets simplistes et mièvres (la robe de la mariée, l’humeur de la belle-mère, etc.) qui ne sont jamais rédigés dans l’urgence et qui donne souvent l’impression de gêner plus le journaliste que le lecteur. Pour un journaliste réellement enthousiaste comme Stéphane Bern, combien adoptent le deuxième degré pour parler de l’évènement?

  10. « Oui, le mariage royal a battu tous les records de commentaires sur les réseaux sociaux. Le pic a été atteint, en ce vendredi 29 avril 2011, avec 15.000 tweets par minute dotés du hashtag #royalwedding dans le monde, selon ABC News (13.000 tweets par minute selon USA Today). En France, le visionnage de l’union princière sur les télévisions de l’Hexagone a généré plus de 13.000 tweets francophones lors de cette journée spéciale, concluent le cabinet Novédia et le site DevantLaTele.com. »
    http://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/2011/04/28/le-mariage-royal-de-la-television-et-de-twitter/

  11. Les journalistes reprenant en boucle l’expression « mariage du siècle », ça fait partie du show, au même titre que la meute de photographes à Cannes ou à la sortie de l’Elysée. La prophétie (vraie ou fausse tout le monde s’en fout) plus qu’autoréalisatrice, est une figure de style nécessaire à l’évènement culturel, au même titre que les carrosses ou la traine.

  12. Et peut-on estimer le nombre de citoyens ordinaires qui ont ESSAYÉ sans succès d’échapper à ça? D’habitude, je vais sur Arte pour avoir les infos de base sans fioritures coûteuses en temps (pas que ça à faire, hein, je suis retraitée), mais là, gloups!

  13. La mort de Ben Laden, dès ce matin, vient d’éclipser le mariage sur les réseaux, démontrant cyniquement peut-être, la nature factice et insignifiante de ce soi-disant événement.

    @Thierry, OK, je veux bien que ce soit une figure de style nécessaire à un événement culturel, mais j’attends alors de découvrir quel événement « culturel » va remplacer le JT sur toutes les chaines, la prochaine fois ??? Si je dis « autoréalisatrice », c’est que les journalistes n’annonçaient pas l’événement, ils annonçaient que NOUS voulions le voir, alors même qu’ils nous en imposaient la vue. En effet, pour échapper à une seule image, il fallait être aveugle ! Ils savent mieux que nous ce qui est bon pour nous (du pain, des jeux et des cortèges royaux ?). Mais peut-être que les journalistes, dont le «pouvoir» vacille depuis dix ans à cause du Net, s’identifient à la vieille aristocratie à qui il ne reste plus que le symbolique…

    http://venturebeat.com/2011/05/01/osama-bin-laden-news-causes-bigger-traffic-spike-than-royal-wedding/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+Venturebeat+%28VentureBeat%29

  14. « Ils savent mieux que nous ce qui est bon pour nous  »
    On est dans une logique commerciale et non morale. Ils savent (ou croient savoir) mieux que nous ce qui est susceptible de faire vendre du papier ou de créer de l’audience. C’est leur métier. 🙂

  15. 300 millions de spectateurs c’est pire qu’un pétard mouillé.
    Un mariage princier: hier c’était un acte politique, aujourd’hui c’est un non évènement. La seule chose qui en fasse un évènement, c’est précisément l’idée qu’il sera suivi par 2 milliards de téléspectateurs. Qu’il puisse avoir sa place dans le Guiness Book des records. Et sans prophétie auto-réalisatrice, si la presse ne joue pas le jeu, aucune chance d’y arriver. D’ailleurs l’angle trouvé par Culture Visuel pour en parler, c’est le chiffre d’audience.
    Si je devais essayer « d’observer et d’analyser les évolutions culturelles manifestées à l’occasion de ce phénomène mondain », ce qui m’a frappé vu de France c’est que ce qui a de toute évidence fait le plus rêver les téléspectateurs, si j’en crois les réseaux sociaux, ce ne sont ni les carrosses, ni les robustes soldats en tenue d’apparat, ni la robe de la marié, mais les fesses de la sœur de la mariée. 🙂

Les commentaires sont fermés.