Une enquête visuelle en 2010

Compte rendu de l’enquête iconographique sur la couverture du numéro du 9 septembre 2010 du Nouvel Observateur (voir: « Le Nouvel Obs recycle La France d’après« ). La couverture se compose d’une photo noir et blanc barrée d’un bloc de texte qui fait office de titre: « Cet homme est-il dangereux? » (voir ci-dessous). L’indication de crédit en bas de page précise l’attribution au photographe Jean-François Robert.

Il est facile de retrouver une version de l’image originale grâce au logiciel de recherche iconographique inversée TinEye. Même sans disposer d’un exemplaire du Nouvel Obs, on peut récupérer une copie de la couverture sur le site de l’hebdomadaire, puis interroger la base à partir d’une copie d’écran. Malgré les altérations de l’image et le masque du bloc-titre, TinEye retrouve sans difficulté parmi les images disponibles en ligne 17 exemplaires du portrait, dont on découvre qu’il est en couleur.

On peut également interroger Google à partir du nom de photographe: comme de nombreux professionnels, celui-ci dispose d’un site personnel reproduisant un large échantillon de ses travaux, dans lequel on retrouve une copie du portrait de Nicolas Sarkozy (voir ci-dessous). Dans la première page des résultats, on trouve également la mention de l’ouvrage « Face/public« , publié en 2007, qui présente l’ensemble de la série des portraits politiques du photographe et permet de dater l’image.

On dispose maintenant d’informations solides pour poursuivre la recherche, toujours sur TinEye, à partir d’une copie de la version originale. L’interrogation renvoie un ensemble très complet de 92 résultats, parmi lesquels les principales interprétations militantes, comme celles du blog Grafics ou du No Sarkozy Day (voir ci-dessous). TinEye ne fournit pas de résultats classés par date, et il faut vérifier chaque page pour rétablir une chronologie. On peut en accélérer l’établissement en demandant le classement par l’image la plus lourde, qui est souvent la plus ancienne. Cette méthode permet d’identifier rapidement l’occurrence initiale de la série des détournements militants de cette image: la campagne de « La France d’après » en avril 2007.

Le recours à Photoshop permet ensuite de reconstituer les modifications apportées à la version originale de la photo par la rédaction. Après essai, on constate qu’il ne suffit pas de passer l’image en noir et blanc pour obtenir un résultat conforme à l’illustration de couverture (voir ci-dessous, image du milieu). En appliquant une correction automatique de contraste, puis une accentuation de la netteté, on obtient une bonne approximation de la version du Nouvel Obs, qui a donc procédé à des modifications analogues pour faire ressortir volontairement rides ou poils de barbe.

En moins d’une demi-heure de recherche, on dispose de suffisamment d’éléments pour démontrer que l’image publiée par le Nouvel Obs est une citation délibérée de la tradition de caricature militante qui a rapproché le portrait de Jean-François Robert de l’imagerie de l’identification policière.

A la différence des détournements, la publication du portrait par le Nouvel Obs s’est nécessairement effectuée avec l’autorisation du photographe. Il faut souligner que la version originale, malgré l’effet d’étrangeté produit par l’usage inhabituel d’un grand angle dans le contexte du portrait, est d’un style très différent de ses variantes. La série « Face/public » présente une vision qui se veut à la fois personnelle et sophistiquée des politiques. C’est vraisemblablement un ensemble de détails, comme l’absence de cravate, le nez épaissi par le grand angle, et surtout le point de vue strictement frontal – choix stylistique de la série –, qui a suscité l’idée d’une interprétation judiciaire, soulignée par un passage au noir et blanc ou par une retouche appuyée. Les recherches effectuées prouvent l’intentionnalité de l’éditorialisation, permettent d’en situer l’intericonicité et d’en préciser les connotations.

L’efficacité du recours aux outils numériques dans ce cas précis est évidemment démultipliée par la notoriété du sujet et par le succès des reprises du portrait. Elle n’en fournit pas moins un canevas convaincant des méthodes qui vont se répandre dans les années en venir en matière de recherche visuelle.

3 réflexions au sujet de « Une enquête visuelle en 2010 »

  1. Merci pour cette présentation des nouveaux modes de recherche d’images.
    Deux petites choses :
    De mémoire la série Face / Public a été réalisée pour Le Monde.
    Le traitement graphique du Nouvel Obs emprunte beaucoup aux œuvres de Barbara Kruger qui a aussi commis des couv pour The Economist.

  2. Ping : The Idee Blog

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